Guinée : Dalein Diallo et Bah Oury, les frères ennemis

Sans doute leurs ambitions étaient-elles trop similaires pour qu’ils puissent continuer à s’entendre au sein de l’UFDG. Autrefois alliés, Cellou Dalein Diallo et Bah Oury se vouent aujourd’hui une haine tenace.

Cellou Dalein Diallo et Amadou Bah Oury. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

Cellou Dalein Diallo et Amadou Bah Oury. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 21 mars 2016 Lecture : 6 minutes.

Jusqu’à présent, leur rivalité était avant tout politique. C’était celle de deux ténors qui, comme tant d’autres en Guinée ou ailleurs, se disputaient la présidence d’un parti. Mais aujourd’hui, entre Cellou Dalein Diallo et Bah Oury, il s’agit bien plus que d’une querelle entre deux hommes partageant les mêmes ambitions : les frères ennemis de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) se vouent une haine quasi viscérale sur fond d’accusations de meurtre.

Tout a basculé le vendredi 5 février. Ce jour-là se tient le conseil exécutif national au siège du parti, à Conakry. La veille, Bah Oury, 57 ans, a été démis de son poste de vice-président et exclu du parti. Cellou Dalein Diallo l’accuse d’avoir négocié son retour d’exil avec le président Alpha Condé et d’avoir pactisé avec le pouvoir pour faire imploser la première formation d’opposition. Contestant sa mise à l’écart, l’ancien exilé se rend donc avec quelques partisans au siège de la mouvance qu’il a cofondée au début des années 1990, sous le régime de Lansana Conté. Il trouve porte close. Des échauffourées opposent rapidement ses gardes du corps à ceux de son adversaire. Bah Oury se replie vers sa voiture. Trois coups de feu éclatent. L’un d’eux touchera mortellement un jeune journaliste, El Hadj Mohamed Diallo.

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Un mois plus tard, cette affaire fait l’objet d’une procédure judiciaire mais demeure un mystère. Qui a tiré ? Qui était visé ? « C’est moi qui étais ciblé, clame l’ex-vice-président de l’UFDG. Cellou Dalein Diallo a attenté à ma vie. C’est un sacrilège ! » Dans le camp d’en face, le leader de l’opposition décline toute responsabilité et affirme que son rival a orchestré un complot avec Alpha Condé pour le mettre hors jeu. Et chacun accuse l’autre de tous les maux par médias interposés.

Une inimitié ne date pas d’hier

Entre ces deux Peuls du Fouta-Djalon, originaires des villes concurrentes de Pita pour Bah Oury et de Labé pour Cellou Dalein Diallo, l’inimitié ne date pas d’hier. Après une première rencontre au milieu des années 1980, ils empruntent des chemins très différents : le premier s’érige en figure de l’opposition sous Lansana Conté en fondant l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH) en 1990, puis l’Union des forces démocratiques (UFD), qui deviendra l’UFDG en 1991. Le second, de six ans son aîné, dirige différents ministères de 1996 à 2004, année de sa nomination comme Premier ministre.

Il est limogé deux ans plus tard, en 2006. Désireux de se lancer en politique, avec la future présidentielle dans la ligne de mire, il se rapproche de l’opposition et renoue avec Bah Oury. En 2007, il est porté à la tête de l’UFDG au détriment de ce dernier et d’autres pontes du parti. « Cellou Dalein Diallo a bénéficié du soutien de notables et d’hommes d’affaires influents de la communauté peule, avec qui il a tissé des liens étroits durant sa carrière de ministre. Bah Oury était moins connu du sérail et perçu comme quelqu’un de plus radical », explique Vincent Foucher, analyste Guinée à International Crisis Group (ICG).

Bah Oury est un homme expansif, moqué parfois pour ses excès, quand Cellou Dalein Diallo passe pour un économiste austère et discret

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Les deux hommes ne se ressemblent pas. Bah Oury est un homme expansif, moqué parfois pour ses excès, quand Cellou Dalein Diallo passe pour un économiste austère et discret. Mais jusqu’à l’élection présidentielle de 2010 leur collaboration est cordiale. Arrivé largement en tête au premier tour, le président de l’UFDG est finalement battu par Alpha Condé. En interne, il est vivement critiqué. Bah Oury alimente la grogne, estimant que « Cellou » porte une large part de responsabilité dans cet échec, mais il n’aura pas le temps d’organiser la fronde. Le 19 juillet 2011, la résidence d’Alpha Condé à Conakry est attaquée par des hommes armés. Accusé de complicité, Bah Oury échappe de peu à l’arrestation et se réfugie en France.

Exil et rancœurs

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Condamné par contumace à la perpétuité, il s’installe à Toulouse, où réside sa famille. Il y restera plus de quatre ans, sans remettre un pied en Guinée. Une période d’isolement durant laquelle il estime ne pas avoir été soutenu par Cellou Dalein Diallo. « Il a même tout fait pour m’enfoncer davantage et me tenir éloigné, dénonce-t-il. Il a laissé ses lieutenants m’accuser de tous les torts. » « C’est faux, rétorque le patron de l’UFDG. Bah Oury était régulièrement consulté, et le parti lui a versé 2 000 euros par mois pour vivre durant tout son exil. » Une tentative de réconciliation, en 2013, à Dakar, n’y fera rien : entre le fougueux Bah Oury, qui prône la rupture avec le régime d’Alpha Condé depuis la France, et un Cellou Dalein Diallo plus modéré qui ne souhaite pas griller ses chances en vue de 2015, les divergences, personnelles et idéologiques, sont profondes.

Cette guerre des chefs dans le camp adverse n’échappe évidemment pas à Alpha Condé. Après sa réélection, le 11 octobre 2015, le président tend la main à Bah Oury. Un premier rendez-vous avec son opposant le plus virulent est organisé, fin octobre, à Paris. Deux autres rencontres suivront jusqu’au 24 décembre, lorsque le chef de l’État annonce qu’il gracie plus de 150 personnes, dont le vice-président de l’UFDG. Bah Oury rentre à Conakry le 24 janvier et est exclu du parti moins de deux semaines plus tard.

Difficile de démêler le vrai du faux

« Il a franchi la ligne rouge en passant un deal avec Alpha Condé : en échange de sa grâce, il devait neutraliser l’UFDG, justifie Cellou Dalein Diallo. Depuis son retour, il est intraitable avec moi et ne cesse de m’attaquer. » « Cellou » s’étonne aussi du « virage à 180 degrés » de son rival, ancien adepte de la méthode forte dorénavant moins virulent avec le pouvoir en place. En face, Bah Oury dément tout accord avec le pensionnaire de Sékoutoureya, affirmant avoir seulement discuté avec lui de « la nécessité d’une décrispation politique ». « Cellou est un homme autoritaire qui refuse le dialogue et n’accepte aucune contestation de son leadership », poursuit-il.

Difficile, dans cette lutte fratricide, de démêler le vrai du faux. Tout comme de savoir ce que se sont exactement dit Alpha Condé et Bah Oury lors de leurs entretiens à Paris. Seule certitude : en graciant son opposant, Alpha Condé a réussi à affaiblir celui qui demeure son principal adversaire, Cellou Dalein Diallo. De son côté, l’ancien exilé brigue désormais ouvertement la tête de l’UFDG, mais beaucoup doutent qu’il parvienne à ses fins. Depuis 2007, Diallo s’est allié la grande majorité des cadres du parti. Il dispose aussi d’un réseau étoffé et de moyens financiers bien supérieurs à ceux de son rival. « Bah Oury est isolé. Après son retour, Cellou n’a eu aucun mal à le discréditer dans la communauté en le faisant passer pour un traître », glisse un leader politique peul. Réputé pour sa ténacité, Bah Oury ne semble pourtant pas prêt à lâcher le morceau. Le combat ne fait que commencer.

Un journaliste tué et une enquête qui piétine

Une enquête judiciaire a été ouverte après le meurtre du journaliste El Hadj Mohamed Diallo devant le siège de l’UFDG, le 5 février. Vingt-deux individus ont été interpellés et sont toujours en détention. La plupart sont membres de la sécurité du président du parti, Cellou Dalein Diallo : l’un d’eux a été inculpé pour assassinat, deux sont accusés de coups et blessures volontaires, et les autres de non-assistance à personne en danger (la justice guinéenne parle d’« abstention délictueuse »).

Alors que « Cellou » et ses proches dénoncent une procédure à charge, en affirmant notamment que les personnes arrêtées subissent des pressions, Bah Oury a déposé plainte contre X pour « tentative d’assassinat, coups et blessures volontaires » et contre son rival pour « dénonciation calomnieuse ».

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