Libye : guerre secrète contre Daesh

À défaut d’une intervention militaire massive contre Daesh, Américains et Français mènent des opérations ciblées. L’une d’elles a décimé une cellule tunisienne sur le point de passer à l’acte.

Un rassemblement devant l’un des lieux ciblé par les frappes américaines en Libye, le 19 février 2016. © MOHAME BEN KHALIFA/AP/SIPA

Un rassemblement devant l’un des lieux ciblé par les frappes américaines en Libye, le 19 février 2016. © MOHAME BEN KHALIFA/AP/SIPA

Publié le 7 mars 2016 Lecture : 3 minutes.

Le 19 février, à 3 h 30 heure locale, deux F15 et des drones américains, partis respectivement du Royaume-Uni et de Sicile, pilonnent une maison de deux étages à Sabratha, à 70 km à l’ouest de Tripoli. Ce raid, qui a fait 50 morts, tous tunisiens et vraisemblablement membres de Daesh, hormis 2 otages serbes enlevés en novembre 2015, et 5 blessés, visait un homme en particulier : Noureddine Chouchane, dont l’identification par analyse ADN était toujours en cours au 25 février. Originaire de Sidi Bouzid, ce jihadiste de 36 ans qui avait rejoint l’État islamique (EI) en Libye après avoir été membre d’Ansar al-Charia est considéré par Washington et Tunis comme le cerveau des attaques du Musée du Bardo et de Sousse, en 2015.

De l’aveu des survivants interrogés par les Libyens, la cellule dirigée par Chouchane, chez qui ils avaient été conduits les yeux bandés pour ne pas pouvoir localiser les lieux – -aménagés en camps d’entraînement pour les -nouvelles recrues tunisiennes -, était réunie pour mettre la dernière main à deux projets d’attentat dans le Grand Tunis. Des armes et des lance-roquettes RPG ont d’ailleurs été retrouvés sous les décombres. Un complice chargé de la logistique, arrêté à Ghardimaou (nord-ouest de la Tunisie) le 21 février, aurait apporté des précisions, confirmant les renseignements transmis par des sources libyennes aux services américains.

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Raids préventifs

Ce raid américain, après ceux d’Ajdabiya en juin et de Derna en novembre 2015, dans lequel l’Irakien Abou Nabil al-Anbari, chef de l’EI en Libye, avait trouvé la mort, s’inscrit dans le cadre d’opérations ciblées menées par Washington, mais aussi la France, pour à tout le moins endiguer l’EI, qui menace d’essaimer à la faveur de l’émiettement de l’ex-Jamahiriya, et déjouer les attentats en préparation dans la région et en Europe. Contrôlant 250 km de côtes libyennes et fort de plus de 6 000 hommes, dont 1 500 Tunisiens selon l’ONU, l’EI, qui a attaqué en janvier les installations pétrolières de Ras Lanouf et d’Al-Sedra, représente aujourd’hui une menace réelle pour les deux rives de la Méditerranée.

Pour Alaya Allani, spécialiste tunisien des mouvements jihadistes et du conflit libyen, ce raid est un « avertissement adressé aux cellules dormantes » mais aussi un signal destiné à la Tunisie, opposée, malgré la menace directe de l’EI, à une intervention militaire internationale. Le décollage des F15 depuis le Royaume-Uni, dont 38 ressortissants ont péri dans l’attaque de Sousse, a d’ailleurs valeur de symbole. Mais après l’éradication de la cellule de Sabratha, d’aucuns craignent une riposte de l’EI. « Il faut s’attendre à très moyen terme à des représailles, notamment en Europe et en Tunisie », met en garde Mohamed Meftah Zouaoui, ancien membre du conseil militaire de Sabratha.

L’intervention ne mettra pas fin au terrorisme

Fragile, soutenu par le tiers seulement des 743 milices libyennes, le gouvernement d’union nationale de Fayez el-Sarraj, qui a dénoncé « une violation flagrante de la souveraineté de l’État libyen », se trouve entre le marteau et l’enclume. D’une part, il ne peut se permettre d’avaliser une intervention étrangère largement rejetée par la population locale. D’autre part, il subit de fortes pressions de l’ONU pour que, une fois adoubé, l’exécutif désigné à Skhirat en décembre 2015 réclame une intervention internationale pour bouter l’EI hors du pays. Dans ce cas, l’offensive aérienne serait appuyée au sol par une armée libyenne reconstituée à la hâte et financée par l’État libyen puisqu’il en aura été demandeur. « Avec un million d’armes en circulation et une corruption endémique, l’intervention ne mettra pas fin au terrorisme, estime Alaya Allani. Mais elle pourrait établir de nouveaux rapports de force et permettre à Sarraj d’adopter une feuille de route axée sur le désarmement des milices et sur un volet économique essentiellement pétrolier. »

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