Rachid Santaki… écrire, dit-il

Auteur touche-à-tout de romans policiers, ce Français d’origine marocaine, qui a fait de la banlieue son personnage principal, veut réconcilier la jeunesse avec la littérature.

« Il faut aller chercher les jeunes des quartiers avec leurs codes », déclare le romancier. © HACQUARD ET LOISON/OPALE/LEEMAGE

« Il faut aller chercher les jeunes des quartiers avec leurs codes », déclare le romancier. © HACQUARD ET LOISON/OPALE/LEEMAGE

Publié le 20 mars 2016 Lecture : 4 minutes.

Ses amis l’assurent : quand ce grand quadra, Air Max aux pieds et lunettes en écaille sur le nez, marche dans les rues de la banlieue parisienne, les jeunes et leurs mamans lui courent après. Rachid Santaki n’est pourtant ni une star de la chanson ni une vedette du petit écran. C’est un écrivain. Également scénariste, animateur de projets sociaux, ancien journaliste et prof de boxe. « Le risque, ç’aurait été l’éparpillement, mais, chez lui, c’est devenu cohérent », constate le scénariste Nicolas Peufaillit, avec lequel Santaki a fondé une société de production. Pour lui, tout tourne autour de l’écriture, qu’il revendique urbaine et populaire, sans se « prendre pour un homme de lettres ».

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La Légende du 9-3, son huitième ouvrage, sort en mars. Violence, trafic, flics pourris. Tous ses polars décrivent la face la plus noire de Seine-Saint-Denis. Comme ses personnages, qu’il fait parler « caillera », l’auteur y vit depuis bientôt quarante ans. « C’est notre réalité, c’est pas de la littérature comme on connaît à l’école, il y a des blagues, c’est la vie qu’on côtoie aujourd’hui », explique Abdellah Boudour, un ami éducateur d’Argenteuil, ville du département voisin. « C’est moins vrai maintenant, ajoute Peufaillit, mais pendant un moment il y avait très peu de fictions sur les quartiers. » Depuis, Faïza Guène, Mabrouck Rachedi, Insa Sané… Une génération d’auteurs issus des quartiers s’est emparée du sujet, imposant son style à la littérature française contemporaine.

Santaki, lui, a aussi adopté les codes de la culture hip-hop pour sa promo. Chaque sortie de roman est accompagnée d’une bande-annonce façon clip de rap et d’une campagne d’affichage sauvage qu’il assure lui-même. Le romancier a compté : en trois ans, il a passé plus de cinq cents heures à placarder des affiches dans toute la banlieue. De quoi faire s’interroger les médias nationaux sur ce « roi du marketing » (Le Monde), qui s’affiche de l’autre côté du périph avec des romans. « Je viens d’un milieu ouvrier, ma manière de bosser, c’est avoir la rage », décrypte Santaki. Le gamin hyperactif, orphelin de frère à l’âge de 18 ans – « j’ai son énergie et mon énergie » -, a pourtant mis longtemps à savoir comment se canaliser.

Self made man

Mère caissière originaire du nord de la France et père manutentionnaire né au Maroc, Santaki a passé les cinq premières années de sa vie à Marrakech, élevé par sa grand-mère dans le quartier populaire de Bab Doukkala. L’arrivée à Saint-Ouen, ville multiculturelle aux portes de Paris, est un choc. Le petit Santaki mettra des années à trouver son équilibre dans son nouveau pays. Pourtant décidé, dès l’entrée au collège, à devenir dessinateur-scénariste, il se décourage quand la conseillère d’orientation lui répond : « C’est compliqué, il faut faire les Beaux-Arts. » « En gros, c’était impossible », regrette-t-il aujourd’hui. Il rate son bac pro, enchaîne les petits boulots, les étés au Maroc… « J’ai perdu dix ans de ma vie. »

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En 2003, il se réveille. Après l’éphémère site hiphop.fr, le trentenaire crée 5styles, un magazine sur la culture hip-hop. Pour se différencier des autres titres qui fleurissent sur le sujet, 5styles, diffusé dans les Fnac, sera gratuit. Santaki y fait tout. Rentre les pubs, fait les interviews, dépose les magazines dans les points de ventes… « C’était mon bébé, j’étais très dans l’affect. J’avais pas assez de recul, je m’en sortais pas. » Au bout de huit ans et 71 numéros de 84 pages tirés à 50 000 exemplaires, il raccroche. Mais sait désormais qu’il ne cessera pas de faire ce qui lui plaît : écrire.

Casser les codes

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Dans ses romans et ses scénarios, son objectif sera le même : « Il faut aller chercher les jeunes des quartiers avec leurs codes. » Selon lui, aujourd’hui, seule « la fiction permet de capter ce public », de lui faire passer un message et de « changer les choses ». Avec La Boulette, son premier court-métrage, il s’attaque ainsi à l’obésité, dont « souffrent 30 % des habitants des quartiers », en racontant les dilemmes d’une jeune fille obèse, amoureuse d’un youtubeur. Il travaille actuellement sur un scénario traitant de l’homosexualité, encore taboue dans les cités.

Depuis deux ans, le mauvais élève y organise aussi des concours de dictée. Sur les terrains de foot ou les dalles d’immeubles, il fait plancher micro en main des centaines de personnes sur du Hugo ou du Dumas. Là encore, il a désacralisé l’exercice. À la clé de chaque dictée, ni livres ni dictionnaires : il fait gagner une paire de Nike. « Ça permet aux jeunes de ne pas s’afficher. Ils viennent avec le prétexte des lots à gagner. Ça fait pas fayot. » Comme avec les ateliers qu’il mène dans les prisons et les écoles, l’écrivain voit dans ces compétitions une autre manière de remettre « la langue française au centre des quartiers ».

Tout en assurant ne pas « fantasmer de se barrer de la banlieue » où il puise sa matière première – « une richesse de fou » -, l’enfant de Marrakech réfléchit aujourd’hui à des projets au Maroc. Pour lui, le pays en plein développement urbain sera bientôt confronté aux problématiques des quartiers français. À Bab Doukkala aussi, peut-être qu’un jour on l’arrêtera dans la rue.

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