États-Unis : un démagogue, ça Trump énormément
Lors d’un récent meeting dans l’Ohio, le favori républicain pour la présidentielle a encore captivé son auditoire de petits Blancs déboussolés. Mais ses clowneries font de moins en moins rire.
Trump, 45e président des États-Unis
Donald Trump a remporté mercredi 9 novembre l’élection présidentielle américaine, coiffant au poteau sa concurrente démocrate Hillary Clinton et succédant ainsi à Barack Obama à la Maison Blanche.
Sous une pluie fine, le Boeing 747 se pose sur le tarmac de l’aéroport de Columbus, Ohio, en ce matin de Super Tuesday. Il fait un tour de piste puis se gare à une dizaine de mètres du hangar où l’attendent un petit millier de supporters. Sur le fuselage noir de l’appareil, cinq énormes lettres dorées déclenchent les rugissements de la foule : T.R.U.M.P. On se croirait presque dans un film de James Bond. « C’est d’enfer », lâche un jeune homme vêtu d’une veste canari.
Donald Trump est plus que jamais favori pour décrocher l’investiture républicaine pour la présidentielle du mois de novembre. Au grand dam des responsables du Grand Old Party. Le soir même, il va remporter 7 des 11 États mis en jeu lors des primaires de ce Super Tuesday… Mais pour l’instant, il émerge de l’appareil, déplie un parapluie aux couleurs américaines et rallie le pupitre installé à son intention, face à une nuée de caméras. Son improbable chevelure est de la même couleur que celle de son Boeing : or.
Argumentaire populiste
Flanqué de Chris Christie, le gouverneur du New Jersey, qui roule pour lui depuis son retrait de la course, début février, Trump se lance dans une diatribe hallucinée et tristement familière. Ses cibles sont en effet toujours les mêmes. Le Mexique, qui devra selon lui financer le mur qu’il entend construire à la frontière pour empêcher le passage des migrants clandestins. La Chine, ce prédateur commercial contre lequel « les États-Unis ne cessent de perdre ». Ses rivaux, bien sûr, à commencer par Marco Rubio, le sénateur de la Floride, moqué pour son abondante transpiration, et Ted Cruz, son collègue du Texas, un « menteur » patenté, sans parler, bien sûr, de Hillary Clinton…
Devant un auditoire captivé, le magnat de l’immobilier multiplie les rodomontades. Son quotient intellectuel ? « Plus élevé que celui de bien des experts. » Ses livres ? « Des best-sellers. » Son Boeing ? « Je préfère le mien », lâche-t-il, alors qu’un avion décolle dans son dos. L’école de commerce Wharton, en Pennsylvanie, où il a étudié ? « La meilleure du monde. » Le plus étrange est que ce discours plaît. « Il parle comme nous, il est l’un d’entre nous », estime Dover, un adolescent de 17 ans qui participe bénévolement à la campagne. La foule est blanche à 99 %. Shane, 33 ans, l’un des très rares Africains-Américains présents, porte une casquette de la National Rifle Association (NRA), le lobby pro-armes à feu. « Pour moi, pérore-t-il, un pays doit être géré comme un business. Et dans ce registre, Trump est le meilleur. »
On va tellement gagner que les gens vont finir par m’appeler pour me dire qu’ils en ont marre de gagner
Brenda, une retraitée du sud de l’Ohio, porte sur sa casquette Trump un pin’s où Hillary Clinton est représentée derrière les barreaux d’une prison. « Je lui fais confiance pour nous unir, dit-elle, les Américains sont tellement divisés… » Elle voit en son champion le rempart le plus solide contre ceux, et ils sont légion, qui veulent remettre en question l’identité chrétienne du pays. « On n’ose plus dire joyeux Noël par crainte de froisser les minorités », se plaint-elle.
« Ne vous inquiétez pas, avec moi, on va de nouveau pouvoir dire joyeux Noël », la rassure le démagogue. L’obsession de Trump est de faire en sorte que les États-Unis gagnent de nouveau. « On va gagner contre la Chine, explique-t-il, et aussi contre le Mexique. On va tellement gagner que les gens vont finir par m’appeler pour me dire qu’ils en ont marre de gagner. » Certains de ses supporters lèvent le poing.
Trump ne se démonte pas lorsque, comme à chacun de ses meetings, des activistes de Black Lives Matter, un mouvement de défense des Noirs contre les excès policiers, se mettent à lancer des slogans hostiles. « J’adore les manifestants, dit-il. En zoomant sur eux, les caméras de télévision montrent à quel point la foule présente à mes meetings est énorme », commente-t-il, tandis que six jeunes Noirs, dont deux filles voilées, sont évacués manu militari.
Imperturbable
« Je suis déjà à la tête d’un empire, poursuit le milliardaire, je n’ai donc pas besoin de faire de la politique pour vivre, mais quand je vois comment ce pays est dirigé… » Il lève un index menaçant : « Ils vont de nouveau avoir peur de nous. Personne ne se moquera plus de nous, personne. » Longtemps jugée fantaisiste, la perspective de voir l’excentrique Donald Trump accéder un jour à la Maison Blanche prend corps. Imaginez-le un instant en possession des codes d’accès à l’arsenal nucléaire. Ça fait froid dans le dos, non ?
D’un point de vue arithmétique, rien n’est joué après le Super Tuesday. Trump ne compte que 319 délégués, alors qu’il en faut 1 237 pour être désigné. Mais on ne voit pas ce qui pourrait contrarier sa marche triomphale. À ce rythme, il pourrait même être désigné dès le mois de mai. Les sondages le donnent ainsi favori pour la primaire – cruciale – de Floride, le 15 mars, où 99 délégués seront en jeu. La seule façon de le battre serait qu’un candidat unique émerge face à lui. C’est hélas peu probable. Ted Cruz, qui a remporté le Texas, l’Oklahoma et l’Alaska lors du Super Tuesday et totalise 226 délégués, et surtout Marco Rubio (110 délégués), qui a remporté le Minnesota, ont annoncé qu’ils se battraient jusqu’au bout. John Kasich, le gouverneur de l’Ohio, et Ben Carson, le neurochirurgien africain-américain, ne font guère que de la figuration.
Craintes républicaines
Le « tout sauf Trump » est aujourd’hui la ligne du Parti républicain, horrifié à l’idée d’être représenté par une personnalité aussi incendiaire. Certains, comme John McCain, candidat du parti en 2008, ont fait savoir qu’ils soutiendraient le nominé, quel qu’il soit. Mais la majorité de l’establishment s’y refuse. Le sénateur Ben Sasse a même défendu publiquement l’idée d’une troisième candidature. « Le candidat choisi par le parti devra rejeter tout sectarisme », a averti Paul Ryan, le speaker de la Chambre des représentants, outré que Trump n’ait rejeté que du bout des lèvres le soutien que lui a apporté un ancien responsable du Ku Klux Klan. Pourquoi s’étonner ? Dans un Tweet, le même n’a-t-il pas cité Mussolini ?
« Une présidence Trump serait une catastrophe qui ramènerait le parti des décennies en arrière, a estimé dans le New York Times le stratège républicain Mike Murphy. Il passe son temps à insulter les femmes blanches et diplômées ainsi que les Latinos. Or nous avons besoin de ces catégories pour gagner en novembre. » Côté démocrate aussi, la menace est prise très au sérieux. Le staff de Hillary Clinton a mis au point un plan anti-Trump destiné à montrer que le milliardaire ne défend d’autres intérêts que les siens. Et qu’il n’a pas la personnalité requise – c’est un euphémisme – pour présider les États-Unis.
Le face-à-face qui s’annonce fait déjà saliver les commentateurs. « Le supertanker construit par Hillary s’apprête à affronter des pirates somaliens », s’amuse Matthew Dowd, qui dirigea la campagne de George W. Bush en 2004. Mais à Columbus, les supporters de Trump n’y pensent pas encore. Ils se contentent de mendier un autographe ou de poser pour un selfie avant que leur héros remonte dans son Boeing. Direction : la Floride, où il savourera sa victoire au Super Tuesday dans l’ensemble hôtelier de luxe qu’il y possède. Loin, très loin des damnés Blancs de l’Ohio.
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