Gabon – Jean Ping : « Je serai le président d’un seul mandat »

Il sait que l’opposition ira à l’élection en ordre dispersé, mais il est convaincu d’avoir une chance. Convaincu aussi que ses attaques virulentes contre Ali Bongo Ondimba finiront par porter leurs fruits.

« Les États-Unis, le Liberia et le Botswana ont voté pour un métis. Pourquoi pas le Gabon ? » © VINCENT FOURNIER/J.A.

« Les États-Unis, le Liberia et le Botswana ont voté pour un métis. Pourquoi pas le Gabon ? » © VINCENT FOURNIER/J.A.

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Publié le 6 mars 2016 Lecture : 7 minutes.

«Je ne suis pas assez naïf pour croire que je serai seul. » Officiellement candidat à l’élection présidentielle depuis le 13 février, Jean Ping sait bien que la promesse d’une candidature unique de l’opposition, plombée par la guerre des chefs, s’éloigne de jour en jour. Son objectif, désormais : fédérer au maximum afin de se présenter avec le plus de soutiens possible face au président sortant, dont il ne fait aucun doute qu’il sera lui aussi sur la ligne de départ.

C’est sans doute pour cela que l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Omar Bongo Ondimba, passé par la présidence de la Commission de l’Union africaine (de 2008 à 2012), a soin de ne pas répondre aux critiques émises par ceux qui, comme lui, s’opposent au chef de l’État. Il est plus disert lorsqu’il s’agit d’évoquer son retour sur la scène politique gabonaise, le mandat unique qu’il promet de faire s’il est élu ou la controverse qui entoure l’acte de naissance d’Ali Bongo Ondimba. Interview.

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Jeune Afrique : Pourquoi êtes-vous candidat ?

Jean Ping : Les Gabonais savent pourquoi je suis là. Quand je suis rentré, j’avais l’intention de prendre une retraite heureuse dans mon village. On m’a appelé de partout pour que j’entre dans l’arène politique. J’avais refusé en 2009. Aujourd’hui, j’ai accepté.

Vous avez rallié l’opposition en 2014. Pourquoi ne pas avoir pris votre carte à l’Union nationale (UN) ?

J’y ai pensé, et l’UN me paraissait être un parti au sein duquel je pouvais accepter de militer. Mais ils avaient leur candidat et n’avaient pas besoin de moi.

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Certains membres de l’UN vous accusent d’avoir fait une OPA sur leur formation en ralliant à votre cause des gens comme Jean Eyeghé Ndong, qui en était le vice-président…

Ce sont eux qui sont venus me chercher, Jean Eyeghé Ndong le premier. Ce sont eux qui ont fait une OPA sur moi.

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Vous dites que rien ne fonctionne au Gabon, que la situation économique et sociale est désastreuse. Quel serait le remède ?

Nous n’avons pas l’intention de nous venger. Notre programme consiste à mettre le Gabon à l’abri de la peur et du besoin. Cela veut dire que nous instaurerons une démocratie exemplaire pour la première fois dans notre pays. Je ne ferai d’ailleurs qu’un seul mandat. Avec pour objectif de nettoyer le Gabon et de mettre en place des institutions démocratiques. Il faut que la justice soit indépendante et impartiale. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : nous avons une justice à deux vitesses qui pourchasse les honnêtes gens et protège les voyous.

Vous dites que vous ne ferez qu’un seul mandat si vous êtes élu. Est-ce un engagement ferme et définitif ou voulez-vous soumettre ce projet au peuple ?

Dès que je serai au pouvoir, les gens vont tout faire pour que je fasse un -deuxième mandat. Je ne le ferai pas. C’est un engagement formel.

Vous avez à plusieurs reprises parlé de « légion étrangère » en évoquant l’équipe d’Ali Bongo Ondimba. Regrettez-vous cette formulation ?

Non. Il faut appeler un chat un chat, même si cela déplaît. Une légion étrangère, ça a une signification. À la télévision béninoise, il a été dit que le Gabon était gouverné par un Béninois et que le président de la République était un pantin. C’est la télévision béninoise qui l’a dit, pas nous.

Plusieurs opposants ont appelé à la destitution du chef de l’État, en affirmant que son acte de naissance avait été falsifié. Est-ce une carte que vous comptez jouer pendant la campagne ?

Il y a un problème, c’est une évidence. Cela dit, je maintiens que la voie royale d’accès au pouvoir, c’est l’élection. Dans beaucoup de pays, l’opposition a déclaré forfait, mais nous, nous ne sommes pas là pour donner le pouvoir en cadeau. Nous irons aux élections et nous gagnerons. Nous ferons tout pour lutter contre les fraudes et pour promouvoir la transparence.

Vous êtes vous-même attaqué sur votre état civil. Il semble que votre candidature pourrait être invalidée au motif que vous ne disposez pas d’un acte de naissance mais d’un jugement supplétif…

Je ne répondrai pas. Toute l’Afrique est sur jugement supplétif, où est le problème

Vous avez reçu le soutien du maire d’Oyem, Vincent Essone Mengué, qui demande aux Fangs de ne pas se porter candidats de manière que vous ayez une chance de battre le président sortant. Ce discours ne joue-t-il pas sur le vote ethnique ?

Je ne joue sur rien. Moi-même, j’appartiens à une toute petite ethnie, les Nkomis. Et de toute façon, comment Vincent Essone Mengué pourrait-il empêcher une candidature fang ?

L’élection se jouera en un tour. Ne craignez-vous pas une multiplication des candidatures au sein d’une opposition désunie ?

Dans quel pays l’opposition a-telle réussi à n’avoir qu’une seule candidature ? Je ne suis pas assez naïf pour croire que je serai seul. Le pouvoir va s’arranger pour aligner les candidats pour nous prendre des voix, c’est de bonne guerre. C’est déjà ce qui est en train de se passer, y compris dans mon propre camp.

Comment expliquez-vous l’acrimonie qui existe entre vous et certains cadres de l’UN, comme Zacharie Myboto ?

Il faut lui poser la question. Je ne désespère pas qu’un jour nous parvenions à nous entendre.

On parle de plus en plus d’une candidature de Casimir Oyé Mba, qui appartient lui aussi à l’UN…

Casimir est un ami. Il a décidé de se présenter, je respecte son choix.

Tout de même, ne regrettez-vous pas qu’il ne vous apporte pas son soutien ?

Oui, je le regrette. Comme je regrette que certaines personnalités pour l’instant restées à l’écart ne me soutiennent pas.

Les candidats sont souvent jugés à la hauteur de leur budget de campagne. Croyez-vous en la puissance de l’argent pour séduire vos électeurs ?

Je ne pense pas que cela suffise. Si c’était le cas, Ali serait sûr de gagner. Mais il est vrai qu’au Gabon une campagne coûte cher.

Assurez-vous toujours n’avoir pas demandé d’argent à des chefs d’État de la sous-région ?

S’ils veulent m’aider, j’accepterai avec plaisir. Et s’ils m’y autorisent, je le dirai ouvertement. Mais pour le moment, personne ne l’a fait.

Les Etats-Unis , le Liberia et le Botswana ont voté pour un métis. Pourquoi pas le Gabon?

Une rumeur tenace rapporte que le milliardaire nigérian Aliko Dangote vous aurait financé. Est-ce vrai ?

Si Aliko Dangote voulait me financer, je l’accepterais volontiers. Je le connais depuis longtemps, mais il ne me l’a jamais proposé. Dans le cas contraire, je le crierais sur tous les toits !

Pascaline Bongo, qui fut votre compagne, vous soutient-elle financièrement, sachant qu’elle n’est pas en bons termes avec son frère, le chef de l’État ?

La question ne se pose pas. Pascaline est avec son frère.

Craignez-vous que l’affaire Belinga, du nom de ce gisement de fer dont l’exploitation a été confiée à une société chinoise quand vous étiez aux Affaires étrangères, vienne ternir votre campagne ?

Non. J’ai la copie du contrat Belinga, et vous n’y verrez pas ma signature. Quand vous êtes aux Affaires étrangères, vous pouvez être appelé à négocier, mais je n’étais pas ministre des Mines ou de l’Énergie ! Qui était le maître d’œuvre de cette affaire ? C’était le président Omar Bongo Ondimba. Cela étant dit, je ne pense pas que Belinga verra le jour dans un avenir proche, parce que la conjoncture n’est pas bonne. Les cours des matières premières ont chuté, la Chine n’en a plus autant besoin. Et même si c’était le cas, le Brésil et d’autres seront là pour lui en fournir.

Pensez-vous que les Gabonais puissent voter pour un métis ?

Les États-Unis, le Liberia, le Botswana ont voté pour un métis. Pourquoi pas le Gabon ? Et puis je ne peux pas nier les origines de mon père. Même si je le voulais, je n’y parviendrais pas, vu la tête que j’ai et le nom que je porte.

Si vous êtes élu, rejoindrez-vous les chefs d’État africains qui ont engagé une fronde contre la CPI ?

Le problème de la CPI, c’est qu’elle donne l’impression d’être érigée contre l’Afrique. Voilà ce qui amène certains à se poser des questions et parfois à se révolter. Mais cela ne veut pas dire que les motifs à la base de la création de la cour sont contestés. D’ailleurs, les Africains ont participé à sa création, mais nous ne pensions pas qu’elle serait biaisée.

Il faut trouver le moyen de juger correctement les délinquants du continent sans donner aux Africains l’impression qu’un tribunal a été créé spécialement pour eux. J’ajoute que la justice ne doit pas se faire au détriment de la paix ou de la réconciliation. Imaginez si Nelson Mandela avait appliqué en Afrique du Sud les principes de la CPI : la quasi-totalité des Blancs serait en prison !

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