Branle-bas de combat chez Coca-Cola

Face à la montée en puissance de nouveaux adversaires, le géant américain cherche à renforcer sa marque leader et à diversifier son portefeuille. En jeu : sa place de numéro un du marché africain.

Au Kenya, la part de marché de la multinationale atteint 45 %. © MARCO DI LAURO/GETTY

Au Kenya, la part de marché de la multinationale atteint 45 %. © MARCO DI LAURO/GETTY

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 7 mars 2016 Lecture : 8 minutes.

Ce 20 février, sur la plage de Mont Choisy, dans le nord-ouest de Maurice, Coca-Cola a mis le paquet : stars locales de la chanson et DJ sont au rendez-vous pour le grand concert de lancement de la nouvelle campagne du soda rouge et blanc, « Taste the feeling » (« Savoure l’instant »), devant quelques centaines de participants. Cinq jours plus tard, c’est à Abidjan, à l’espace Crystal, que le groupe américain réédite l’événement, avant Yaoundé ou Douala le 5 mars puis Kinshasa le 18.

« Nous mettons de l’argent dans cette campagne comme jamais nous n’en avons mis », insiste Marcos de Quinto, le patron marketing du leader mondial des sodas, qui, depuis le début de l’année, fait le tour du globe pour vendre sa nouvelle stratégie mondiale. Considérée par nombre d’analystes comme une véritable rupture, celle-ci vise à réunir l’ensemble de la gamme Coca-Cola (original, light, zero et life) sous une seule marque et mettre un terme à une stratégie de division qui aurait fini par pénaliser le produit phare du groupe en segmentant à l’excès les consommateurs. « Créer des marques alternatives a diminué la valeur de la marque Coca-Cola et l’idée que ce produit est universel », explique-t-il, rappelant que Google et Apple l’ont récemment dépassé parmi les marques les plus valorisées au monde, y compris en Afrique.

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Leader panafricain

L’objectif de Coca-Cola est clair : redonner toute sa force à une marque plus que centenaire et dont la présence mondiale est sans équivalent, avec 207 pays à travers le monde, dont 54 en Afrique. « 55, si on compte le Somaliland », ajoute-t-on du côté du groupe américain en référence à ce petit pays issu d’une scission de la Somalie, non reconnu, mais où il s’est implanté en 2012 via un partenaire djiboutien, GSK Group.

Sur le continent comme ailleurs, la marque Coca-Cola reste le grand leader des sodas. Selon Euromonitor, elle est numéro un des boissons gazéifiées en Algérie, au Kenya, au Maroc, au Nigeria et en Afrique du Sud. En incluant ses autres marques (Fanta, Sprite…), la domination de la multinationale d’Atlanta est très nette sur de nombreux marchés du continent. Sur l’ensemble de la zone Moyen-Orient et Afrique, sa part de marché dans les boissons (en valeur) atteint 22,7 %, avec des pointes à 39 % en Afrique du Sud et au Maroc, et à 45 % au Kenya.

Outre sa puissance marketing, c’est à sa capacité à être présent partout, des boîtes de nuit de Lagos et de Nairobi jusqu’aux zones rurales du Mali, que le groupe doit sa force. « Il y a quelques années, au cours de mes visites de marché, j’ai pris un avion qui s’est posé sur une piste en terre. J’étais arrivé dans le pays dogon, au Mali. Lorsque j’y ai trouvé un Coca-Cola, je me suis demandé moi-même comment il avait pu arriver jusque-là », expliquait mi-février Nathan Kalumbu, le Zimbabwéen à la tête de Coca-Cola Eurasia & Africa Group (2,459 milliards de dollars de revenus – soit 2,25 milliards d’euros – en 2015 pour 1 milliard de dollars de profits avant impôts), une des cinq divisions géographiques de la multinationale.

Une première place très disputée © rang local des marques de boissons, selon les ventes en valeur, en 2015

Une première place très disputée © rang local des marques de boissons, selon les ventes en valeur, en 2015

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Cette présence, Coca-Cola la doit non pas à ses propres forces, mais à celles de ses partenaires, qui assurent à la fois embouteillage et distribution. Pure entreprise de marketing, Coca-Cola fournit la matière de base (du concentré) à une dizaine de groupes en Afrique, qui, dans leurs usines, la transforment en boissons puis organisent la logistique jusqu’aux coins les plus reculés. Coca-Cola Beverages Africa (CCBA, une structure en cours de création présente dans 12 pays africains, pour environ 2,9 milliards de dollars de revenus par an), le français Castel (15 pays), le suisse Coca-Cola Hellenic Bottling Company (Nigeria), l’espagnol Equatorial Coca-Cola Bottling Company (ECCBC, 13 pays), l’égyptien Mac Beverages (3 pays) et le néerlandais Heineken (4 pays, dont la RD Congo) écoulent à eux seuls plus de 90 % des boissons du groupe en Afrique. Si ce dernier annonce y avoir 70 000 employés, il s’agit en réalité, pour une écrasante majorité, des salariés de ses embouteilleurs. En direct, il ne compte qu’un peu plus de 500 collaborateurs…

Coca-Cola a d’ailleurs calqué son organisation interne sur la présence de ses entreprises : si le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée équatoriale, le Liberia, la Sierra Leone ou São Tomé-et-Príncipe sont rattachés à la business unit Moyen-Orient Afrique du Nord, c’est parce que ces pays dépendent tous d’ECCBC, également présent au Maroc et en Algérie.

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La concurrence rode

La marque est forte, sa présence incontestable, mais les temps sont compliqués. La croissance des ventes a été fortement affectée par la dégringolade de nombreuses monnaies africaines. Et surtout, Coca-Cola fait désormais face à une concurrence croissante. L’autre géant mondial du cola, Pepsi, le domine en Égypte et tente de se relancer dans d’autres pays (lire p. 64). Monarch Beverages (un groupe également basé à Atlanta) a déployé dans une quinzaine de pays American Cola, jouant sur les prix. Au Sénégal, c’est Africa Cola qui l’a un temps menacé. En Algérie, récemment, le Viva-Cola, à la signature rouge et blanche, a débarqué sur le marché. « Se lancer dans les boissons ne coûte pas très cher : environ 5 millions de dollars pour un site de production et d’embouteillage, soit six fois moins que dans la bière », explique un spécialiste du secteur, qui ajoute qu’il est difficile pour Coca-Cola de jouer sur les prix : « Il veut faire davantage de profits et tend donc à augmenter le prix du concentré vendu aux embouteilleurs. Mais, en même temps, il demande à ces derniers de rester compétitifs en baissant le prix de vente aux consommateurs. L’équation est compliquée à résoudre ! »

Un pari à la fois opportuniste et stratégique

Résultat : alors que la concurrence était quasiment inexistante il y a dix ans, le géant américain est désormais attaqué de toutes parts, parfois même dépassé par des acteurs locaux qui ne cherchent pourtant pas toujours à le copier. C’est le cas en Algérie, où Ibrahim & Fils tient la dragée haute à Coca-Cola. La marque Ifri est numéro un dans les eaux minérales et les boissons énergisantes, numéro deux dans les sodas et numéro trois dans les jus. Au Nigeria, La Casera se vend moins que Coca-Cola, mais davantage que Fanta et Sprite. Au Cameroun, Top domine le soda rouge et blanc (lire page de gauche). Au Maroc, c’est un producteur d’eaux minérales (Holmarcom) qui mène la danse. Certes, le groupe d’Atlanta n’est jamais très loin, mais, pour lui, il est désormais essentiel de reprendre la main en diversifiant de plus en plus son portefeuille. Un pari à la fois opportuniste et stratégique. « Coca-Cola a intégré le fait qu’en matière de santé publique le sucre sera le prochain tabac », confirme un financier qui connaît bien l’entreprise. Même s’il revendique plus de 500 marques à travers le monde, dans les jus (Minute Maid ou Del Valle) et même les eaux minérales (Dasani), Coca-Cola est bien moins diversifié que Pepsi ou d’autres groupes mondiaux de boissons.

Le géant se donne donc de nouveaux moyens. Au Nigeria, il vient d’acquérir 40 % de Chi (avec l’engagement d’en devenir majoritaire) pour, selon le Financial Times, 240 millions de dollars en cash. Numéro deux des boissons avec ses marques Chi et Hollandia, ce fabricant et distributeur nigérian de jus et de yaourts à boire a été acquis, selon nos informations, sur la base d’une valorisation de 15 fois l’Ebitda (marge d’exploitation), un record sur le continent. Dans le cadre de la création de CCBA, né du rapprochement des activités boissons de SABMiller et de l’embouteilleur Coca-Cola Sabco, Coca-Cola a également mis la main (auprès du géant sud-africain) sur toute une panoplie de marques pour 260 millions de dollars. Parmi eux, les jus pétillants Appletiser, puissants en Afrique du Sud, ainsi que 19 boissons non alcoolisées, dont des leaders locaux comme les eaux minérales Keringet au Kenya, Ambo Water en Éthiopie ou Voltic au Ghana. L’idée pour Coca-Cola est double : assurer son leadership en acquérant des marques locales leaders sur de gros marchés et profiter de la croissance soutenue des boissons non carbonatées en Afrique, dans un contexte global de réduction de la consommation de sucre. Pour distancer la concurrence, le groupe a des moyens que d’autres n’ont pas : « Nous avons fait passer de 12 à 17 milliards de dollars notre objectif d’investissement global en Afrique sur la décennie », explique Nathan Kalumbu. Des montants qui seront investis par Coca-Cola dans des acquisitions et dans le marketing, mais aussi, et surtout, par les embouteilleurs dans les capacités de production.

Alliance forcée

Sur le continent, même si les plus gros marchés sont anglophones (Afrique du Sud, Nigeria, Égypte), la zone francophone figure également parmi les priorités du groupe. Certains de ses marchés sont déjà importants en taille, notamment l’Algérie, et d’autres sont essentiels en matière de croissance : la Côte d’Ivoire, le Cameroun, la RD Congo et Maurice, qui représentent « 76 % du volume de vente des pays subsahariens francophones du groupe », rappelle Don Dussey, chargé de relations publiques et de communication de Coca-Cola. Comme ailleurs, le défi principal du groupe y est l’intensification de la concurrence. À la différence que dans cette région, son plus grand adversaire n’est autre que son principal partenaire, Castel (second embouteilleur de Coca-Cola en Afrique derrière CCBA, avec une présence de la Tunisie à l’Angola). « Coca-Cola détient une part du capital de tous ses gros embouteilleurs africains, ce qui facilite l’alignement de leurs pratiques commerciales et de leurs choix stratégiques sur les siens… Mais Castel est un souci : c’est un indécrottable indépendant. »

Si le géant américain n’a d’autre choix que de travailler avec le groupe français, en situation de leadership dans quasiment tous les pays où il opère, Castel tient à conserver ses propres marques (plus rentables) et à continuer à embouteiller des marques concurrentes de Coca-Cola. Au Cameroun, c’est lui qui détient Top. Et, dans de nombreux pays, il semble traîner des pieds pour produire Monster Energy, le dernier achat de Coca-Cola, car il distribue déjà XXL Energy, une marque concurrente. Castel déploie par ailleurs sur le continent Sumol + Compal, marque portugaise de jus dans laquelle il a investi en 2014 et qui concurrence directement Minute Maid ou Rani, deux marques phares du groupe américain. Dans le domaine des eaux minérales, un secteur en plein boom, l’alliance Castel-Coca risque également de faire des étincelles : la plupart des filiales du groupe français en Afrique sont leaders dans ce domaine… « Tous les embouteilleurs avec qui nous travaillons sont différents, et Castel est notre partenaire depuis trente ans », répond simplement Nathan Kalumbu à l’évocation de ce nom.

« Être embouteilleur de Coca-Cola, c’est la garantie d’imprimer des profits », a-t-on l’habitude de dire du côté du groupe d’Atlanta. Pas sûr que Castel, qui génère selon nos informations beaucoup plus de marges dans la bière et ne compte pas céder ses marques de boissons non alcoolisées à Coca-Cola comme l’ont fait les autres embouteilleurs, l’entende de cette oreille. Le groupe français est pourtant l’une des clés du renouveau du géant américain en Afrique francophone… et la seule qui ne soit pas vraiment entre ses mains.

Nathan Kalumbu

Il est l’homme de l’Afrique chez Coca-Cola. Chargé de 80 pays (l’ensemble du continent ainsi qu’une vaste zone allant du Moyen-Orient à la Russie), une zone qu’il dirige depuis Istanbul, ce Zimbabwéen avait rejoint Atlanta, la ville de Coca-Cola, pour ses études. Le quinquagénaire a depuis effectué toute sa carrière au sein de la multinationale américaine, dans presque toutes les zones du continent.

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