Fan Milk, un tremplin verglacé pour Danone

Le groupe français a pris le contrôle du spécialiste ouest-africain des glaces et des jus. L’occasion de s’implanter sur des marchés prometteurs, même si les résultats ne sont, pour l’instant, pas à la hauteur.

Ice-cream-seller

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Publié le 15 mars 2016 Lecture : 5 minutes.

Danone voulait Fan Milk à tout prix ? Objectif atteint. Le 19 février, le groupe français a porté à 51 % sa part dans le capital de cette société présentée comme une « pépite » en Afrique de l’Ouest, avec ses crèmes glacées (FanYogo, FanIce…) et ses jus de fruits (FanDongo) distribués en pousse-pousse.

En juin 2013, la multinationale, comme une dizaine d’autres candidats, avait manqué le coche face au capital-investisseur émirati Abraaj, qui avait payé le prix fort (entre douze et quatorze fois l’Ebitda, selon certaines sources) pour racheter la société. Mais à peine six mois plus tard, Danone finissait par s’aligner sur ce tarif pour obtenir d’Abraaj 49 % du capital. L’accord prévoyait une possible montée en puissance du leader mondial des produits laitiers frais – mais novice dans le domaine des glaces et des jus. C’est désormais chose faite, Danone ayant exercé une option d’achat sur 2 % supplémentaires du capital.

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Objectifs

Que cherche le groupe français en prenant le contrôle de Fan Milk ? « En faire la plateforme du développement de notre activité dans la région », a déclaré le directeur général, Emmanuel Faber, lors d’une présentation à la presse. Plutôt récents, les investissements de Danone sur le continent se sont jusqu’à présent concentrés sur le Maroc, l’Égypte, l’Algérie et l’Afrique de l’Est.

Fan Milk est sa seule filiale en Afrique de l’Ouest, mais elle lui permet de prendre pied dans six pays d’un seul coup : Ghana, Nigeria, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Togo et Bénin. « C’est une base de travail extraordinaire pour nous, avec des actifs qui nous invitent à aller au-delà des snacks glacés », confirme dans un e-mail Pierre-André Térisse, directeur du pôle Afrique. Et d’ajouter, sans en dévoiler plus : « Nous travaillons activement au lancement de nouveaux produits dans plusieurs pays de la zone. »

Porte d’entrée sur un nouveau marché

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Ce schéma est cohérent avec la stratégie africaine récemment dévoilée par Emmanuel Faber : acquérir des entreprises locales bien implantées qui lui permettront, outre des synergies de coûts, de développer à moindre frais des marques maison ou de nouveaux produits. Danone vient ainsi d’acquérir l’égyptien Halayeb, dont l’usine de fromages frais est assez grande pour installer des lignes de production supplémentaires. « C’est l’exemple même de ce que nous voulons faire en Afrique », affirme le directeur général.

Avec Fan Milk, Danone veut donc s’engager dans la même voie. Et contrairement à Abraaj, qui a vocation à sortir du capital d’ici à quelques années, le géant s’installe sur le long terme. En témoigne l’arrivée, petit à petit, de ses hommes à des postes clés, opérationnels ou non ; dernier remplacement en date, celui de Kodjo Aziagbe, directeur non exécutif au Ghana, par Pierre Armangau, jusqu’ici… directeur juridique de Danone en Russie. En témoigne, aussi, la détermination du groupe français face à des résultats qui n’ont pas été à la hauteur des attentes.

Chez Fan Milk, quand le Ghana va, tout va

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De fait, le deal entre Abraaj et Danone avait été passé sur la base des résultats, « exceptionnels », de l’année 2012. La filiale ghanéenne, qui représentait à l’époque près de 50 % des revenus de Fan Milk, avait enregistré des performances records : 147,2 millions de cedis (58,3 millions d’euros) de chiffre d’affaires et une marge d’Ebitda de 33 %. Et au Nigeria, deuxième locomotive, l’Ebitda avait bondi de près de 50 %. Mais l’euphorie retombe dès 2013 et sera définitivement douchée en 2014. Non seulement l’environnement mondial est moins favorable (flambée des prix du lait), mais chaque filiale connaît ses propres déboires.

Le Ghana, tout d’abord, voit sa monnaie s’effondrer, ce qui affecte fortement la consommation. Le moteur ghanéen s’essouffle : les bénéfices avant impôts de Fan Milk y sont divisés par trois et chutent à un plus bas de 3,8 millions d’euros en 2014. La situation se rétablit en 2015 : en cedis, le chiffre d’affaires progresse de 77 %, et, malgré un contexte de dépréciation de la monnaie, le niveau des bénéfices avant impôts finit par dépasser celui de 2012 (10,8 millions d’euros à l’époque, 11,8 millions en 2015). « Nous avons réussi à ajuster notre offre de manière à ce que les performances rebondissent de façon spectaculaire », souligne Pierre-André Térisse, sans plus de détails.

Par ricochet, l’éclaircie se profile enfin pour le groupe, car, « chez Fan Milk, quand le Ghana va, tout va », souffle un connaisseur. Danone, entreprise cotée en Bourse et à la communication très maîtrisée, refuse de dévoiler les résultats globaux (Abraaj, lui, n’a pas souhaité répondre à nos questions), mais, d’après nos informations, le chiffre d’affaires, qui plafonnait à 110 millions d’euros en 2014, aurait connu une forte poussée en 2015.

Investissement glissant

Tout n’est pas gagné pour autant. Avec ses 178 millions d’habitants, le Nigeria est depuis toujours la principale cible de Danone, selon un financier. Or le géant subit de plein fouet la crise pétrolière, tandis qu’à Lagos les autorités veulent lutter contre la distribution informelle en traquant les vendeurs ambulants, qui faisaient jusqu’ici leur beurre grâce aux monstrueux embouteillages de la capitale économique. Selon le cabinet Euromonitor, les activités de Fan Milk y souffrent du déclin de la vente ambulante au profit des supermarchés.

Parallèlement, l’essor n’est pas évident en Afrique francophone, où la présence de Fan Milk est plus récente. Si la filiale qui gère le Bénin et le Togo, profitant d’une faible concurrence locale, tourne bien, ces marchés restent limités. La Côte d’Ivoire devait être la nouvelle terre promise, mais Fan Milk, arrivé au début des années 2000 en rachetant une usine, y connaît une série de déconvenues. Les installations sont vieillissantes, la fiscalité fluctue, la concurrence locale de Sapled (marques Popito, Magic, etc.) est rude… Le coup de grâce viendra avec l’interdiction, fin 2014, des emballages en plastique : depuis lors, les pousse-pousse Fan Milk ne sont plus visibles à Abidjan, et l’activité s’est contractée de 80 %, nous glisse-t-on.

Un temps, les actionnaires, fatigués par cette entité déficitaire, ont songé, selon nos informations, à mettre la clé sous la porte. Mais le pays reste prometteur. Alors Danone a dépensé sans compter pour y faire peau neuve. Avec des emballages cartonnés inédits lancés en février, le groupe français tente coûte que coûte de relancer la machine ivoirienne.

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