Ces jihadistes, qui sont-ils ?
Cet éditorial a été publié dans n°2880 de Jeune Afrique, le 20 mars 2016, avant les attentats qui ont frappé la Belgique.
Vous le constatez comme moi : les attentats terroristes des jihadistes sont perpétrés de plus en plus souvent en Afrique, au nord comme au sud du Sahara.
La liste des attaques les plus récentes, qui n’inclut pas celles de Boko Haram au Nigeria et dans les pays voisins, le montre clairement.
France : 7-9 janvier 2015 (Charlie Hebdo et un Hyper Cacher) ; 21 août 2015 (un train Thalys) ; 13 novembre 2015 (le Bataclan)
Égypte : 31 octobre 2015 (un Airbus de la compagnie russe Metrojet au-dessus du Sinaï)
Tunisie : 18 mars 2015 (le Musée du Bardo, à Tunis) ; 26 juin 2015 (l’hôtel Imperial Marhaba, à Sousse) ; 24 novembre 2015 (un bus de la sécurité présidentielle à Tunis) ; 7 mars 2016 (la ville de Ben Guerdane)
Mali : 6 mars 2015 (le bar La Terrasse, à Bamako) ; 20 novembre 2015 (l’hôtel Radisson Blu, à Bamako)
Burkina Faso : 15 janvier 2016 (Ouagadougou)
Côte d’Ivoire : 13 mars 2016 (la station balnéaire de Grand-Bassam)
Al-Qaïda, inventeur du terrorisme aveugle, et son rejeton Daesh, encore moins scrupuleux, en sont les auteurs ; ils semblent engagés dans une macabre surenchère pour montrer au monde lequel, pour qu’on parle de lui, est pire que l’autre.
Ils ont choisi comme terrains d’opération tous les pays auxquels ils pourraient avoir accès et ont pris pour cibles des hôtels de tourisme ou d’affaires.
Examinons de plus près un phénomène qui traumatise des pays entiers les uns après les autres, donne l’impression de pouvoir durer ou même de s’amplifier.
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Sans compter la Turquie et l’Irak, ces actes ont fait, en quinze mois, dans nos pays ou des pays proches de nous, près de 2 000 morts et cinq fois plus de blessés. La plupart des victimes sont civiles, des hommes, des femmes ou des enfants dont le seul tort est de s’être trouvés « au mauvais endroit, au mauvais moment ».
Les mesures de sécurité destinées à annihiler le terrorisme, ou à tout le moins le contenir, se multiplient, particulièrement dans les pays qui se sentent visés, sans autre résultat que de déjouer quelques-unes des opérations en préparation.
Les voyages sont perturbés ou rendus plus hasardeux, l’industrie touristique de bien des pays est gravement affectée.
La législation se durcit un peu partout. Même dans les pays les plus démocratiques, on accepte de restreindre certaines libertés, de supprimer ou de suspendre certains droits ; les transferts financiers sont étroitement surveillés, et l’on en arrive, dans certaines vieilles démocraties, à jeter la suspicion sur des millions de « binationaux ».
En un mot comme en mille, on tend à donner de plus en plus de pouvoirs aux ministres de l’Intérieur et aux services de sécurité, et l’on parle de plus en plus ouvertement de « neutraliser » des terroristes avérés ou présumés, c’est-à-dire de les tuer, « d’éradiquer » le terrorisme et ses foyers.
À ce compte et à ce rythme-là, on peut vite en arriver, si l’on n’y prend garde, au tristement fameux « tuer d’abord, vérifier ensuite ».
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Il n’est que temps, me semble-t-il, de se poser deux questions.
Ces terroristes, combien sont-ils ? Qui sont-ils ?
Il est malheureusement avéré qu’ils sont plus nombreux, mieux équipés et peut-être plus motivés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a vingt-cinq ans, lorsque le terrorisme indiscriminé d’Al-Qaïda a fait ses premières victimes.
Cela signifie que la lutte menée depuis un quart de siècle pour le réduire ou le contenir a échoué. Ou, et c’est ce que je crois, que le regain que nous observons a été suscité par de nouveaux sujets de mécontentement.
Cette évolution négative prise en compte, le nombre des terroristes déterminés et qui, ayant sauté le pas, sont prêts à tuer au hasard et à mourir, est évalué à moins de 100 000 à l’échelle mondiale. C’est beaucoup, parce qu’ils étaient moins de 10 000 au début de ce siècle, et c’est peu si l’on ramène ce chiffre aux 7 milliards d’êtres humains, ou, si l’on considère le phénomène comme une « maladie de l’islam », au milliard et demi de musulmans.
Maladie de l’islam, il l’a été et l’est encore dans une large mesure. Mais les terroristes de 2016, s’ils utilisent l’islam comme couverture politique et cadre idéologique, sont désormais des hommes et des femmes originaires de tous les pays.
Ils n’ont parfois que 15 ans, rarement ou jamais plus de 30 ans : ce sont donc nos enfants ou nos frères et sœurs, en révolte contre nous et contre le système dans lequel nous avons trouvé notre place et dont ils se sentent rejetés.
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Pourquoi est-ce l’islam qu’ils utilisent ?
Les idéologies du XXe siècle – dont la principale, le communisme – sont mortes avec lui. Il n’y a plus de conscription militaire, et les guerres, lorsqu’il y en a, sont l’apanage des professionnels.
Où trouver l’aventure quand on la recherche, la fraternité lorsqu’on est seul, une occupation rémunérée lorsqu’on est chômeur, la réhabilitation lorsqu’on a été petit délinquant ?
Les sectes ? Difficile d’y entrer, et aucune n’est universelle.
Le judaïsme ? C’est une maison fermée.
Le christianisme ? Les États où il est majoritaire l’ont relégué hors de la sphère politique et il a son clergé qui en garde l’entrée.
Restait l’islam, où l’on entre le plus facilement du monde, par conversion sincère ou apparente. Les rudiments sont vite appris, et il n’est même pas nécessaire de connaître la langue du Coran : plus de 80 % des fidèles – Iraniens, Turcs, Pakistanais, Hindous, Indonésiens, Malais, Subsahariens – sont de bons musulmans sans parler ni comprendre l’arabe.
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Immobile depuis près de dix siècles, l’islam donne les premiers signes d’un lent réveil. Mais, dans sa partie arabe, où les régimes, qu’ils soient monarchiques ou républicains, sont la plupart du temps dictatoriaux et oppressifs, où le pétrole et la rente qu’il procure ont aggravé les inégalités, la révolte gronde contre les gouvernements et contre l’Occident qui les protège.
Cet ensemble de facteurs a donné naissance à Al-Qaïda, conçue par le Saoudien Oussama Ben Laden, puis à ce Daesh qui a germé dans les cerveaux enfiévrés et revanchards des enfants de Saddam Hussein.
Ces derniers ont su enflammer une partie de la jeunesse euro-américaine en quête de nouvelles aventures.
Quant aux jeunes Africains, beaucoup d’entre eux se sentent exclus des systèmes de leurs pays respectifs. Parmi ces exclus, une minorité agissante rêve de s’insurger et trouve l’occasion de le faire sous la bannière des filiales africaines d’Al-Qaïda ou de Daesh.
Vous le voyez, l’islam n’est que la couverture politico-idéologique de la révolte d’une petite partie de la jeunesse de nos pays.
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