L’Afrique et ses voisins

Pourquoi viennent-ils en Afrique ou, à tout le moins, montrent-ils de l’intérêt pour notre continent ? Ils sont puissants, à la tête de pays importants et nous les voyons, l’un après l’autre, rendre visite à des pays africains, s’y attarder, même. Ou bien nous assurer que notre continent est cher à leur cœur.

Des volontaires aident des réfugiés  et des migrants à leur arrivée sur l’ïle grecque de Lesbos, 30 novembre 2015 © Santi Palacios/AP/SIPA

Des volontaires aident des réfugiés et des migrants à leur arrivée sur l’ïle grecque de Lesbos, 30 novembre 2015 © Santi Palacios/AP/SIPA

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Publié le 10 mars 2016 Lecture : 5 minutes.

Hier c’était la Chine et l’Inde, les deux grandes puissances d’Asie, dont les présidents respectifs venaient nous dire que notre avenir leur importait.

Leur succèdent aujourd’hui l’Égypte et la Turquie.

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Ces tout derniers jours, les présidents Abdel Fattah al-Sissi et Recep Tayyip Erdogan ont tour à tour proclamé que leur pays a désormais le regard tourné vers l’Afrique.

L’Égypte et la Turquie sont des puissances régionales émergentes dirigées par deux autocrates déclarés.

Le premier a annoncé la couleur dans une interview à Jeune Afrique (no 2775, du 14 au 20 février), puis au Forum Africa 2016, qui s’est tenu à Charm el-Cheikh les 20 et 21 février ; le second vient d’achever, à la tête d’une impressionnante délégation, une visite dans quatre grands pays d’Afrique de l’Ouest : Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria et Guinée (lire pp. 16-17).

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L’intérêt des présidents Sissi et Erdogan pour l’Afrique étant récent, les deux hommes étant complexes et leurs politiques controversées, j’ai pensé utile d’éclairer ceux et celles d’entre vous qui aimeraient en savoir plus sur ce qui les anime.

Que penser de ces deux dirigeants de haut vol qui contrôlent, probablement pour de longues années, les politiques intérieure et extérieure de l’Égypte et de la Turquie ?

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Au pouvoir depuis une dizaine d’années, Erdogan s’est révélé être non pas le démocrate dont il s’est donné l’apparence pendant près de dix ans, mais un islamiste qui cachait soigneusement son jeu et un autocrate qui retenait sa poigne.

L’appui qu’il a apporté aux islamistes de Gaza et à ceux de Tunisie, le refuge et les moyens qu’il a accordés aux Frères musulmans d’Égypte en sont des indications probantes.

La répression de plus en plus prononcée de la presse, de la justice et de toute manifestation contre lui ou les siens le corrobore.

Et annonce un régime qui tend à la dictature – et y viendra.

Quant au maréchal Sissi, il a déclaré dès son arrivée au pouvoir, il y a trois ans, que l’Égypte n’était pas mûre pour la démocratie, qu’elle ne le serait pas avant vingt ans, qu’elle a besoin, pour le moment, de se montrer disciplinée et de se mettre au travail.

Erdogan s’est jeté à corps perdu ces derniers mois dans une répression effrénée des Kurdes turcs, qui forment près de 15 % de sa population. Et, de son côté, Sissi s’est engagé dans l’éradication des Frères musulmans égyptiens, suivis, eux aussi, par 10 % à 15 % de la population.

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Et c’est là où le bât blesse : même si l’on ne nourrit à l’encontre d’Erdogan et de Sissi aucun préjugé, même si on ne rejette pas leurs priorités, force est de constater qu’ils se sont engagés l’un et l’autre dans ce qui ne tardera pas à apparaître comme une coûteuse impasse politique.

L’islamiste Erdogan gagnera des batailles contre les Kurdes ; l’anti-islamiste Sissi fera taire, pour un certain temps, les Frères musulmans égyptiens.

Mais, à moyen terme, aucun des deux ne pourra gagner la guerre contre une partie aussi importante de sa population !

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L’Union européenne (UE), c’est vingt-huit pays de tailles diverses et un peu plus de 500 millions d’habitants, dont la plupart sont assez bien nantis. Elle donne à elle-même et au reste du monde, en ce moment même, le spectacle affligeant de son incapacité à résoudre de façon convenable les problèmes que lui posent ceux qu’on a appelés « les migrants ».

Chassées par la guerre ou les dictatures de pays voisins de l’Europe et dont certains ont été envahis et déstabilisés par des Euro-Américains, plus de 1 million de personnes cherchent refuge sur le Vieux Continent.

Plus de 1 million mais moins de 2 millions à absorber, en 2015 et en 2016, par vingt-huit pays totalisant 500 millions d’habitants.

Quelques pays européens en ont accueilli mais tendent à se fermer ; d’autres, en ce moment même, oublieux de ce qu’ils doivent à la solidarité des fondateurs de l’UE, qui les a acceptés en son sein et a financé leur développement, se hérissent de barbelés et autres barrières.

Ils se cachent les yeux devant la misère de ces malheureux.

Aux uns et aux autres, il paraît opportun de rappeler qu’aux XVIIIe et XIXe siècles c’est leur continent qui a déversé ses flots de migrants, par vagues successives, sur le reste du monde, qu’il a peuplé de gré ou de force.

Ce qui se passe aujourd’hui n’est que l’inversion de ce mouvement.

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Mon confrère du Financial Times Gideon Rachman décrit ce double mouvement : « Les migrations actuelles sont certes provoquées par les guerres au Moyen-Orient, mais des forces plus profondes sont à l’œuvre et font que l’immigration vers l’Europe restera un sujet brûlant longtemps après la fin de la crise syrienne.

L’Europe est un continent riche, vieillissant, et dont la population stagne. Par contraste, les populations d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud sont plus jeunes, plus pauvres et croissent plus rapidement. À l’apogée de l’ère coloniale, en 1900, l’Europe représentait environ 25 % de la population mondiale. Aujourd’hui, avec environ 500 millions d’habitants, l’Union européenne rassemble 7 % des habitants de la planète, mais les Africains sont 1 milliard et, d’après l’ONU, ils devraient être 2,5 milliards en 2050.

Durant l’ère coloniale, l’Europe a exporté ses émigrants vers les quatre coins du monde, elle a pratiqué une sorte d’impérialisme démographique. En Amérique du Nord et en Australie, les populations indigènes ont été soumises et parfois massacrées. Des continents entiers ont été transformés en dépendance de l’Europe. Les pays européens ont peuplé des colonies partout dans le monde, et dans le même temps, plusieurs millions de futurs esclaves étaient forcés de quitter l’Afrique pour le Nouveau Monde.

Quand les Européens ont peuplé la planète, ils l’ont fait au moyen de « migrations en chaîne ». Un membre d’une famille s’installait dans un nouveau pays comme l’Argentine ou les États-Unis, il envoyait des nouvelles et de l’argent à la maison, et très vite d’autres le suivaient.

Maintenant les chaînes vont de la Syrie à l’Allemagne, du Maroc aux Pays-Bas, du Pakistan à la Grande-Bretagne… »

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Qu’ajouter à ce rappel ? Des vérités banales que l’aveuglement de certains oblige à invoquer :

Nous vivons au XXIe siècle et, que nous le voulions ou non, nos frontières ne sont plus des murs étanches, mais des passoires.

Nos voisins, que nous n’avons pas choisis, sont à nos portes parce que c’est l’Histoire qui les y a mis.

Ceux de l’UE sont, à l’est, la Russie et les anciens satellites de l’ex-URSS, au sud, des pays du Moyen-Orient et d’Afrique.

Il lui faut les accepter, vivre avec et les aider à évoluer.

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