Libye : le rejeton de Daesh

Il y a des moments où il en est ainsi : les lignes bougent, des forces se mettent en mouvement et des mécanismes se déclenchent.

L’État islamique s’implante dans la région de Syrte, en Libye. © AFP

L’État islamique s’implante dans la région de Syrte, en Libye. © AFP

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Publié le 3 mars 2016 Lecture : 4 minutes.

Mais nul ne sait ce que cela va donner, ni de quoi demain sera fait. Nous sommes en cette fin février à l’un de ces moments : essayons tout de même d’y voir clair, à tout le moins de lever quelques incertitudes.

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Pour la première fois depuis cinq ans, le conflit syrien tend à s’apaiser au lieu de s’envenimer. Est-ce le début de sa fin ?

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Menacés de perdre le contrôle d’une situation dangereuse, les États-Unis et la Russie l’ont prise en main. Mais ces deux grandes puissances n’ont pas de baguette magique.

Trop de forces disparates, antagonistes et malfaisantes sont à l’œuvre, et des précédents notoires, comme la guerre d’Algérie ou celle du Vietnam, montrent que des années de négociations entrecoupées d’interruptions et même de rechutes sont nécessaires pour mettre un terme à un conflit qui a atteint ce niveau de complexité.

Elles vont commencer. Mais nous ne sommes qu’au début d’un long processus. Si tout se passe bien, il mènera, mais seulement dans un jour lointain, à un dénouement dont nul ne sait ce qu’il sera…

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Avant de s’acheminer vers une solution qui reste à concevoir, le conflit syrien aura eu le temps de produire un rejeton qu’il nous laisse en héritage : l’embryon d’État islamique en train de se constituer dans la région de Syrte, dans le nord de la Libye et sur la rive sud de cette Méditerranée dont on a dit, à juste titre, qu’elle est « la frontière la plus inégale du monde ».

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Ici même, nous avons déjà attiré l’attention sur cette braise qui va mettre le feu à un pays d’Afrique sans État, limitrophe de six autres pays africains, au nord comme au sud du Sahara.

Nous n’en avons pas encore pris pleine conscience, mais il s’agit d’un front qui s’ouvre, du début d’une guerre dont les pays africains ne sont, il est vrai, que le théâtre et les comparses.

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Les principaux protagonistes de la lutte contre cette filiale, ou cette franchise, de l’État islamique sont trois puissances européennes, l’Italie, la France et le Royaume-Uni, chapeautées, comme c’est la coutume, par les États-Unis.

On nous dit que, respectueuses de la légalité internationale, ces quatre puissances attendent une résolution de l’ONU et l’autorisation d’agir de la part d’un (introuvable) gouvernement libyen qui serait légitime et un tant soit peu stable.

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En réalité, leurs forces dites « spéciales » sont déjà sur le terrain. Elles sont passées à l’action depuis plus d’un mois.

Sans aucun feu vert, car elles pensent qu’« il y a le feu » et que leurs intérêts vitaux sont menacés.

De bonne source, on apprend qu’elles se sont déjà constituées en une coalition qui ne dit pas son nom. Entre elles existe un partenariat en bonne et due forme : partage des analyses et des informations allant jusqu’aux missions conjointes dans le cadre d’une stratégie unifiée.

L’Italie et des pays africains – en particulier le Niger – ont mis leurs territoires à la disposition des drones américains et leur ont ouvert leur espace aérien.

Les États-Unis ont dégagé pour 2016 un budget de l’ordre de 300 millions de dollars qui couvre l’assistance militaire à la Libye et à la Tunisie, tandis que la France poursuit les opérations qu’elle a engagées au Sahel il y a plus de deux ans. L’Europe l’aide à financer ces opérations jugées nécessaires à la sécurité du continent dans son ensemble.

Les deux puissances africaines de la région, celles dont les armées comptent, l’Égypte et l’Algérie, sont associées à l’entreprise et tenues informées de son évolution, mais seulement dans les grandes lignes.

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La coalition euroaméricaine estime que Daesh a, de son côté, doublé le nombre de ses combattants au cours des trois derniers mois pour le porter à environ 7 000. S’il se vérifie, ce chiffre est impressionnant.

L’organisation terroriste aurait pour objectif de se financer par une prise de contrôle d’une partie du pétrole libyen, et la coalition a pour stratégie de l’en empêcher à tout prix. Elle dispose pour cela d’alliés en Libye même.

On dit que cet embryon d’État islamique, rejeton de Daesh, attire comme un aimant, par dizaines et même par centaines, de jeunes Africains en quête d’aventures…

Il s’agit, vous le voyez, des principaux volets d’un affrontement, de l’ébauche d’une guerre.

Une dizaine de pays africains en sont le théâtre et y jouent un rôle secondaire, chacun pour son compte, sans aucune concertation avec les autres.

Ce n’est pas bon, et c’est là une faiblesse qui s’ajoute à celles de la coalition euroaméricaine.

S’agissant de cette dernière, on sait que le président des États-Unis, Barack Obama, est sur le départ, que les Américains éliront son successeur dans neuf mois, qu’il aura effectivement été remplacé dans onze.

Le président français ? La Constitution de son pays lui donne d’énormes pouvoirs. Mais il est, lui aussi, dans les derniers mois de son quinquennat, et son autorité est en train de se déliter.

Et qu’adviendra-til du Royaume-Uni si le Premier ministre britannique perdait le référendum qu’il organise dans moins de quatre mois ?

Daesh est l’enfant naturel de ce que le prédécesseur de Barack Obama, un certain George W. Bush, a eu la malencontreuse idée de faire en 2003 : l’invasion de l’Irak. À ce jour, les dégâts que George W. Bush a faits et laissés derrière lui n’ont pas été réparés.

Et tout se passe comme si nous étions entrés dans un conflit que les dirigeants actuels ont commencé mais dont hériteront, dans un an, leurs successeurs. Qu’en feront ces derniers ?

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Suffira-til à Daesh de faire le dos rond, de tenir un an de plus et d’attendre que les dirigeants politiques qui ont juré de le défaire aient quitté les affaires ?

Maîtres de l’Afghanistan en 2001 lorsque George W. Bush a envoyé ses troupes pour les déloger, les talibans ne sont-ils pas encore, quinze ans après, des candidats crédibles à un retour au pouvoir ?

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