Maroc – ONU : retour sur les coulisses d’une crise sans précédent
En qualifiant la présence marocaine d’« occupation » à l’issue d’une visite dans les camps de Tindouf, Ban Ki-moon a provoqué une crise diplomatique sans précédent avec le royaume. Qui menace de couper les vivres à la mission onusienne déployée sur le territoire.
Intraitable. Dès qu’il est question du Sahara, la diplomatie marocaine devient intraitable. À peine la fâcherie avec les instances de Bruxelles, provoquée par une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (qui avait qualifié le Maroc de « force d’occupation ») est-elle en passe de se dissiper que Rabat hausse à nouveau le ton. Sa cible ? Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, désormais au cœur d’une crise d’une ampleur inédite. Retour sur ce feuilleton à rebondissements.
Comment cette crise a-t-elle dégénéré ?
Alger, dimanche 6 mars. Ban Ki-moon tient une conférence de presse aux côtés de Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères. Elle conclut une tournée dans la région, qui a conduit le secrétaire général de l’ONU au Burkina, en Mauritanie et, surtout, dans les camps sahraouis de Tindouf. À propos de cette escale, justement, il déclare avoir « été attristé de voir autant de réfugiés ». « Les enfants qui sont nés au début de cette occupation ont désormais 40 ou 41 ans », ajoute-t-il.
Aussitôt, le Maroc voit rouge. Et considère le terme « occupation » « inapproprié politiquement et contraire aux résolutions du Conseil de sécurité ». Pis, c’est « une insulte pour le gouvernement et le peuple marocains », selon le communiqué du ministère des Affaires étrangères, publié le 8 mars. Alors que Rabat espérait que la langue de Ban Ki-moon avait fourché, le porte-parole du Sud-Coréen enfonce le clou en rappelant que « le statut du territoire du Sahara occidental reste à définir. C’est un territoire non autonome. Le secrétaire général a évoqué l’occupation en se référant à l’incapacité des refugiés sahraouis à retourner chez eux dans des conditions satisfaisantes de gouvernance ».
Les Marocains sont prêts à prendre les armes pour défendre leur Sahara, a déclaré Abdelilah Benkirane
Il n’en fallait pas plus pour que l’appareil d’État marocain se mette en branle. Le 12 mars, le Parlement se réunit en session extraordinaire. Abdelilah Benkirane, le chef du gouvernement, déclare que « les Marocains sont prêts à prendre les armes pour défendre leur Sahara ». Le lendemain, une marche rassemble 3 millions de personnes, selon l’agence de presse officielle MAP. Ban Ki-moon en prend pour son grade : les slogans des manifestants acheminés de toutes les régions du pays ne sont pas vraiment amènes. Les propos de certains élus sont à l’avenant.
Le 14 mars, Salaheddine Mezouar, le ministre des Affaires étrangères, qui devait accompagner Mohammed VI en Russie, change de cap et s’envole pour New York. Au terme de sa rencontre avec Ban Ki-moon, au siège de l’ONU, leur poignée de main en dit long : traits tirés, regards inexpressifs… La tension est à son comble.
Pourquoi Rabat hausse le ton
Élu à la tête de l’ONU quelques mois après que le Maroc a présenté un plan d’autonomie pour le Sahara, Ban Ki-moon ne s’est jamais vraiment montré enthousiaste. Aux yeux des diplomates du royaume, si les négociations de Manhasset, lancées en 2007, ont tourné court, c’est que les deux parties n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur une base de discussions. « L’ONU aurait pu soutenir la proposition marocaine, que les grandes puissances considéraient comme réaliste et sérieuse. Au contraire, le secrétaire général a tout fait pour qu’elle ne soit jamais incluse dans les résolutions onusiennes », explique un connaisseur du dossier.
Dès lors, les escarmouches se multiplient. En 2012, quand le Maroc demande que Christopher Ross, l’envoyé spécial au Sahara, soit écarté, Ban Ki-moon s’entête à le maintenir en poste. Le scénario se répète avec Kim Bolduc, représentante spéciale et, de facto, patronne de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso), dont il soutient la nomination, en 2014, malgré les réticences marocaines.
Le Maroc espérait que les déplacements du secrétaire général de l’ONU à Tindouf resteraient neutres
Les conditions mêmes de la dernière tournée du Sud-Coréen laissaient présager une crise. Au-delà du télescopage entre son agenda et celui de Mohammed VI – qui a eu pour conséquence de reporter l’escale marocaine à juillet, avant qu’elle ne soit annulée -, le Maroc espérait que les déplacements du secrétaire général de l’ONU à Tindouf resteraient neutres. Pourtant, le programme de ses visites dans les camps a été modifié au dernier moment, à en croire une source diplomatique marocaine.
« Il n’était pas prévu que le représentant du Front Polisario à l’ONU l’accueille à Bir Lahlou [dans la zone tampon, que le Polisario qualifie de « territoire libéré »], sous une tente au-dessus de laquelle flottait le drapeau sahraoui. C’est inadmissible pour le Maroc, qui avait prévenu le cabinet du secrétaire général des risques de manipulation auxquels il s’exposait », poursuit la même source.
Autre geste de Ban Ki-moon qui a fortement déplu à Rabat : son appel à l’organisation d’une conférence des contributeurs à l’aide humanitaire destinée aux camps de Tindouf. « Lors de sa visite, il n’a à aucun moment évoqué le recensement des populations de Tindouf, cité comme un impératif dans toutes les résolutions du Conseil de sécurité, ni le détournement de l’aide humanitaire internationale destinée à ces camps », s’insurge la diplomatie marocaine.
Jusqu’où peut aller le Maroc ?
Estimant que les déclarations de Ban Ki-moon constituent « une dérive dangereuse », le gouvernement marocain a annoncé, le 16 mars, des mesures de rétorsion. La représentation permanente du royaume a remis au secrétariat général de l’ONU une liste de 84 personnes qui font partie de la composante civile de la Minurso et que Rabat juge indésirables.
Il était également question d’examiner « les modalités de retrait des contingents marocains engagés dans les opérations de maintien de la paix », annonçait un communiqué du ministère des Affaires étrangères, avant que Salaheddine Mezouar ne revienne sur cette décision dans une déclaration à l’agence Reuters.
Le royaume est néanmoins déterminé à annuler « sa contribution volontaire au fonctionnement de la Minurso »
Lors d’une réunion exceptionnelle du Conseil de sécurité, le 17 mars, le diplomate Ismael Gaspar Martins, président en exercice, a affirmé que les membres du Conseil, « gravement préoccupés » par la situation, allaient dialoguer individuellement avec le Maroc pour tenter de « stabiliser la situation » et de « la faire évoluer positivement ». Le Conseil n’a pas exprimé de soutien public au secrétaire général de l’ONU, ni enjoint à Rabat de revenir sur sa décision de couper les vivres à la Minurso.
Le royaume est néanmoins déterminé à annuler « sa contribution volontaire au fonctionnement de la Minurso ». Ce qui constitue un retour sur les engagements figurant dans la résolution du Conseil de sécurité adoptée le 28 avril 2015. « L’appellation même de Minurso est dépassée, explique un connaisseur. Elle évoque l’organisation d’un référendum, une option caduque selon le Conseil de sécurité, qui, depuis plus d’une décennie, s’est résolu à favoriser une solution politique. » Le renouvellement annuel du mandat de la Minurso, lors d’un vote au Conseil de sécurité, s’est transformé depuis quelque temps en épreuve pour la diplomatie marocaine. À chaque rendez-vous, le Polisario demande à ce que la mission élargisse ses compétences à la surveillance des droits de l’homme, pour tenter d’affaiblir la position du royaume.
Que va-t-il se passer au Conseil de sécurité ?
Cette année encore, le Maroc devra s’employer à contrer ces manœuvres. D’autant que le rapport du secrétaire général, qui doit faire l’objet d’un vote fin avril, risque fort d’être critique. L’attribution à la Minurso d’une mission de suivi des droits de l’homme pourrait refaire son apparition dans le projet de résolution. Les membres du Western Sahara Caucus, favorables aux thèses du Polisario, ont annoncé qu’une audition portant sur ce sujet serait organisée au Congrès des États-Unis le 23 mars. Une menace à relativiser, le Maroc étant toujours parvenu à mobiliser les grandes puissances pour écarter une telle hypothèse.
Il semble pouvoir compter désormais sur un nouvel allié, membre permanent du Conseil de sécurité. Car, pendant que la crise avec l’ONU prenait de l’ampleur, Mohammed VI signait avec le président Poutine, à Moscou, une « déclaration sur un partenariat stratégique approfondi ». Il y est stipulé que « la Russie et le Maroc ne soutiennent aucune tentative d’accélérer la poursuite du processus politique, ni aucun abandon des paramètres définis dans les résolutions actuelles du Conseil de sécurité ».
Comprenez : Poutine ne cautionne pas la pression que Ban Ki-moon exerce sur le Maroc, à quelques mois de la fin de son mandat de secrétaire général. En 2007, Moscou avait été sensible aux arguments de l’Algérie pour exclure du projet de résolution un passage qualifiant la proposition marocaine d’autonomie de « base réaliste des négociations ». Les temps changent, les positions aussi… D’ici à la fin avril, les sables mouvants du Sahara pourraient réserver bien des surprises.
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