Mohamed Hassanein Heikal, mon ami

Le diplomate et homme politique algérien Lakhdar Brahimi était au Caire pour assister aux obsèques, le 18 février, du très grand éditorialiste égyptien Mohamed Hassanein Heikal, décédé la veille à l’âge de 92 ans. Il nous a fait parvenir le témoignage que voici.

Mohamed Heikal, dans son bureau, au Caire, en septembre 2014. © MAGDY EBRAHIM, EL SHOROUK NEWSPAPER/AP/SIPA

Mohamed Heikal, dans son bureau, au Caire, en septembre 2014. © MAGDY EBRAHIM, EL SHOROUK NEWSPAPER/AP/SIPA

Publié le 24 février 2016 Lecture : 3 minutes.

« En mai 1963, Gamal Abdel Nasser se rendit en visite officielle à Alger en bateau. Je l’accompagnai, en ma qualité d’ambassadeur d’Algérie en Égypte. Au cours de cette traversée naquit une amitié de plus de cinquante ans avec Mohamed Hassanein Heikal, le plus grand journaliste du monde arabe du XXe siècle. « Ana gornaligui » – « Je suis journaliste », en égyptien -, avait-il coutume de dire. Et en effet, il l’était à tout instant. D’abord et avant tout. Quand on lui disait qu’il était un homme de pouvoir, il répondait : « Non, je suis journaliste. »

D’une extrême intelligence, il faisait preuve d’une curiosité permanente. Même lorsqu’on se trouvait dans un cadre amical, le journaliste n’était jamais loin, toujours en quête d’informations qu’il serait le seul à publier. Il avait couru le monde, couvert la guerre de Corée, la fin de la guerre de Palestine… Ses amitiés étaient indéfectibles, à l’image de celle qui le lia à Nasser (qu’il rencontra en 1952) et qui fut déterminante dans le parcours de cet éditorialiste dont la tribune, Bi saraha, était toujours très attendue. Alors que le raïs était à l’apogée de son règne, il revoyait ses discours, était en contact quotidien avec lui.

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Quand Nasser devint de plus en plus socialiste, certains en profitèrent pour accuser Heikal, qui entretenait des relations très suivies à l’Ouest, d’être un pro-Américains doublé d’un opportuniste, et de jouer les socialistes. En vain : il avait le cuir assez épais pour ne pas en être affecté. À la mort de Nasser, il montra sa loyauté en démissionnant du poste de ministre de l’Information qu’il avait accepté à son corps défendant parce que son ami lui avait assuré que c’était « important compte tenu de la conjoncture ».

Il avait anticipé le changement de cap de Sadate et me confia, en 1975, que ce dernier préparait une paix séparée avec Israël

Il a été malmené, mais n’a jamais trahi ni Nasser ni leurs idées communes. Sa perspicacité n’a jamais été prise en défaut. Il avait anticipé le changement de cap de Sadate et me confia, en 1975, que ce dernier préparait une paix séparée avec Israël. Je ne l’ai pas cru, Boumédiène encore moins, mais il avait raison. Surtout, Heikal ne m’a jamais menti… même s’il lui arrivait d’occulter certaines choses ! Quand il ne voulait pas avoir à dire le contraire de la vérité, il devenait injoignable.

On retiendra avant tout de lui qu’il fit d’Al Ahram un hebdomadaire respectable et le journal le plus moderne du monde arabe. Ses colonnes ont accueilli des intellectuels en dissidence, qui y écrivaient parfois dès leur sortie de prison. En s’entourant d’économistes, de poètes ou de caricaturistes comme Salah Jahin, Heikal a imposé un style et créé une pépinière. Il n’a pas enseigné, pourtant il a fait école : le centre d’études et de recherche d’Al Ahram, qu’il a fondé, est un fleuron de l’Égypte.

Ses interventions sur Al-Jazira, dans les années 1980, lui ont assuré de l’audience. Et son départ de la chaîne qatarie, dont il désapprouvait qu’elle fût devenue une tribune des Frères musulmans, a fait grand bruit. Exigeant et indépendant, il s’était montré tout aussi sévère, bien avant 2010, envers Moubarak, qui laissait son entourage gouverner, assénant : « On ne dirige pas l’Égypte depuis Charm el-Cheikh ». Les événements de 2011 ne l’ont nullement surpris, il les considérait comme bienvenus. Mais, au fil du temps, il s’est inquiété des nouvelles orientations du pouvoir. Pourtant, jusqu’à la chute de Morsi, les Frères musulmans le consultaient régulièrement… ce qui n’empêcha pas que sa maison fût pillée et sa bibliothèque brûlée. Il n’eut pas peur et continua à donner son opinion, sans quitter le pays.

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Déjà en 1981, du temps de sa disgrâce sous Sadate, il m’avait confié : « Je ne peux vivre ailleurs qu’en Égypte ». Le gornaligui était avant tout un Égyptien. Concilier ses racines avec son engagement arabe, qui était tout aussi profond, n’a pas été facile. Les nassériens des autres pays lui ont parfois reproché d’être plus Égyptien qu’Arabe, mais cet homme hors du commun ne voyait aucune contradiction entre les deux. Son « égyptianité » et son arabité faisaient partie de son ADN. »

* Les éditions J.A. ont publié, en 1980, l’un des livres les plus célèbres de Heikal : Le Sphinx et le Commissaire, heurs et malheurs des Soviétiques au Proche-Orient.

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