Côte d’Ivoire : Bouaké et les fantômes de Jacques Chirac

Pourquoi Paris n’a-t-il pas enquêté sur la mort de neuf de ses soldats, à Bouaké, en 2004 ? Trois ex-ministres français risquent d’être renvoyés devant la Cour de justice de la République… mais pas l’ancien président.

Les vestiges du lycée René-Descartes (ici en juillet 2015), devenu en 2002 une base de l’opération Licorne, bombardée le 6 novembre 2004. © PHILIPPE GUIONIE/MYOP POUR J.A.

Les vestiges du lycée René-Descartes (ici en juillet 2015), devenu en 2002 une base de l’opération Licorne, bombardée le 6 novembre 2004. © PHILIPPE GUIONIE/MYOP POUR J.A.

Christophe Boisbouvier

Publié le 1 mars 2016 Lecture : 3 minutes.

Jacques Chirac lors d’une visite en Côte d’Ivoire, en 1995. © Francis Apesteguy/Getty
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France-Afrique : quel héritage pour Jacques Chirac ?

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Pourquoi Jacques Chirac a-til tout fait pour empêcher que la justice française enquête sur la mort le 6 novembre 2004 de neuf soldats français et d’un humanitaire américain dans le bombardement de leur caserne de Bouaké, en Côte d’Ivoire ? C’est pour résoudre cette énigme que la juge d’instruction française Sabine Khéris a demandé le renvoi devant la Cour de justice de la République (CJR) de trois ex-ministres, Dominique de Villepin (à l’époque à l’Intérieur), Michèle Alliot-Marie (Défense) et Michel Barnier (Affaires étrangères). Est-ce parce qu’il est affaibli par la maladie ? L’ancien président Jacques Chirac n’est en tout cas pas visé par l’ordonnance rendue le 2 février par la juge.

Le 6 novembre 2004 au soir, dès leur retour à Abidjan, les deux pilotes biélorusses des deux bombardiers Sukhoi qui ont survolé Bouaké sont arrêtés puis détenus quatre jours par l’armée française. Finalement relâchés, ils partent se réfugier à Lomé et sont de nouveau arrêtés, cette fois par la police togolaise. Alertées par Lomé, les autorités françaises ne préviennent pas le procureur de la République de Paris. Aucun mandat d’arrêt international n’est donc délivré, et les deux pilotes, libres, s’évanouissent dans la nature. Pour la juge Khéris, il n’y a pas de doute : « Tout [a] été orchestré afin qu’il ne soit pas possible d’arrêter, d’interroger ou de juger les auteurs -biélorusses du bombardement. » Et dans son ordonnance, la magistrate va plus loin. « La décision de ne rien faire, écrit-elle, a été prise à l’identique par les ministères de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères, ce qui permet de penser à l’existence d’une concertation à un haut niveau de l’État. » Sous-entendu : au niveau de l’Élysée.

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La piste de la négligence ou de la complicité ?

Que voulait donc cacher Chirac ? Pour Me Jean Balan, l’avocat parisien de plusieurs familles de victimes, les pilotes biélorusses des deux Sukhoi de l’armée de l’air ivoirienne qui ont frappé Bouaké n’en ont pas reçu l’ordre du président Laurent Gbagbo mais d’une autorité française. Il ne précise pas laquelle. Selon l’avocat, Paris pensait que la caserne était vide et que le bombardement de ce site serait un bon prétexte pour accuser Gbagbo et le faire tomber. Bref, selon Me Balan, les pilotes biélorusses étaient manipulés par un « putschiste » français. La juge Khéris ne semble pas convaincue par cette thèse. « Il n’existe pas d’éléments permettant de mettre en cause les hautes autorités de l’État [français] dans l’assassinat des militaires », écrit la magistrate dans son ordonnance.

Alors pourquoi Chirac n’a-t-il pas voulu que les pilotes passent en jugement ? Ce 6 novembre 2004, voilà trois jours que l’armée, fidèle au président Gbagbo, tente de chasser les rebelles pro-Ouattara du nord de la Côte d’Ivoire. Officiellement, la France est neutre. En réalité, bien avant le début de l’offensive, elle en a suivi tous les préparatifs. La France a même obtenu de l’état-major ivoirien la promesse qu’elle serait informée à l’avance des cibles qui pourraient être frappées afin de pouvoir mettre ses soldats à l’abri.

Par ailleurs, avant cette offensive de l’opération Dignité, les deux Sukhoi et leurs équipages biélorusses ont été acheminés en Côte d’Ivoire, via le Togo, par les soins de Robert Montoya, un ex-gendarme de l’Élysée reconverti dans le trafic d’armes. Difficile de croire que les services français, bien implantés à Lomé, n’ont pas eu connaissance des activités de Montoya… En novembre 2004, Chirac a-t-il voulu s’épargner un procès où les négligences, voire les complicités françaises, dans l’opération Dignité auraient pu être étalées au grand jour ? Si le procureur de Paris donne suite à la demande de renvoi des trois ministres français devant la CJR, on le saura un jour.

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