Yvan Guichaoua : « Avec Barkhane, on fabrique des quasi-protectorats » au Sahel

Quel bilan pour l’intervention française au Mali ? Yvan Guichaoua Maître de conférences, spécialiste du Sahel, répond aux questions de Jeune Afrique.

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Publié le 17 mars 2016 Lecture : 3 minutes.

Combattants du groupe Ansar Eddine près de Tombouctou au Mali, avril 2012. © AP/SIPA
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Mali : la menace fantôme

Quatre ans après l’éclatement du conflit, trois ans après la reprise du Nord, l’armée malienne peine à renaître. Face à un ennemi aux mille visages qui continue de semer la terreur, la présence des forces étrangères est, plus que jamais, indispensable à la survive d’un Etat sous tutelle sécuritaire.

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Spécialiste du Sahel et des questions de sécurité, Yvan Guichaoua, 42 ans, est chercheur et maître de conférences à la Brussels School of International Studies, rattachée à l’université du Kent (Royaume-Uni). Diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, il est également passé par Yale et Oxford. Il publie régulièrement dans la presse française et internationale.

Jeune Afrique : Dans une tribune publiée en décembre*, vous remettez en cause l’efficacité de l’opération Barkhane. Pourquoi ?

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Yvan Guichaoua : Parce que la situation politique qui a provoqué le déploiement de l’opération Serval, devenue Barkhane, n’a pas évolué. Un des objectifs était de réduire durablement la menace jihadiste. Les attentats de Bamako en novembre et de Ouagadougou en janvier ont démontré qu’il n’a pas été atteint. On constate également une extension de la menace vers le centre et le sud du Mali, ainsi que dans les pays voisins. Ce qui ne signifie pas que Barkhane n’a pas connu quelques succès…

Lesquels ?

À court terme, l’intervention française a restauré l’intégrité territoriale du Mali – c’était l’objectif de Serval – et a temporairement réduit la menace jihadiste, permettant aux acteurs légitimes de discuter et de signer un accord de paix. En outre, elle a participé à la relative stabilité des voisins, notamment le Niger, un pays très exposé qui n’a pas connu d’incursion majeure depuis les attaques d’Agadez et d’Arlit, en mai 2013.

Une métaphore résume bien la situation : il s’agit de « tondre la pelouse ». On sait qu’elle va repousser, mais on gagne du temps

La stratégie visant à éliminer un à un les chefs des groupes jihadistes est-elle efficace ?

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On voit bien qu’ils sont remplacés. Même les militaires français le disent. La France n’a pas les moyens logistiques de contrôler l’ennemi partout où il se trouve. Une métaphore résume bien la situation, elle est employée par les militaires eux-mêmes : il s’agit de « tondre la pelouse ». On sait qu’elle va repousser, mais on gagne du temps.

Dans quel but ? Y a-t-il un plan à plus long terme ?

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On peut en effet continuer indéfiniment sur cette voie. D’un point de vue géopolitique, la France y gagne peut-être une forme de prestige international. Mais il faut espérer que l’objectif est de mettre fin à Barkhane, et que la prochaine étape visera à soutenir des régimes plus démocratiques, qui répondent aux besoins des populations. Or, sur ce point, on ne voit pas grand-chose. C’est d’autant plus inquiétant que cette présence militaire va finir par poser un problème. Elle sera de plus en plus perçue comme une force d’occupation.

Au Mali, l’armée française n’est déjà plus vue comme une force de libération, comme c’était encore le cas en 2013. Cette présence sera bientôt insupportable aux populations si elle n’est pas accompagnée de bénéfices tangibles. Déjà, des équilibres locaux sont affectés, l’armée française s’appuyant sur certaines communautés plus que sur d’autres. En outre, avec le temps, les risques de bavures augmentent. Enfin, les préoccupations de la France et des États de la région ne sont pas forcément les mêmes que celles des populations civiles. Au Niger, les premières préoccupations de la population concernent des sujets comme la santé, pas le terrorisme.

Cette présence militaire n’empêche-t-elle pas l’émergence de solutions endogènes aux problèmes du Sahel ?

Sans Barkhane, cela aurait certainement été pire… avant d’être mieux. Sur le court terme, on ne peut qu’applaudir l’opération Serval. Mais les États se construisent et gagnent en légitimité en répondant aux préoccupations de leurs populations. Le déploiement de forces étrangères met sous cloche ces processus historiques de long terme, qui traversent plusieurs générations. Les États qui acceptent cette présence étrangère gagnent en crédibilité sur le plan extérieur, mais sont affaiblis sur le plan intérieur. On fabrique des quasi-protectorats.

* « L’impasse du contre-terrorisme au Sahel », The Conversation, 16 décembre 2015.

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