France : la gauche en miettes

Après la tentative de déchoir de leur nationalité les binationaux convaincus de terrorisme, le projet de loi El Khomri visant à réformer le droit du travail provoque une levée de boucliers. À droite ? Mais non, voyons, dans les rangs socialistes !

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 8 mars 2016 Lecture : 4 minutes.

C’est peut-être à la fin de février que François Hollande a perdu ses dernières chances d’être réélu en 2017. Compte tenu de son impopularité persistante (moins de 20 % des sondés se déclarent satisfaits de sa politique), il ne peut espérer être présent au second tour de la présidentielle qu’à la condition d’obtenir l’appui de l’ensemble de la gauche. Or, depuis la semaine dernière, celle-ci est en miettes.

Vaille que vaille, le gros des troupes avait encaissé le virage à droite négocié depuis deux ans par le président. Mais tant le pacte de responsabilité avec les entreprises que la loi Macron destinée à assouplir les rigidités réglementaires dans le domaine des transports ou l’ouverture des magasins le dimanche s’étaient heurtés à de fortes oppositions. Le projet de loi sur la déchéance de la nationalité française pour les binationaux condamnés pour terrorisme passe encore plus mal. Et le projet de loi El Khomri réformant le droit du travail, pas du tout !

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Grâce à ce texte, le chef de l’État et son gouvernement ambitionnaient d’instaurer en France la « flexisécurité » chère aux pays scandinaves. Pour permettre aux entreprises de s’adapter aux fluctuations de la mondialisation et les inciter à embaucher, ils souhaitaient rendre plus aisées les suppressions d’emploi et, en échange, assurer aux salariés une sécurisation de leur parcours professionnel. Conduit sabre au clair par Manuel Valls, le Premier ministre, ce projet a été ressenti à gauche comme un nouveau et insupportable cadeau au patronat.

Pas ça, pas nous, pas la gauche !

La riposte est venue par le biais d’une tribune parue dans Le Monde du 25 février sous la signature, entre autres, de Martine Aubry, maire de Lille et ex-première secrétaire du Parti socialiste, de l’écologiste Daniel Cohn-Bendit, du généticien Axel Kahn, du sociologue Michel Wieviorka, du député PS (et ancien ministre) Benoît Hamon et de quelques autres.

Après avoir énuméré les (nombreuses) couleuvres avalées par la gauche dans un passé récent, les signataires s’insurgent ouvertement contre la loi El Khomri. « C’est toute la construction des relations sociales de notre pays qui est mise à bas, écrivent-ils. […] Pas ça, pas nous, pas la gauche ! […] Que restera-t-il des idéaux du socialisme lorsqu’on aura, jour après jour, sapé ses principes et ses fondements ? » Aubry a fait savoir que ses lieutenants allaient démissionner du secrétariat du PS.

Dans un premier temps, Valls s’était réjoui de cette « clarification » entre des lignes « irréconciliables ». Dans un second, après avoir constaté qu’une pétition en ligne avait recueilli plus de 750 000 signatures en trois jours et pris acte que tous les syndicats étaient vent debout contre le projet de réforme, il s’est résolu à jouer l’apaisement et la concertation : la présentation du texte en Conseil des ministres a été reportée du 9 au 24 mars.

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Le gouvernement brave les flots

Pas question pour autant d’abandonner le texte. Ni Hollande, qui veut croire que les Français lui sauront gré de choisir l’intérêt national contre son propre camp, ni Valls, qui prétend incarner la gauche du XXIe siècle par opposition à celle, passablement archaïque, du XIXe, n’en ont la moindre intention. La philosophie du texte ne changera pas, mais des concessions seront faites au syndicat réformateur CFDT, qui considère comme autant de casus belli les articles du projet sur le périmètre géographique du licenciement économique, le niveau de plafonnement des indemnités prud’homales ou le forfait-jour à la discrétion de l’employeur.

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À ce stade, le bilan de cette guerre fratricide est lourd. Et les divisions, profondes. Le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon et les trotskystes ont ainsi, au grand dam du Parti communiste, résolu de présenter un (ou plusieurs) candidat(s) à la présidentielle de 2017. Au PS lui-même, tout oppose désormais les réformistes sociaux-libéraux, qui soutiennent grosso modo la politique de modernisation, et les sociaux-démocrates hostiles à toute nouvelle remise en question des « valeurs socialistes ». Même Martine Aubry paraît parfois en désaccord avec elle-même ! Elle sermonne l’exécutif sans rien lui opposer de concret. Elle n’envisage pas de se présenter à une primaire à gauche à laquelle elle est aujourd’hui favorable après y avoir été opposée. Pour ne rien arranger, elle déteste Valls, avec qui elle a pourtant voté la motion majoritaire au congrès du PS, en juin 2015. Quant à l’exécutif, il est divisé entre le président, qui s’efforce de trouver un consensus, et son Premier ministre, raidi dans une posture de réformateur en chef que lui dispute Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie.

Un président cerné

Pour Hollande, la voie est étroite. S’il amende trop le projet El Khomri, Valls pourrait bien rendre son tablier et prendre date pour la présidentielle de 2022. S’il le maintient en l’état, il risque de susciter contre sa politique un vaste mouvement social. Lui qui se rêvait en « président des jeunes » pourrait bien se retrouver avec des dizaines de milliers de jeunes dans la rue. Contre lui.

Car l’Unef, le syndicat étudiant, a appelé à manifester le 9 mars pour obtenir le retrait du texte. Même Benjamin Lucas, le président des Jeunes socialistes, y sera. « Aucun compromis n’est possible sur la base de discours empruntés à des familles politiques que nous combattons », a-t-il fait savoir.

La gauche dressée à ce point contre la gauche, on n’avait plus vu ça depuis la guerre d’Algérie. L’habile François Hollande aurait-il perdu la main ?

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