Street art : Shoof, calligrapheur tunisien

Enfant de la médina de Tunis, Hosni Hertelli – de son vrai nom – déconstruit l’alphabet arabe pour s’interroger sur la place du langage dans nos sociétés contemporaines.

Le street artiste Shoof à Djerba, en Tunisie © Facebook/DR

Le street artiste Shoof à Djerba, en Tunisie © Facebook/DR

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 25 mars 2016 Lecture : 4 minutes.

Le mouvement est vif, répétitif, sans hésitation et parfaitement rythmé. Le pinceau brosse presque mécaniquement les plaques de verre qui surplombent un amphithéâtre au centre duquel s’élèvent, mystérieuses et magiques à la fois, les voix des six munshid (chanteurs religieux musulmans) de l’ensemble Al Nabolsy. Dans un geste de parfait métronome, non sans une certaine grâce, Shoof bouscule l’alphabet arabe avec une calligraphie qui épouse la chorégraphie circulaire et infinie de trois derviches tourneurs, danseurs de la confrérie soufie Mawlawiyya de Damas qui ont offert un moment de grâce aux visiteurs du musée du quai Branly en novembre 2015. Au même moment, des fous de Dieu, kalachnikov à la main, ceinture d’explosifs au corps, tuaient 130 personnes dans les rues de Paris et de Saint-Denis.

Utilisant de la peinture, qu’il dilue avec plus ou moins d’eau, le street artist tunisien dessine des morceaux de lettres qui dégoulinent. Une coulure, qui dans un mouvement paradoxal donne l’impression que le trait s’étire vers le ciel. La calligraphie de cet autodidacte n’est pas orthodoxe. « Elle est même illisible, reconnaît-il, car elle est abstraite. Je déconstruis les lettres pour un résultat qui, au final, est lisible et compréhensible par tous. On retrouve cette dimension dans les chants de ces soufis. C’est extraordinaire de voir le public de White Spirit applaudir et ovationner ces artistes, dont les chants sont des louanges à Dieu que la très grande majorité des spectateurs parisiens ne comprend pas. L’art est ce qui nous réunit. »

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Une démarche minimaliste

La démarche de Shoof est « minimaliste » : un seul pinceau, une seule couleur, un seul rythme pour « renouer avec le battement premier, celui qui résonne au fond de chacun d’entre nous, celui du cœur ». La lettre arabe vient de sa culture première, mais c’est un prétexte qui permet à l’artiste de s’interroger sur la place du langage dans « un monde de peur et de xénophobie ». « En fait, il n’y a pas de communication, on n’échange rien. Pour comprendre un langage, il faut en posséder les codes. Or les codes, c’est l’élite qui les détient », affirme cet enfant de la médina de Tunis qui rappe et tague en toute clandestinité sous Ben Ali.

Né dans une famille « modeste mais lettrée », élevé par sa mère et la famille de cette dernière alors que son père était parti en France trouver de quoi nourrir les siens, Hosni Hertelli a suivi le chemin du paternel afin de poursuivre ses études. En 2004, il atterrit à Paris et s’inscrit en droit à l’université Paris-Nanterre. Après un double DEA (en histoire et anthropologie juridique et en sociologie politique comparée), le jeune homme, cultivé et bosseur, entame un doctorat. Pour se changer les idées et « ne pas penser », il griffonne sur un cahier un dessin figuratif qu’il répète et qui finit par l’obséder et le dévorer.

Sa collaboration avec Mehdi Ben Cheikh

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Rencontré lors d’une soirée étudiante, Mehdi Ben Cheikh, un Franco-Tunisien qui a ouvert une galerie de street art en 2004 dans le 13e arrondissement de Paris, jette un œil à ses brouillons. « Il m’a dit : « Travaille, et quand ce sera bon je t’exposerai. » » Le moment venu, il tiendra parole. Shoof sera l’un des 108 artistes internationaux sélectionnés pour participer au projet, éphémère et vertigineux, de la « Tour Paris 13 ». Des mois durant, avant que l’immeuble de neuf étages soit rasé, chacun a investi l’une des nombreuses pièces des 36 appartements pour un résultat hors norme fortement médiatisé.

Shoof renouvelle sa collaboration avec Mehdi Ben Cheikh en 2014 et participe au projet « Djerbahood », transformant le paisible bourg d’Erriadh en une galerie à ciel ouvert où la poésie le dispute au dynamisme des fresques hautes en couleur. Des projets qui lui ont apporté une certaine reconnaissance et lui permettent depuis deux ans de vivre modestement de son art.

Si j’étais français, je voterais Mélenchon, mais par défaut !

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Installé à Nantes avec sa femme – tunisienne comme lui – et leur fillette loin de la fureur de la capitale française, Hosni Hertelli construit dorénavant sa vie en France, à l’image de ce père absent, qu’il ne voyait guère qu’une fois l’an et qui n’aura jamais réussi à être « un repère ». « Je n’ai pas la nationalité française. Je suis un immigré, comme mon père », affirme ce citoyen du monde aux convictions anarchistes qui dénonce aussi bien la brutalité du capitalisme que la politique menée par le couple Hollande-Valls. « Si j’étais français, je voterais Mélenchon, mais par défaut ! » avance celui qui n’en oublie pas pour autant sa terre natale.

Et déclare, lucide : « La situation bouge, c’est mieux que l’état stationnaire. Mais les mentalités n’évoluent pas du jour au lendemain et il n’y a pas eu de révolution en Tunisie. Il n’y en a jamais eu, nulle part. La véritable révolution, c’est celle qui mettrait fin aux castes dominatrices. Chaque fois, on a remplacé une caste par une autre. Quant au jasmin, c’est une fleur ! »

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