Rabatgate

Déjà sévèrement critiqué par ses opposants du PAM en raison de choix budgétaires discutables, voilà le maire islamiste de la capitale au cœur d’un scandale qui pourrait lui coûter son poste.

Le 19 février, la réunion du Conseil de la ville tourne à la foire d’empoigne. © AIC PRESS

Le 19 février, la réunion du Conseil de la ville tourne à la foire d’empoigne. © AIC PRESS

fahhd iraqi

Publié le 28 mars 2016 Lecture : 6 minutes.

Chaises et tables renversées, insultes, pugilat, maire évacué, vote perturbé… Le 19 février, les élus du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste) et du Parti Authenticité et Modernité (PAM) ont transformé la salle du Conseil de la très paisible Rabat en ring ! Tout un symbole, les deux partis ennemis se disputant la gouvernance de la capitale. Une rivalité qui ne date pas de ce jour-là…

Le 16 septembre 2015, Rabat, comme la plupart des principales villes du royaume, bascule dans le camp islamiste. L’union (pas si) sacrée de la majorité gouvernementale a fonctionné pour le second tour des communales dans la capitale. Les conseillers du Mouvement populaire (MP) et du Rassemblement national des indépendants (RNI) ont voté en faveur du PJDiste Mohamed Sadiki. Avec ses 59 voix, il devance largement son challenger du PAM, Ibrahim Joumani (21 voix), et devient ainsi le premier maire islamiste de la capitale.

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Des tensions entre le maire et l’opposition

Président de l’Association des ingénieurs du PJD, Sadiki, peu connu du grand public, a occupé le poste de directeur de cabinet d’Abdelaziz Rebbah, ministre de l’Équipement. Son entourage vante sa « grande compétence », son « ouverture d’esprit » et ses talents de négociateur. « C’est sûr qu’il adoptera dans le cadre de ses nouvelles fonctions un mode de gestion participatif », disait de lui un conseiller d’Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement et secrétaire général du PJD. Mais la suite des événements ne sera guère favorable à Sadiki, lequel se retrouve aujourd’hui au cœur d’un scandale qui pourrait lui coûter son mandat…

Dès les premières réunions du nouveau Conseil de la ville de Rabat, les tensions entre le maire et son opposition sont palpables. Quand Sadiki présente le budget de la ville, en décembre 2015, les élus du PAM crient à la gabegie, le maire ayant choisi de réaffecter un montant de 2 millions de dirhams (environ 184 000 euros) initialement destiné à des projets sociaux au renouvellement du parc automobile. Mais les conseillers de l’opposition ont beau ruer dans les brancards, le PJD peut s’appuyer sur une écrasante majorité. Un budget de plus de 900 millions de dirhams est donc voté, mais il n’est pas validé pour autant par la wilaya.

Les élus du PAM savaient qu’ils ne pouvaient pas bloquer le vote, ils ont donc tenté de perturber la séance, nous a assuré Sadiki pour expliquer les incidents qui ont émaillé la réunion

« Il était déficitaire de 35 millions de dirhams, nous explique Mohamed Sadiki. Nous sommes alors convenus avec la tutelle qu’elle supporte 15 millions de dirhams, à charge pour les arrondissements de réduire leurs dépenses de 20 millions de dirhams pour retrouver ainsi l’équilibre. Mais cela supposait de soumettre le budget à un vote des élus en deuxième lecture. » Ce point inscrit à l’ordre du jour de la session du Conseil du 19 février sera à l’origine du chaos…

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« Les élus du PAM savaient qu’ils ne pouvaient pas bloquer le vote, ils ont donc tenté de perturber la séance », nous a assuré Sadiki pour expliquer les incidents qui ont émaillé la réunion et dont les images ont fait le tour des réseaux sociaux. « Archifaux ! » rétorquent les conseillers du PAM. Lors d’une conférence de presse organisée au lendemain de cette session tumultueuse, leur porte-parole a déclaré que « le président du Conseil de la ville recourt à des méthodes non démocratiques. Il n’a même pas voulu réagir à un point que nous avions soulevé concernant des révélations de la presse mettant en question ses capacités à assumer ses fonctions ».

Une mise à la retraite anticipée pour Sadiki

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Quelques jours seulement avant ce 19 février, des documents embarrassants pour Mohamed Sadiki avaient en effet été rendus publics par le site d’information barlamane.com, en l’occurrence des échanges entre le maire et ses anciens employeurs. En avril 2012, alors directeur à la Redal, filiale de Veolia Environnement Maroc, Sadiki, qui négociait un départ volontaire, avait écrit au directeur de la société délégataire de distribution d’eau et d’électricité pour demander un « départ en retraite anticipée pour raisons de santé ». Demande à laquelle la direction de Redal a répondu par courrier officiel indiquant que « la commission médicale certifie que l’état de santé de M. Sadiki justifie sa mise à la retraite anticipée ». Ces documents « tombés du ciel » ont servi alors aux élus du PAM pour porter un coup sévère au maire, lequel a vu ses capacités mentales et physiques, ainsi que sa probité – il aurait touché, selon ses détracteurs, des indemnités de départ de plus de 1 million de dirhams -, mises en doute.

Contacté par J.A., Mohamed Sadiki n’a pas souhaité s’exprimer sur les conditions de son départ de Redal. « Je dirai tout à propos de cette histoire en temps voulu », nous a-t-il déclaré. Et pour cause. La communication de l’intéressé a été tout aussi chaotique que cette séance du Conseil où il a raté l’occasion de désamorcer l’affaire. Après avoir commencé par tout nier en bloc, l’homme a fait vœu de silence, laissant le soin à son entourage de tenter de sauver les meubles. Son premier vice-président à la mairie, Lahcen Omrani, a ainsi affirmé que « Sadiki souffrait à cette époque de tension artérielle et qu’il avait fait valoir ses droits à une retraite anticipée », précisant par la même occasion que l’indemnité de départ était à peine de 300 000 dirhams « pour vingt-huit ans de service à des postes de responsabilité ». Sauf que le mal était déjà fait et qu’il était trop tard pour minimiser la portée politique de l’affaire…

Le ministère de l’Intérieur a décidé d’ouvrir une enquête à la suite de la demande des élus du PAM

Le maire de la capitale se retrouve aujourd’hui cerné de toutes parts. Pour son budget toujours bloqué, il doit négocier désormais avec la wilaya « une solution politique » qu’il devra trouver avant la prochaine réunion du Conseil, prévue pour le mois de mai. En parallèle, le ministère de l’Intérieur a décidé d’ouvrir une enquête à la suite de la demande des élus du PAM, qui ont annoncé avec fracas la suspension de leur participation au Conseil de la ville. « C’est une procédure normale vu l’ampleur de cette affaire », nous a confié un responsable du ministère de l’Intérieur.

Les conclusions de l’enquête seront donc décisives pour le sort de Sadiki. « Ça crée un précédent ! La capitale n’a jamais été au centre de pareille polémique. Et tout reste possible dans cette affaire, a fortiori au cours d’une année électorale », redoute notre source de l’Intérieur. Au sein même du PJD, le soutien à Sadiki ne semble pas indéfectible. « Le parti attend les conclusions de l’enquête du département de l’Intérieur avant de trancher sur le cas Sadiki », nous a affirmé un proche d’Abdelilah Benkirane.

Comprendre : la formation politique pourrait sacrifier son maire s’il fallait en arriver là. D’autant que Sadiki n’est pas le genre de personnage susceptible de perturber l’appareil du parti. Bien qu’il soit issu de la matrice idéologique du PJD – le Mouvement unicité et réforme (MUR) -, il est resté cantonné jusqu’aux dernières communales aux seconds rôles. Bien que membre du conseil national de la formation islamiste, il s’était contenté du poste de chef de cabinet en 2011, pendant que les maroquins ministériels étaient distribués à ses camarades. Sauf que le lâcher reviendrait pour le PJD à admettre une cuisante défaite face à son principal rival, le PAM.

Le précédent de 2014

Il y a deux ans, déjà, les élus du PAM et du PJD en étaient presque venus aux mains dans la salle du Conseil de Rabat. Le maire socialiste de l’époque, Fathallah Oualalou, avait dû annuler la session d’avril 2014, qui avait démarré dans une atmosphère houleuse, la réunion devant examiner une demande de limogeage de l’un des adjoints au maire, le PJDiste Abdeslam Balaji. Cet ancien député était alors accusé de « mauvaise gestion, d’octroi d’aides financières à des associations sans l’aval du Conseil de la ville ». Balaji avait néanmoins bénéficié du soutien de son parti et avait pu arriver au terme de son mandat. Mais, à l’époque, le ministère de l’Intérieur n’était pas monté au créneau pour ouvrir une enquête.

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