Sénégal : le quinquennat, c’est pour les autres
Après avoir promis de réduire de deux ans la durée du mandat présidentiel et de s’appliquer cette mesure à lui-même, Macky Sall a saisi le Conseil constitutionnel… qui s’est opposé à tout changement en cours de route ! Résultat : la société civile a comme l’impression d’avoir été dupée.
« J’entends me conformer à la décision du Conseil constitutionnel. En conséquence de quoi le mandat en cours du président de la République connaîtra son terme en 2019. » En guise d’oraison funèbre, la promesse électorale la plus emblématique de Macky Sall n’aura eu droit qu’à cette brève explication, d’une froideur clinique, à l’occasion d’une allocution de l’intéressé le 16 février au soir.
La veille, les cinq sages du Conseil constitutionnel avaient remis au chef de l’État leur décision relative à un projet de révision constitutionnelle comprenant une quinzaine de réformes, dont la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans – applicable au mandat en cours.
Une promesse impossible à tenir
Si le principe du passage au quinquennat a été validé par la haute juridiction, celle-ci a en revanche désapprouvé son caractère rétroactif. « Ni la sécurité juridique ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité […], la durée des mandats politiques en cours [pouvait] être réduite ou prolongée », écrivent les juges. En d’autres termes, Macky Sall, élu en 2012 pour un mandat de sept ans, ne peut modifier la règle du jeu en cours de partie, fût-ce en vertu de louables intentions. « La volonté de Macky Sall ne saurait primer sur le droit », justifie Abdoulatif Coulibaly, le secrétaire général du gouvernement.
Sur le fond, l’argumentation du Conseil n’est pas une surprise. Au Sénégal comme dans la plupart des pays ayant eu à modifier la durée du mandat présidentiel, ainsi que le rappellent les cinq sages, « le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle ». Plus étonnant est le fait qu’il aura fallu près de quatre ans à Macky Sall pour solliciter cette expertise. Car, dans l’intervalle, le président n’aura cessé de réitérer, au Sénégal et à travers le monde, une promesse… qu’il ne pouvait pas tenir.
Reste à savoir si le chef de l’État a dit son dernier mot. « Je lui ai suggéré, en cas d’avis négatif du Conseil constitutionnel, d’annoncer sa démission le 3 avril 2017, à la veille de la fête nationale, confie l’un de ses proches. Ainsi une élection présidentielle serait organisée dans les trois mois, ce qui coïnciderait avec les législatives. » Selon la même source, Macky Sall aurait exclu ce scénario, qui présenterait pourtant le mérite de respecter les objections du Conseil constitutionnel tout en lui permettant d’honorer sa promesse. Il aurait notamment fait valoir qu’il serait paradoxal de briguer la présidence après en avoir démissionné. D’autant que dans son propre parti, l’Alliance pour la République (APR), nombre de cadres et d’organisations satellites n’ont jamais fait mystère de leur réticence à voir leur leader écourter son mandat.
« Wax waxeet » et « wax jëf »
S’il apparaît peu probable que le président sortant se portera candidat à sa propre succession en tant que simple citoyen, cette option reste possible, a fortiori après cette volte-face, qui a manifestement entamé son crédit. Les Sénégalais, qui ont encore en mémoire le « wax waxeet » [se dédire d’un engagement] d’Abdoulaye Wade – qui avait brigué un troisième mandat en 2012 après avoir fait inscrire dans la Constitution la limitation à deux mandats consécutifs -, avaient cru pouvoir se consoler avec un successeur ouvertement adepte du « wax jëf » [respect de la parole donnée]. Au lendemain de l’allocution présidentielle, la déception de la rue et de la société civile ne portait pas tant sur le report à 2019 du scrutin présidentiel que sur le revirement inattendu du chef de l’État, vécu comme une trahison.
À elle seule, la réaction du mouvement citoyen Y’en a marre en dit long sur le malaise. « Il est temps de se mobiliser pour arrêter Macky Sall », a claironné son coordinateur, Fadel Barro, selon qui le président « s’est inscrit dans la même logique que Wade ». Y’en a marre fustige également la teneur de la révision constitutionnelle qui sera soumise à référendum le 20 mars. Celle-ci aurait « vidé de leur substance » les profondes réformes préconisées en 2009 par les Assises nationales puis, en 2014, par la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) à l’issue de larges consultations populaires.
Selon plusieurs responsables de l’opposition, une alliance des mécontents pourrait bien se cristalliser afin de sanctionner Macky Sall lors du référendum du 20 mars. Aboubacry Mbodj, de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho), évoque déjà un « 23 juin bis », en référence à la mobilisation populaire qui avait contraint Abdoulaye Wade à renoncer, en 2011, à une réforme constitutionnelle controversée.
L’annonce présidentielle a tout de même le mérite de clarifier un calendrier électoral jusque-là opaque
En dépit des critiques dont elle fait l’objet, l’annonce présidentielle a tout de même le mérite de clarifier un calendrier électoral jusque-là opaque. Des élections législatives se tiendront en 2017, deux ans avant le prochain scrutin présidentiel. Pour le député Mamadou Diop Decroix, coordinateur des deux principales plateformes de l’opposition, l’objectif consistera alors à « imposer une cohabitation » à Macky Sall en constituant une liste unique de l’opposition.
Pour le Parti démocratique sénégalais (PDS), qui est resté relativement discret au lendemain de l’allocution présidentielle, le report de l’échéance à 2019 n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Soumise depuis plusieurs mois à un conflit fratricide entre un clan « réformateur » et la garde rapprochée d’Abdoulaye Wade, la principale formation de l’opposition, dont le candidat officiel, Karim Wade, purge une peine de six années de prison, disposera en effet d’un sursis opportun avant la présidentielle.
Mais c’est sans doute au Parti socialiste que la nouvelle donne est susceptible de provoquer le plus de remous. Depuis des mois, l’état-major du parti dirigé par Ousmane Tanor Dieng retarde le moment de définir sa position en vue de la prochaine présidentielle – soutenir Macky Sall ou privilégier un candidat issu de ses rangs, qui pourrait bien être le maire de Dakar, Khalifa Sall -, invoquant l’absence d’un calendrier électoral clair. Désormais, plus rien ne s’oppose à ce que ce débat, très sensible dans les rangs socialistes, donne lieu à un arbitrage.
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