Brésil : Dilma Rousseff et Lula dans l’impasse

L’étau se resserre autour de Dilma Rousseff, attaquée de toutes parts. Pour épargner la prison à Lula, son prédécesseur et mentor, la présidente l’avait fait entrer au gouvernement. Las ! un juge s’oppose à cette nomination.

À Sao Paulo,
le 13 mars, d’innombrables manifestants exigent
la destitution
du chef de l’État. © PAULO WHITAKER/REUTERS

À Sao Paulo, le 13 mars, d’innombrables manifestants exigent la destitution du chef de l’État. © PAULO WHITAKER/REUTERS

Publié le 23 mars 2016 Lecture : 4 minutes.

« Dehors le PT, et emmène Dilma avec toi ! Lula, salopard, rends-nous notre argent ! » Une fois de plus, la bonne société brésilienne est descendue dans la rue pour crier son exaspération. Les rassemblements de masse contre la présidente Dilma Rousseff ont commencé il y a un an, presque jour pour jour. Les mots d’ordre sont toujours les mêmes, mais un héros national a depuis fait irruption sur le devant de la scène : le juge Sergio Moro. Ce jeune (44 ans) magistrat ouvertement d’opposition est longtemps resté inconnu du grand public.

Tout a changé depuis qu’il est chargé de l’opération Kärcher censée faire toute la lumière sur l’affaire Petrobras, le plus gros scandale de corruption qu’ait connu le Brésil. Le juge Moro s’inspire à l’évidence de l’opération Mani Pulite (« mains propres »), le coup de filet anticorruption qui, dans l’Italie du début des années 1990, provoqua l’effondrement de plusieurs partis politiques. Au Brésil, après deux ans d’enquête, Moro a fait condamner 133 cadres de grandes entreprises et responsables politiques de toutes obédiences. Sans précédent dans l’histoire du pays !

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L’arrestation de Lula

L’interpellation la plus attendue a eu lieu le 4 mars au domicile de Luiz Inácio Lula da Silva. Le juge soupçonne en effet l’ancien président (qui, dans une autre vie, fut ouvrier métallurgiste) d’avoir touché de diverses entreprises impliquées dans le scandale Petrobras 30 millions de reals (7,2 millions d’euros) sous la forme de dons ou par le biais de la rénovation de maisons. Lula est également soupçonné d’occultation de patrimoine : il serait propriétaire d’un triplex – ce qu’il nie – qu’il n’a jamais déclaré.

Ses partisans croient voir la preuve d’un acharnement de la justice à son encontre dans le fait que le parquet de Sao Paulo a demandé sa mise en détention provisoire. Selon les magistrats, Lula, aujourd’hui âgé de 70 ans, est un fauteur de troubles, dès lors qu’il a appelé à la tenue de manifestations destinées à le soutenir : « Il ne peut en aucun cas inciter la population à s’insurger contre les investigations criminelles du ministère public et de la police, et pas davantage contre les décisions du pouvoir judiciaire. »

L’affaire Petrobras 

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Les récentes et fracassantes révélations de Delcídio do Amaral, un sénateur membre du Parti des travailleurs, peuvent-elles changer la donne ? Selon le quotidien O Globo, le parlementaire serait passé aux aveux et, dans une déposition de 200 pages, accuserait Rousseff d’être intervenue pour faciliter la libération de certains dirigeants d’entreprise impliqués dans l’affaire Petrobras. Elle aurait également reçu des dirigeants d’une usine de Belo Monte de l’argent pour financer sa campagne électorale de 2010.

Ces révélations ne risquent pas d’arranger sa situation judiciaire, déjà fort délicate. Une enquête est en effet en cours concernant le financement illégal par Odebrecht, le géant du BTP, de sa campagne de 2014. Si ces accusations étaient démontrées, le Tribunal suprême électoral n’aurait d’autre choix que d’annuler les élections. Ce serait la chute de Dilma Rousseff, mais aussi de Michel Temer (PMDB, centre droit), son vice-président, constitutionnellement chargé d’assurer l’intérim en cas d’empêchement du chef de l’État.

La procédure de destitution de la présidente s’ouvrira en mai et devrait durer deux mois

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Et c’est à ce moment qu’interviendrait Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés et irréductible ennemi de Rousseff : c’est lui qui a donné le feu vert à la procédure de destitution. En cas d’empêchement, Cunha disposerait de quatre-vingt-dix jours pour organiser de nouvelles élections. Mais ce scénario semble assez irréel dans la mesure où c’est sur ce fervent évangélique que pèsent les plus lourds soupçons de corruption et de blanchiment dans l’affaire Petrobras ! La Cour suprême vient d’ailleurs de lever son immunité parlementaire et s’apprête à le traduire devant un tribunal.

Sur un autre front, la procédure de destitution de la présidente s’ouvrira en mai et devrait durer deux mois. L’ancienne guérillera est accusée d’avoir eu recours à des pirouettes fiscales pour minimiser l’importance du déficit budgétaire en pleine année électorale. Selon les juristes, l’accusation manque de solidité dans la mesure où cette pratique, pour répréhensible qu’elle soit, n’en est pas moins habituelle : tous les prédécesseurs de Rousseff y ont semble-t-il eu recours. Pour que la destitution devienne effective, il faudrait en outre que les deux tiers des députés et des sénateurs en décident ainsi. Ce qui est loin d’être assuré.

LULA, L’IMPOSSIBLE SAUVEUR ?

En pleine tempête, la présidente ne lâche pas le gouvernail. Non seulement elle n’entend pas démissionner, mais elle veut nommer Lula chef de cabinet du gouvernement (l’équivalent de Premier ministre). L’opposition est vent debout contre cette décision et accuse Lula de vouloir échapper à la justice ordinaire. Devenu ministre, il ne dépendrait plus en effet du redoutable juge Moro, mais du Tribunal suprême fédéral (TSF). Mais gagnerait-il vraiment au change ? « Rien ne dit que les magistrats du TSF se montreraient plus cléments avec lui », estime le juriste Michael Mohallem.

Désireux de ne prendre aucun risque et craignant que la présidente ne cherche à entraver la marche de la justice, Moro a froidement suspendu cette nomination le 17 mars. C’est désormais la guerre ouverte. Et tous les coups sont permis.

Figure emblématique du miracle brésilien, Lula a réussi à sortir de la misère 40 millions de ses compatriotes. À la fin de ses deux mandats, il jouissait d’une cote de popularité stratosphérique : 80 % d’opinions favorables. Mais depuis la multiplication des scandales de corruption, son aura en a pris un sacré coup. « Il ne pourra pas sauver Dilma, décrypte Mohallem, parce que lui-même ne pense qu’à une chose : éviter d’aller en prison. » C’est ce que semble confirmer la publication (pas forcément légale) par ce même juge Moro, le 16 mars, d’écoutes téléphoniques fort compromettantes pour la présidente et son mentor. La rue s’est aussitôt enflammée, le Parlement aussi. Dilma Rousseff peut-elle encore sauver sa peau ?

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