Iran : Rohani en position de force
Conforté par les urnes aux législatives du 26 février, le président modéré dispose désormais d’une plus grande marge de manœuvre pour mettre en place les réformes qu’il a promises.
Norouz, le Nouvel An persan, célébré cette année le 20 mars, marquera-t-il l’avènement d’un printemps politique pour la République islamique d’Iran ? Hier paria et menacé de destruction par ses ennemis régionaux, le régime des mollahs poursuit avec succès sa réhabilitation sur la scène internationale. Même tempérance au niveau domestique, où les législatives du 26 février ont vu le net recul des conservateurs les plus radicaux au profit de leurs adversaires modérés et de leurs alliés réformateurs rassemblés dans la « liste de l’espoir ». Plus de deux ans après l’élection du modéré Hassan Rohani à la présidence, c’est la confirmation par les urnes de la volonté des Iraniens de se maintenir sur la voie de la libéralisation et de l’ouverture à l’Occident. Elle couronne la réussite du président Rohani, qui est parvenu, avec l’accord signé à Vienne le 14 juillet 2015, à écarter la pomme de discorde diplomatique que constituait le programme nucléaire iranien, soupçonné de servir clandestinement des objectifs militaires. Le 16 janvier, les sanctions liées à ce programme, qui ont plongé le pays dans le marasme économique, ont été levées. Le succès électoral du camp présidentiel est aussi de bon augure pour la mise en œuvre du plan de relance voulu par son champion.
La modération prime
Certes, un second tour doit avoir lieu pour attribuer 64 sièges en ballottage sur les 290 que compte le Parlement. Mais, souligne la professeure en sociologie politique à l’université Paris-VII Azadeh Kian, « les électeurs, qui ont voté assez massivement [60 % de participation], ont plébiscité le programme de changement de Rohani. Pour les ultraconservateurs, qui ont perdu nombre de sièges, la défaite est nette. Ce résultat est d’autant plus remarquable que 99 % des candidatures présentées par les réformateurs avaient été invalidées et que ceux d’entre eux qui ont remporté un siège ne sont pas des personnalités marquantes. À l’opposé, les figures les plus importantes des ultraconservateurs ont été désavouées : ces derniers ont perdu sur tous les terrains ». Aux élections concomitantes de l’Assemblée des experts, organe chargé d’élire le Guide suprême, chef de l’État, la défaite de deux chefs de file radicaux, Mohammed Yazdi, qui la présidait depuis mars 2015, et Mohammed-Taqi Mezbah-Yazdi, a été célébrée comme une victoire par le camp modéré. Les photos diffusées sur Twitter de la dernière séance de l’Assemblée sortante, montrant d’une part Rohani et son allié l’ancien président Hachemi Rafsandjani hilares – tous deux ont été réélus – et de l’autre Mezbah-Yazdi faisant une tête d’enterrement, en disent long sur les sentiments des deux camps après les scrutins.
« C’est un succès démocratique sur les opposants à Rohani et aux accords nucléaires, commente le consultant et ancien ambassadeur de France en Iran François Nicoullaud. Il est en effet intéressant de constater que, parmi les conservateurs, ceux qui ont le plus souffert sont ceux qui avaient voté contre l’accord sur le nucléaire. Les Iraniens rappellent ainsi leur souci de voir Rohani tenir ses promesses, car il avait fait de l’accord nucléaire, à juste titre, le préalable à la réalisation de ses autres engagements. Les ultras vont se mettre en embuscade et tenter de lui compliquer la tâche. »
Le régime ne subit plus les mêmes menaces
La provocation n’a pas tardé : les Gardiens de la révolution, armée idéologique du régime des mollahs, ont procédé, les 8 et 9 mars, à des tirs d’essai de missiles balistiques dans un but « dissuasif ». Joe Biden, alors en visite en Israël, que ciblait ce geste d’intimidation, a promis que les États-Unis « agiraient ». Le Congrès américain, dominé par les Républicains, qui avaient eux aussi menacé de faire capoter l’accord sur le nucléaire, pourrait voter de nouvelles sanctions qui décrédibiliseraient la ligne défendue par le président iranien. Pilier du conservatisme politico-religieux en Iran, les Gardiens ont perdu le tiers des sièges qu’ils occupaient au Parlement, et le gouvernement, dans son dernier projet de finances, a réduit de 16 % leur budget. Très en faveur sous la présidence de l’ultra Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), ils étaient parvenus à prendre le contrôle de 40 % de l’économie et voient aujourd’hui d’un très mauvais œil les objectifs de libéralisation, de privatisation et d’investissements étrangers promus par leur président.
Pourraient-ils, comme sous le président réformateur Mohammed Khatami (1997-2005), torpiller les initiatives de l’actuel président ? « Le camp des modérés est beaucoup plus important que celui des réformateurs sous Khatami, car ils ont rallié nombre de conservateurs, comme l’ex-président Rafsandjani et le président de l’Assemblée sortante, Ali Larijani, explique Azadeh Kian. Et l’Amérique était alors dirigée par Bush junior, qui n’avait pas hésité à classer l’Iran dans son « axe du mal », une attitude qui n’a rien à voir avec la diplomatie de la main tendue d’Obama. Les Européens sont aujourd’hui beaucoup moins hostiles à Téhéran qu’ils ne l’étaient : le régime ne subit plus les mêmes menaces. Enfin, Khatami était un intellectuel élu au détriment d’un système dont Rohani, un pragmatique qui sait transiger, fait partie depuis les premières heures de la révolution de 1979. »
Idéologies opposées
Outre le très puissant Conseil des Gardiens, les radicaux disposent d’autres leviers pour défendre leur position, conservant notamment le contrôle de la justice et des services de sécurité. Et ils n’hésitent pas à s’en servir pour réaffirmer les principes de leur révolution théocratique : arrestation de nombreux artistes et de membres de la société civile, pendaison de 830 condamnés entre janvier et novembre 2015 selon Amnesty International, attaque le 2 janvier 2016 de l’ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran, arraisonnement dix jours plus tard de deux navires militaires américains et de leurs dix marines égarés dans les eaux territoriales iraniennes… Mais les radicaux pourraient mettre de l’eau dans leur thé. « D’expérience, quand l’Iran s’engage dans un processus de normalisation internationale, les autorités, y compris judiciaires, peuvent faire preuve d’une certaine flexibilité : sous Khatami, elles avaient ainsi accepté la suspension des lapidations pour adultère et la libération de prisonniers politiques », note Azadeh Kian.
Dans cette lutte entre conservateurs radicaux et modérés, que nombre d’experts voient comme celle des théocrates contre les républicains, la destinée iranienne repose entre les mains du Guide suprême, arbitre du système. Sans surprise, l’ayatollah Ali Khamenei, 76 ans, s’est montré bien plus favorable aux conservateurs qu’à leurs adversaires, s’étant ainsi abstenu de faire pression sur le Conseil des Gardiens quand celui-ci a invalidé massivement les candidatures des réformateurs. Mais le Guide a aussi montré sa défiance envers les plus durs des radicaux, se brouillant avec l’ancien président Ahmadinejad à la fin de son mandat et soutenant l’action de Rohani sur le dossier nucléaire. « Khamenei doit aussi faire attention, car ces législatives ont montré que Rohani jouit d’une véritable légitimité populaire. Le Guide devra s’abstenir de bloquer ses initiatives s’il ne veut pas mettre en péril le système », ajoute François Nicoullaud. La révolution démocratique dans la révolution khomeiniste n’est donc pas pour demain, même si, conclut Nicoullaud, « la République islamique entre dans des jours bien plus apaisés ».
Faut trouver le guide
Depuis la révolution de 1979, la République d’Iran est gouvernée par le principe de la velayet el-faqih, le « gouvernement du docte ». Chef de l’État, le Guide suprême de la révolution islamique en est le garant. Cette fonction est occupée depuis seize ans par le successeur de Khomeiny, l’ayatollah Ali Khamenei, 76 ans. Mais ce dernier est atteint d’un cancer, son agonie est régulièrement annoncée et la nouvelle Assemblée des experts, élue pour huit ans, devra probablement lui choisir un successeur dont dépendra l’avenir du régime. « C’est le prochain combat, car Khamenei va tenter d’organiser sa succession en faveur d’une personnalité qui lui ressemble, mais, avec l’Assemblée actuelle, dont la moitié est constituée de têtes nouvelles, cela va être compliqué », analyse François Nicoullaud, ex-ambassadeur de France. « Rafsandjani, quand il était président, avait suggéré de remplacer la figure du Guide par un collège de sages, une proposition qui avait été très critiquée par les conservateurs. Sa réélection presque triomphale à l’Assemblée pourrait relancer le débat sur le statut du Guide », commente pour sa part la sociologue Azadeh Kian.
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