Centrafrique – Catherine Samba-Panza : « La politique, ce n’est pas mon truc ! »
En avril, la présidente de la transition quittera le pouvoir avec, dit-elle, le sentiment du devoir accompli. Accusée de népotisme et même de corruption, elle affirme avoir appris à encaisser les coups.
À quelques semaines de la fin de son mandat, Catherine Samba-Panza construit sa légende. Invitée par la Banque Mondiale à Washington, du 27 février au 3 mars, elle s’est plu à se poser en « mère de la nation », soulignant la difficulté de la mission qu’elle avait acceptée. Accompagnée de sa fille, Christelle Sappot, et de sa ministre de l’Économie, Florence Limbio, la présidente de la transition a été reçue au département d’État et au FMI. Interrogée par Jeune Afrique, elle revient, dans un discours rodé et messianique, sur son temps passé à la tête du pays. Et puisque Faustin-Archange Touadéra prendra sa succession le 1er avril, elle tient à ce que cela se sache : elle est disponible !
Jeune Afrique : Vous étiez maire de Bangui quand vous avez été chargée de présider la transition, en janvier 2014. Pourquoi avoir accepté cette mission ?
Catherine Samba-Panza : Dans le cadre de mes fonctions à la mairie, j’étais souvent en contact avec des organisations de femmes. Quand il a été décidé, à N’Djamena, que Michel Djotodia devait partir, elles sont venues vers moi et m’ont dit : « Les hommes n’ont pas pu régler les problèmes du pays, il est temps que les femmes se positionnent davantage. Nous pensons que vous pourrez faire l’affaire. » J’ai d’abord refusé, puis je me suis sentie interpellée. J’ai pensé que je n’avais pas le droit, en tant que citoyenne centrafricaine, de refuser cet appel. Mais, contrairement à ce que j’ai pu entendre, je n’ai jamais eu d’ambitions politiques – ce n’est pas pour cela que j’ai accepté. D’ailleurs, je ne me suis jamais intéressée à la politique.
Vous avez pris la tête du pays dans un contexte de crise, dans un milieu dominé par les hommes et alors que le pays était sous la tutelle de la communauté internationale. À quelles difficultés vous êtes-vous heurtée ?
Quand j’ai accepté la mission, je savais qu’elle serait difficile. Mais je n’imaginais pas qu’elle le serait à ce point. J’ai découvert qu’il y avait beaucoup d’antagonismes et d’intérêts divergents aussi bien au niveau national qu’au niveau sous-régional. Cela n’a pas été facile, mais il m’a fallu me construire une vision de ce que je voulais faire de la Centrafrique et garder ce cap. Le plus important, c’était la réconciliation et le dialogue. Lorsque j’ai pris mes fonctions, mes premières paroles sont allées à mes enfants anti-balaka et à mes enfants Séléka. Je me suis tout de suite positionnée en mère de la nation, j’ai été ouverte à toutes les tendances, à toutes les communautés, et c’est ce qui m’a permis d’avancer.
J’ai nommé ma fille, et alors? Sarkozy et Mitterand ont bien nommé leur fils !
Vous avez évoqué publiquement la « gouvernance catastrophique » de Michel Djotodia, qui vous avait nommée à la mairie de Bangui et auquel vous avez ensuite succédé à la tête du pays. Quelles relations entretenez-vous avec lui ?
Michel Djotodia voulait une femme à la mairie. Il avait travaillé au ministère du Plan avec mon mari. Alors, quand mon nom a été proposé, il a tout de suite dit oui. On a travaillé environ six mois ensemble. Beaucoup en ont alors conclu que j’étais pro-Séléka, mais je vous le demande : qui n’a pas travaillé avec qui ?
Par ailleurs, je maintiens que sa gestion a été catastrophique, mais il n’y a pas eu que lui ! Avant, il y a eu Bozizé…
Vous dites que vous voulez servir « [votre] pays, l’Afrique, voire le monde ». Libérée de vos engagements, à quel poste vous verriez-vous ?
Je ne vise aucun poste. Je me rends simplement disponible au cas où l’on aurait besoin de moi pour partager mon expérience. J’aimerais m’investir dans la consolidation de la paix en Centrafrique. J’ai un projet de fondation et de mémorial, et je suis d’ailleurs à la recherche de financements. J’ai le défaut d’être nationaliste et d’aimer vivre dans mon pays, mais s’il y a une opportunité intéressante ailleurs, pourquoi pas !
Pourriez-vous envisager de vous présenter dans cinq ans et d’accéder au pouvoir par les urnes ?
Les gens me disent souvent de me préparer pour les prochaines élections. Je leur réponds que si le nouveau chef de l’État travaille bien, il pourra obtenir un deuxième mandat. J’ajoute que, dans cinq ans, j’aurai un certain âge (elle a 61 ans) et je préférerais avoir une activité moins stressante : je ne suis pas de ceux qui, à 75 ans, veulent se présenter ! Et puis la politique, ce n’est pas mon truc. J’ai servi mon pays de tout cœur, avec toute l’abnégation et tous les sacrifices qu’il fallait, et j’ai le sentiment d’avoir rempli ma mission. Il y a eu une campagne de dénigrement à mon encontre, mais j’ai encaissé les coups, je me suis fait une carapace. J’ai résisté et j’en suis fière. Je ne savais pas que la politique pouvait descendre aussi bas : je l’ai découvert.
À quoi faites-vous référence ? Aux accusations d’enrichissement personnel ? À l’affaire du don angolais, ces 10 millions de dollars dont une partie a disparu des caisses de l’État ? Aux postes que l’on vous reproche d’avoir offerts à vos proches ?
Je n’ai pas d’explication à donner. J’ai posé des actes et je vais assumer. Le jour où les services d’audit ou judiciaires de mon pays se rapprocheront de moi, je saurai m’expliquer. Toujours est-il que le FMI est venu faire un audit et a estimé qu’il n’y avait pas eu de détournement. C’était juste une question de procédure. Mais tous les justificatifs ont été donnés et le FMI a rendu un rapport sur cette affaire : l’Angolagate est mort de son propre poison.
Et quand on relaie le fait que vous placez votre fille ou certains de vos proches ?
Je vous rappellerai que Sarkozy a nommé son fils à un poste important, que Mitterrand a nommé son fils à un poste important… Je vous rappellerai que beaucoup de chefs d’État africains ont nommé leurs enfants auprès d’eux. Ma fille a des capacités, elle a une valeur, je ne vois pas pourquoi elle paierait parce que sa maman est chef de l’État. Elle mérite aussi une promotion, et j’assume.
Après deux ans à la tête de la transition, estimez-vous que certains acteurs internationaux ont été trop interventionnistes ? En concevez-vous une certaine amertume ?
Les gens brodent sur des faits qu’ils ne maîtrisent pas. J’ai par exemple les meilleures relations avec le président François Hollande ou avec le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Ils m’ont accompagnée et soutenue. Cela étant dit, j’ai une vision pour mon pays, qui ne va pas forcément dans le sens de ce qui m’est proposé. Je suis une femme de caractère et j’avance dans le sens de ce que je veux, mais cela ne veut pas dire qu’il y a des problèmes entre les gens.
J’ajoute que la sous-région aussi m’a aidée, que la solidarité africaine a joué, et que je me devais d’avoir de bonnes relations aussi bien avec le président de la CEEAC de l’époque, en l’occurrence Idriss Déby Itno, qu’avec le médiateur désigné [Denis Sassou Nguesso]. Là encore, les gens ont beaucoup parlé et il y a eu des incompréhensions, mais je n’ai pas de problèmes fondamentaux avec mes pairs de la sous-région.
Durant la campagne, on vous a accusée de soutenir Martin Ziguélé, puis Faustin-Archange Touadéra…
C’est pareil : il y a trop de supputations et de rumeurs. J’ai donc décidé de me placer au-dessus de la mêlée et d’adopter une position d’impartialité. J’avais autour de moi des candidats de valeur et j’ai toujours dit que celui qui y arriverait serait le président de tout le monde. Je les ai tous reçus. Il se trouve que je connais Martin Ziguélé depuis longtemps. S’il vient me voir, c’est en tant que frère et en tant qu’ami. Anicet-Georges Dologuélé est également un ami. Touadéra, je le connais beaucoup moins et j’avoue que je ne le voyais pas arriver. Mais je n’ai pas soutenu un candidat plutôt qu’un autre. J’ai permis un retour à l’ordre constitutionnel et j’ai le sentiment d’une mission accomplie.
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