Football : les « Black Stars » du Maghreb
Pour de nombreux joueurs subsahariens, les championnats maghrébins sont un tremplin pour l’Europe. Mais aussi une solution alternative loin d’être négligeable, notamment sur le plan financier.
C’est un sentiment que partage le Malgache Charles Andriamahitsinoro, 26 ans, sous contrat avec l’USM Alger depuis 2012. Né à Mahajanga et formé sur la Grande Île à l’Académie Jean-Marc-Guillou, l’attaquant international a débuté sa carrière algérienne à Tlemcen, en 2010, après un essai jugé concluant. « J’avais effectué d’autres tests ailleurs, mais je sentais que les clubs hésitaient, explique-t-il. Comme j’avais inscrit 12 buts en une saison et demie, l’USMA m’a approché. Évoluer dans un grand club me permet d’être mieux exposé et d’espérer partir un jour en Europe. » Son adaptation digérée – « cela n’a pas été simple au début » -, Carolus, ainsi qu’il est surnommé, marié avec une Algérienne, dispose, de son propre aveu, « de bonnes conditions financières » dans le club présidé par Ali Haddad. Mais après presque cinq ans en Algérie, l’insulaire commence à ressentir des envies d’ailleurs. Et notamment d’Europe, où certains de ses compatriotes évoluent.
Pour le Burkinabè Banou Diawara, qui figure lui aussi parmi les meilleurs buteurs du championnat algérien (9 buts au 5 mars), la situation est légèrement différente. « Il est arrivé l’été dernier en provenance de Bobo-Dioulasso après avoir été proposé par un agent », précise Brahim Zafour, ancien international algérien, aujourd’hui directeur sportif de la JS Kabylie. Testé et retenu par le staff technique des Canaris du Djurdjura, l’attaquant a décidé de quitter son pays pour l’Afrique du Nord moyennant une indemnité de transfert. « Il a marqué dès son troisième match, et cela l’a libéré », poursuit Zafour. Appelé en sélection, apprécié par l’exigeant public de Tizi Ouzou, Diawara suscite déjà un certain intérêt à l’étranger. « Il a signé pour deux ans, et il est bien évident que si nous pouvons réaliser une plus-value, nous le ferons. Mais pas lors du mercato hivernal. Peut-être l’été prochain en cas d’offre satisfaisante », précise Zafour.
Succès en Tunisie
Gérard Buscher, qui connaît le championnat tunisien sur le bout des doigts (il a entraîné Hammam-Lif, Bizerte et l’AS Marsa), n’est pas étonné que l’Espérance sportive de Tunis (EST), dont il est désormais le directeur technique, ait engagé le milieu Fousseny Coulibaly, 26 ans, arrivé en 2013 en Tunisie, à Monastir, en provenance du Stella Adjamé. Prêté la saison dernière au Stade tunisien après des débuts difficiles avec le double vainqueur de la Ligue des champions, l’Ivoirien est revenu plus fort. « Il a beaucoup gagné en assurance et en maturité. Sa progression est intéressante. Coulibaly s’impose comme l’un des très bons milieux défensifs du championnat. Il gère mieux la pression qui entoure l’Espérance et il est devenu beaucoup plus professionnel dans l’approche de son métier, résume l’ancien international français. Il a changé de standing. Pour gagner sa place à l’Espérance, où il y a une grosse concurrence et beaucoup d’internationaux, il faut se battre. » L’international ivoirien vise aujourd’hui, lui aussi, plus haut.
À Sfax, on se félicite tous les jours d’avoir réussi à attirer le duo composé du Nigérian Junior Ajayi, 20 ans, et du Tchadien Ezechiel Ndouassel, 27 ans. Après s’être fait remarquer dans le championnat nigérian avec les Shooting Stars, le premier, approché par l’Espérance de Tunis, a finalement opté pour le Club sportif sfaxien (CSS). « Nous avons regardé des vidéos de ses matchs avec la sélection nigériane des moins de 20 ans lors de la dernière Coupe du monde en Nouvelle-Zélande. Comme c’est un international, nous ne lui avons pas imposé de venir faire un essai, car d’autres clubs le suivaient déjà », rappelle Tarek Salem, le directeur sportif. Malgré une indemnité de transfert « assez élevée » versée aux Shooting Stars et un salaire parmi les plus hauts de l’effectif, le CSS a réalisé un des bons coups du dernier mercato estival puisque le Nigérian s’est très vite imposé (6 buts au 22 février).
Le cas de Ndouassel est très différent. L’attaquant tchadien est revenu en Tunisie après avoir évolué deux fois au Club africain (2011-2012 et 2013-2015). Entre-temps, il a effectué des passages guère concluants en Russie, en Turquie et en Algérie – où il a évolué quatre ans. « Il est revanchard et c’est un joueur que nous connaissons bien, explique Tarek Salem. Il devait aller en France [au Paris FC, en Ligue 2], mais cela ne s’est pas fait. Nous avons eu l’opportunité de le faire venir car il était libre. » Avec Ajayi, il forme un des tandems les plus efficaces du championnat tunisien. Et cette réussite retrouvée pourrait entraîner un nouvel exil du Tchadien, toujours tenté par l’Europe. « C’est pour de nombreux clubs nord-africains une nécessité économique, rappelle le directeur sportif, que d’acheter des joueurs venus d’Afrique subsaharienne, ou d’ailleurs, qui ont besoin de se relancer, pour les transférer en Europe. Et pour Ndouassel, ce sera sans doute le cas s’il continue à marquer. »
Maroc, Eldorado d’Afrique
Walid Regragui, l’ancien international marocain aujourd’hui entraîneur du FUS Rabat, dit de lui « qu’il est l’un des meilleurs défenseurs du championnat du Maroc ». Ass Mandaw Sy (27 ans), formé à Niary Tally, un club de Dakar, est désormais une star de la Botola. « Je suis arrivé au FUS en 2012 via un agent qui m’a proposé le Maroc comme tremplin, confie-t-il. J’avais plutôt pour objectif d’aller en Europe, où j’avais quelques contacts. Mais après réflexion, j’ai accepté. » Au Maroc, Sy s’est imposé par sa puissance athlétique et sa rigueur. « J’ai évidemment beaucoup progressé, car le niveau est bien plus élevé ici qu’au Sénégal. » Dans l’Atlas, Sy a également vu son train de vie changer : « Au niveau salarial, cela n’a rien à voir. Même chose pour les structures. » Le FUS fait également partie des clubs où les salaires sont versés en temps et en heure, « ce qui permet aux joueurs de se concentrer sur le foot uniquement ». Sous contrat jusqu’en 2017, le Sénégalais estime que le temps est sans doute venu « de tenter [s]a chance en Europe ».
En novembre 2014, Lema Mabidi, 22 ans, inscrit les trois buts de l’AS Vita Club en finale de la Ligue des champions face à Sétif (2-2, 1-1). Insuffisant pour ramener la Coupe à Kinshasa, mais assez pour décrocher un contrat à Sfax, un des ténors du championnat tunisien, impressionné par la performance du milieu de terrain international congolais. Près d’un an plus tard, fort d’une troisième place à la CAN avec la RD Congo, Mabidi a changé de pays, puisqu’il joue désormais pour le Raja Casablanca, alors qu’il avait parfaitement réussi son intégration au CSS. Échaudé par des arriérés de salaire de plusieurs mois, le Congolais finit par rejoindre le Raja, qui peut désormais compter sur ce joueur technique et prometteur, et dont le passage au Maroc – il a signé pour une durée de quatre ans – pourrait lui ouvrir les portes de l’Europe, même si, à ce jour, aucune formation du Vieux Continent ne s’est officiellement manifestée.
Loin de l’Europe, le réconfort
L’Europe, le Congolais Fabrice Ondama, 28 ans, l’a connue de 2007 à 2009. Recruté par Rennes, où il joue avec l’équipe réserve, puis prêté à Créteil, Ondama voit son contrat résilié pour des motifs disciplinaires, ce qui l’oblige à rentrer à Brazzaville où il rejoint les Diables noirs pour quelques mois. Recruté par le WAC Casablanca en 2010, il enquille les buts et devient particulièrement populaire auprès des supporters wydadis. « Il est adoré, même quand ses performances sont moins bonnes », explique un agent bien implanté au Maroc. Depuis plus de cinq ans, l’international congolais est resté fidèle au WAC, malgré un crochet par l’Arabie saoudite en 2011-2012. Reste à savoir si l’attaquant, qui bénéficie d’excellentes conditions financières, se laissera de nouveau tenter par une aventure en Europe. Avec la maturité en plus.
On peut jouer pour une équipe qui lutte pour son maintien en Ligue 1 et faire partie des meilleurs buteurs du championnat. C’est le cas de l’Ivoirien Ghislain Guessan, 23 ans, attaquant du RC Arbaâ, un modeste club algérien désargenté et mal équipé, qui au 5 mars a inscrit 8 buts. « Je suis venu à Arbaâ parce que c’était la seule piste sérieuse pour moi en 2014 », explique ce Parisien de naissance formé au FC Nantes, passé professionnel à Padoue (Italie) et revenu en France, à Tours. « Ici, c’est difficile. Le premier entraîneur que j’ai eu n’aimait pas les joueurs qui arrivent de France, même s’ils sont d’origine algérienne. Les installations sont très modestes, il y a des retards fréquents dans le versement des salaires, mais c’est une bonne expérience. Je me dis que si tu parviens à t’en sortir ici, tu peux réussir n’importe où. » L’Ivoirien, qui partira obligatoirement en cas de relégation de son équipe (les formations de Ligue 2 n’ont pas le droit d’avoir des étrangers sous contrat), dispose de quelques contacts en France (Ligue 2), en Suisse ou au Portugal. « L’Europe est ma priorité », reconnaît-il.
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