Afrique de l’Ouest : des architectes… archidoués
Ils innovent, proposent, bâtissent… Une nouvelle génération d’architectes ouest-africains est déjà à l’oeuvre. Son objectif : donner un coup de jeune aux villes, tout en respectant leur identité.
Afrique de l’Ouest : votre ville change, et vous ?
Abidjan, Conakry, Ouaga, Bamako… Elles se modernisent, se connectent, deviennent vertes. D’autres sont créées ex nihilo. Place à une nouvelle génération de métropoles.
Mouhamadou Abass Sall, fondateur et directeur général du cabinet d’architecture Lamtôro
En 2007, lorsqu’il commence sa carrière et crée son atelier, Lamtôro (« le roi du Tôro », en pulaar), il est le plus jeune membre du Conseil de l’ordre des architectes du Sénégal. Fils de Cheikh Ahmed Tidiane Sall Ibn Abass, ancien diplomate reconverti dans la construction immobilière et la prospection minière, Mouhamadou Abass Sall passe une partie de son enfance à Alger et à Koweït City. À l’âge de 7 ans il rentre au Sénégal, où il passe un bac scientifique. « Mon père voulait que je fasse des études d’ingénieur en génie civil. Moi, se souvient-il, j’hésitais entre le génie informatique et l’architecture. J’ai finalement choisi la deuxième option, car cela correspondait un peu à ses activités de promoteur immobilier. »
Direction la France et l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa) de Grenoble, dont il sort diplômé en 2007. Une semaine après, le jeune architecte rentre au bercail. « Mon père m’a demandé de travailler à ses côtés, et cela correspondait parfaitement à mes objectifs professionnels », confie-t-il. Mouhamadou Abass Sall, qui n’avait pas encore 25 ans, a dû se battre pour se faire une place, s’imposer et « vendre » ses projets, mais l’important portefeuille de commandes de son père, aujourd’hui disparu, lui a permis de décrocher ses premiers marchés. « J’ai eu la chance d’avoir un père qui était très actif. Il m’a confié le premier projet immobilier sur lequel j’ai travaillé : le Collège université islamique Aboul Abass Ahmed Tidiane [CUIM]. »
Le cabinet accumule les commandes émanant des pouvoirs publics, d’entreprises et de particuliers
Aujourd’hui, à 33 ans, le jeune patron – par ailleurs imam d’une zawiya fondée par son père dans le quartier dakarois de Kawsara Sud-Foire – a trouvé ses marques. Dans ses bureaux du Point-E, un quartier chic de la capitale sénégalaise, le cabinet accumule les commandes émanant des pouvoirs publics, d’entreprises et de particuliers (équipements, bureaux, programmes résidentiels…) et a par ailleurs créé un atelier expérimental de design spécialisé dans le mobilier haut de gamme. S’il est l’un des benjamins de sa corporation à Dakar, Mouhamadou Abass Sall a son franc-parler. Il se montre par exemple très critique vis-à-vis du recours quasi systématique à des cabinets d’architecture étrangers.
Une mauvaise habitude sénégalaise – et ouest-africaine – qu’il explique par la persistance d’un complexe d’infériorité devant tout ce qui vient de l’étranger et par un problème de qualité des réalisations locales, même si, s’empresse-t-il de préciser, il existe d’excellents professionnels sur le marché. « Nombre d’architectes, déplore-t-il, se sont installés dans une vision de court terme et ne font pas cet indispensable effort de recherche et de rigueur. Je ne crois pas à l’image de l’architecte illuminé. » Lui garde la nature comme principale source d’inspiration de sa vision architecturale. « On ne pourra jamais faire aussi beau, aussi équilibré en matière de volumes, de formes, de coloris, de lumière… C’est la meilleure base de données créative que l’on puisse utiliser ! »
Robert Daoud, fondateur et directeur général d’Archibo Design Group, et Sionfougo Soro, architecte, directeur du département Créa
Ils n’ont pas encore la renommée internationale de leurs confrères Guillaume Koffi et Issa Diabaté, mais avec Archibo Design, qu’ils ont créé en 2010, les Ivoiriens Robert Daoud (38 ans) et Sionfougo Soro (28 ans) se sont déjà fait un nom.
Après un diplôme d’études supérieures (DES) en architecture à l’université Saint-Esprit de Kaslik, au Liban, Robert Daoud débute sa carrière en 1998 en tant que responsable des créations du bureau d’architecture d’intérieur de Roche Bobois à Beyrouth, jusqu’à son départ pour la Côte d’Ivoire, en 2002, où il prend la direction du bureau d’études et d’exécution de Fima Group. C’est en 2010 qu’avec Alain Kouadio, fondateur du groupe immobilier Kaydan et actuel vice-président du patronat ivoirien, Robert Daoud crée le cabinet Archibo Design.
En cinq ans, ils n’ont pas chômé : résidences privées, immeubles de bureaux ou d’appartements, lotissements, sièges d’entreprise, magasins, restaurants
La même année, Sionfougo Soro sort diplômé de l’École africaine des métiers de l’architecture et de l’urbanisme (EAMAU) de Lomé – qui lui attribue le prix du meilleur projet d’architecture de l’année – et rejoint l’équipe. En cinq ans, ils n’ont pas chômé : résidences privées, immeubles de bureaux ou d’appartements, lotissements, sièges d’entreprise, magasins, restaurants (notamment L’Œnophile, le Life Star et Zino Prestige, à Abidjan)…
Ils enchaînent les réalisations en Côte d’Ivoire, dans la sous-région – à Dakar, à Cotonou, à Lomé et à Bamako (où leur projet a été retenu pour la rénovation du palais présidentiel de Koulouba, pour le moment suspendue) -, mais aussi au Maroc, en RD Congo et au Congo. Leur signature : la fluidité, la lumière et la transparence. À l’image du futuriste immeuble Arc-en-Ciel qui abrite le siège d’Archibo, au Plateau, face à la baie de Cocody.
Sénamé Koffi Agbodjinou, architecte et anthropologue, fondateur de L’Africaine d’architecture et du WoèLab
À 36 ans, Sénamé Koffi Agbodjinou est la nouvelle star de la scène « tech » ouest-africaine. Après deux années de maths sup à l’université de Lomé, c’est lors de ses études à Paris qu’il découvre les « fab-lab » (laboratoires de fabrication numérique). En 2010, il crée L’Africaine d’architecture, une plateforme de réflexion sur les smart cities (« villes intelligentes »), et, en 2012, fonde le WoèLab (woè signifie « fais-le » en éwé). Installé à Lomé et entièrement autofinancé, ce premier fab-lab togolais a pour objectif de permettre aux habitants de façonner leur quartier via les technologies de l’information et de la communication.
« C’est un mouvement #LowHighTech, explique Sénamé Koffi. Il vise à développer des projets de pointe, mais avec les ressources que l’on a sous la main. » Onze start-up ont été incubées depuis 2012, dont celle d’Afate Nikou, qui a créé la première imprimante 3D 100 % africaine (élue meilleure invention des dix dernières années aux Global Fab Awards 2014, à Barcelone), construite à partir de déchets informatiques. Les prochains défis de cet architecte ? Ouvrir d’autres « lieux de production de la ville » et montrer que sa « hub-cité » est un modèle d’urbanisation alternatif, participatif, économiquement viable.
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