Lu et approuvé : « Je suis la fille du baobab brûlé », de Rodney Saint-Éloi

Chronique du dernier recueil de Rodney Saint-Éloi par Alain Mabanckou.

Couverture du livre. © Éditions Mémoire d’encrier.

Couverture du livre. © Éditions Mémoire d’encrier.

ProfilAuteur_AlainMabanckou

Publié le 16 mars 2016 Lecture : 2 minutes.

À Piétonville en janvier. © Orlando Barria/EFE/MAX PPP
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Littérature : Haïti, épicentre poétique

Malgré les aléas de l’Histoire et les catastrophes naturelles, la première République noire est une terre de création féconde. Une terre où une riche littérature francophone se déploie dans un univers créole, où les romanciers sont des poètes et les poètes des romanciers, où la mort rôde et nourrit une vitalité artistique des plus foisonnantes.

Sommaire

On nous dit souvent que la poésie a perdu son lectorat, lâchée par les maisons d’édition et boudée par la grande presse littéraire. Faut-il prêter l’oreille à une telle oraison funèbre ? Je ne le pense pas. Le dernier recueil du Canadien d’origine haïtienne Rodney Saint-Éloi, Je suis la fille du baobab brûlé, possède toutes les qualités pour nous réconcilier avec ce genre littéraire : émotion et profondeur de la méditation.

Les premiers mots sur lesquels s’ouvre cet ouvrage sont ceux murmurés par cette voix qui ne nous quittera plus : « Je suis la fille du baobab brûlé. Ceci n’est pas un poème. » Un clin d’œil à La Trahison des images, l’un des tableaux les plus connus de René Magritte, où l’on voit une pipe avec la légende : « Ceci n’est pas une pipe. » À l’instar du peintre belge, le poète fraîchement élu à l’Académie des lettres du Québec nous signifie que le vrai visage des choses n’est pas forcément de l’ordre de l’apparent. Les images peuvent trahir, détourner la réalité, et c’est à l’art (pour Magritte) et à la poésie (pour Saint-Éloi) de leur rendre leur authenticité.

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Ce murmure est un chant intérieur, mais avec une fenêtre donnant sur l’océan de nos incertitudes, de nos angoisses. Cette voix grave attachante est en réalité à la quête d’un corps à habiter : « Mon corps sauvage m’attend quelque part / où je suis invitée / Je fais le vœu d’être fidèle aux vents contraires ».

« Dans une main le soleil et dans l’autre la terre », la fille du baobab brûlé nous raconte son « rendez-vous avec la première étoile qui tombe » tandis que la présence des éléments naturels distille une atmosphère inouïe de recueillement. Qui est-elle réellement ? Elle est en nous et dort du « sommeil de l’escargot ». Ni jeune ni vieille, elle a « l’âge des tombeaux anciens ». Elle ne cherche pas forcément l’amour, consciente que ce dernier « s’en va toujours trop loin ». Son destin est de marcher : elle a signé « un pacte avec la route » afin de dévoiler au sable « le cœur pourri des océans ».

On lit ce texte le cœur serré, car ici se joue en filigrane la question des frontières, celles, étendues marines, de l’espace insulaire, mais surtout d’une errance qui dit « l’histoire des vaincus ». La fille du baobab brûlé nous rappelle que le monde ne sera sauvé de son déséquilibre actuel que par la poésie, c’est-à-dire le siège de la Parole originelle ! Le recueil a d’ailleurs été finaliste du prix des Libraires du Québec et du prix Carbet de la Caraïbe…

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Je suis la fille du baobab brûlé, de Rodney Saint-Éloi, ed. Mémoire d’encrier, 92 pages, 12 euros.

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