Livres : « Par-delà les fenêtres », le quatrième carnet, posthume, de Gamal Ghitany
Chroniqiue du quatrième carnets de l’écrivain égyptien Gamal Ghitany, disparu il y a quatre mois.
« Je ne sais pas par quel miracle j’ai découvert qu’il était ainsi possible de se soustraire à l’exiguïté du réel, à la vacuité de cette pièce étroite, et de se frayer un chemin vers le vaste monde. » Sous la plume de Gamal Ghitany, les fenêtres se transforment en des portes donnant vers un ailleurs souvent inaccessible, parfois tabou, toujours onirique. Le quatrième de ses carnets, Par-delà les fenêtres, dont la traduction française paraît quatre mois après sa mort, le 18 octobre 2015, se distingue des précédents opus en ce que le protégé de Naguib Mahfouz s’y raconte à travers un prisme distancié, celui des fenêtres : celles des chambres d’hôtels, des trains, celles donnant sur les rues du Caire, de Paris ou de Washington, les hublots des avions.
Ces espaces ajourés sont comme autant d’interfaces entre lui et les autres, frontières physiques autant que sociales entre l’intime et le public, entre le permis et l’interdit, « entre le limité et l’illimité ». Obstacles transparents, à la fois garants de la pudeur et outils de voyeurisme, elles participent de la culture égyptienne et de ses interactions humaines.
Gamal Ghitany commence, dès tout petit, à observer la rue avec sa mère, dont c’est là l’une des occupations favorites. Au fil du récit, il devient partie prenante du spectacle qu’il dépeint, passant métaphoriquement de l’enfance à l’âge adulte. Les fenêtres ont fini par façonner son rapport aux femmes ; la distance allume son désir, qui atteint son paroxysme en fin d’après-midi, à l’heure où il aimait s’asseoir pour regarder les passants.
Fantômes du passé
Le récit de sa vie résonne de manière quasi prémonitoire. Ghitany met en scène les fantômes qui hantent imperturbablement tous ses écrits : son enfance, ses amours, ses voyages, la vie qui passe et la mort qui vient inexorablement. Sentant poindre le crépuscule de sa vie, il se laisse aller à confesser que les fenêtres les plus intéressantes ne sont pas celles qui donnent vers l’horizon, mais celles, intérieures, qui permettent d’ausculter l’âme. Testament d’une vie empreint d’une nostalgie apaisée, ce livre – dont l’auteur admet lui-même qu’il n’arrive pas toujours à démêler la fiction de la réalité – est un voyage poétique dans lequel le lecteur se laisse embarquer par l’écriture. Monstre sacré de la littérature égyptienne, Gamal Ghitany laisse derrière lui une œuvre riche, récompensée par le prix du Nil pour la littérature, la plus importante récompense littéraire décernée par le gouvernement égyptien.
Par-delà les fenêtres. Carnet IV, de Gamal Ghitany, traduit de l’arabe par Emmanuel Varlet, éd. du Seuil, 176 pages, 19 euros
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