Comment résister à Netflix
L’arrivée sur le continent du géant américain de la vidéo à la demande est un défi pour les acteurs locaux. Mais il a un point faible : son manque de contenus spécifiquement africains.
Comment résister à Netflix ?
L’arrivée sur le continent du géant américain de la vidéo à la demande est un défi pour les acteurs locaux. Mais il a un point faible : son manque de contenus spécifiquement africains.
Le 6 janvier, Netflix a pris tous les observateurs de court. Cofondateur et directeur général du géant américain de la vidéo à la demande (VOD), Reed Hastings a annoncé le lancement d’offres accessibles dans 130 pays, incluant notamment l’Afrique. « Nous sommes aujourd’hui présents dans plus de 70 millions de foyers, les gens regardent Netflix via pratiquement n’importe quel appareil connecté à internet, les programmes imposés [par la télévision] ont laissé la place aux choix personnels. Nous sommes dans un monde régi par le principe de la demande, et il n’y aucune possibilité de revenir en arrière », a-t-il lancé aux journalistes.
Partout dans le monde, la VOD, qui permet de regarder ce qu’on veut, quand on veut et autant qu’on le veut, devient de plus en plus populaire. Et l’Afrique n’est pas en reste. Le cabinet Balancing Act y dénombre actuellement 140 plateformes actives, mais seulement une vingtaine d’entre elles laisseraient entrevoir un véritable modèle économique. « La première n’est autre que YouTube. Une sélection de quarante chaînes africaines hébergées par la filiale de Google totalise à ce jour plus de 2 milliards de vues », précise Sylvain Belètre, spécialiste de la veille média au sein de Balancing Act.
Les multinationales se lancent
Les start-up ont été les premières à flairer cette opportunité : IrokoTV a été lancée en 2011 au Nigeria, Buni.tv a démarré en 2012 au Kenya. Disposant d’une connaissance fine des attentes locales et d’une capacité à s’ajuster rapidement à la demande du marché, elles ont vite trouvé leur audience. La plateforme Dobox, active au Nigeria et au Ghana, revendiquait 400 000 utilisateurs en septembre 2015. Même la télévision publique ivoirienne, la RTI, est entrée dans le jeu en proposant à ses téléspectateurs de voir ou revoir ses programmes en différé. Début mars, sa direction annonçait que son application de VOD avait été téléchargée plus de 500 000 fois.
Alors que le cabinet McKinsey table sur une forte croissance des dépenses en ligne en Afrique, passant de 8 milliards à 75 milliards de dollars (soit environ 67,5 milliards d’euros) entre 2014 et 2025, les multinationales n’ont pas mis longtemps à emboîter le pas à ces acteurs locaux. Les opérateurs de télécoms, qui possèdent les réseaux capables d’acheminer les contenus, ont été parmi les premiers à s’intéresser à ce créneau. Telkom, Vodacom, Orange, MTN se positionnent tout doucement, soit en proposant des offres VOD depuis leur box, soit au travers d’applications accessibles via un téléphone portable. Les groupes de médias sont aussi très actifs, notamment en Afrique du Sud. Times Media Group a ainsi lancé Vidi en 2014, et le géant Naspers, maison mère du bouquet de télévision à péage MultiChoice, a créé ses propres plateformes VOD : Africa Magic Go en 2014 et Show Max en 2015.
Je crois fermement que la VOD est la voie du progrès audiovisuel en Afrique, bien que le marché n’en soit qu’à ses balbutiements, affirme Marie Lora-Mungai
L’arrivée en Afrique de Netflix (cent vingt-cinq millions d’heures de contenus regardés chaque jour), tout comme la récente prise de participation du français Canal+ dans IrokoTV, constitue un nouveau virage pour ce secteur naissant. Mais cette évolution est loin d’annoncer l’émergence immédiate de quelques acteurs dominants à l’échelle du continent, notamment en raison des difficultés d’accès à l’internet haut débit. Jason Njoku, le patron d’IrokoTV, croit d’ailleurs davantage en la télévision mobile qu’en la VOD : « Dans un avenir proche, avec un internet cher et peu fiable, l’accès à une VOD continue et de qualité n’est pas garanti », dit-il. Face à ces difficultés techniques, IrokoTV, qui a levé plus de 27 millions de dollars depuis son lancement, a d’ailleurs stoppé son offre en streaming pour proposer à ses clients de télécharger les 5 000 programmes 100 % Nollywood de son catalogue.
Si elle partage l’avis de Jason Njoku sur les freins liés à la disponibilité et au coût de l’internet, Marie Lora-Mungai, fondatrice de Buni.tv, se montre néanmoins optimiste : « Je crois fermement que la VOD est la voie du progrès audiovisuel en Afrique, bien que le marché n’en soit qu’à ses balbutiements. C’est une tendance générale, avec des consommateurs du monde entier qui demandent à voir des contenus de première main, partout et n’importe quand. Nous ne ferons plus machine arrière. »
La VOD est-elle rentable ?
Qu’ils misent sur des services gratuits, en partie payés par la publicité, des abonnements mensuels de 6 à 10 dollars ou des forfaits à la journée payés entre 250 et 700 F CFA (de 0,38 à 1,07 euro), la plupart des acteurs du secteur n’équilibrent pas encore recettes et dépenses. « Entre l’achat des droits, le prix de la bande passante et celui de la plateforme, c’est très difficile », confirme un patron de start-up. Pour se développer, certains, comme le nigérian Dobox, allient films et musique en partenariat avec des opérateurs de télécoms. D’autres, comme IrokoTV et Afrostream, ont choisi de miser à la fois sur les audiences du continent et sur celles de la diaspora.
« À moins d’avoir des investisseurs prêts à perdre de l’argent, on ne peut pas avoir une stratégie 100 % africaine. Avec 40 000 abonnés, il est possible de trouver un équilibre », estime Tonjé Bakang, fondateur d’Afrostream, dont l’offre avait séduit environ 6 000 abonnés début 2016, selon Balancing Act. Pour parvenir à la rentabilité, cette start-up basée à Nantes (France) mise donc sur des publics situés hors d’Afrique mais intéressés par la culture « afro », à commencer par les diasporas, les Africains-Américains et les Caribéens. IrokoTV a développé une stratégie similaire. Environ 55 % de ses utilisateurs (dont certains visionnent cinq heures de vidéos chaque jour) sont basés aux États-Unis et au Royaume-Uni.
« La question des contenus est centrale. Beaucoup de projets, notamment en Afrique du Sud, ne s’intéressent pas assez à la spécificité des audiences », juge Tonjé Bakang. Si elle partage l’idée qu’une bonne connaissance des consommateurs fera la différence entre les fournisseurs africains, Marie Lora-Mungai va plus loin : « Je crois que l’unique manière d’être compétitif est de proposer la création de contenu original. Même si la technologie est une composante essentielle des services de VOD, tout se jouera finalement sur le contenu. Notre stratégie est de créer davantage de contenus originaux qui plaisent aux gens. »
Un contenu africain limité
En 2015, Buni.tv, qui est aussi connue au Kenya pour être le producteur du show satirico-politique « XYZ », a noué un partenariat avec l’entreprise de production Ten10 Films afin de placer toute la création de contenus en projet sous une seule enseigne : Restless Global. Via cette entreprise, les différents partenaires identifient, accompagnent et promeuvent les talents locaux afin de créer du contenu original qui sera ensuite commercialisé et distribué, notamment sur Buni.tv.
« En définitive, c’est l’acteur qui offrira les contenus de meilleure qualité et les plus pertinents qui captera l’audience en Afrique », affirme Marie Lora-Mungai. « Nous ne devons pas seulement apporter de bonnes histoires à nos abonnés, nous devons aussi être à l’origine des productions », renchérit Tonjé Bakang. Fondateur de Summview, une start-up française qui fournit notamment une plateforme VOD à MTN en Côte d’Ivoire, Denis Pagnac est plus nuancé : « En VOD comme en télévision, cela ne disqualifie pas, toutefois, tous les contenus internationaux, que les Africains continuent d’apprécier », assure-t-il.
Le géant américain annonce vouloir proposer davantage de contenu local au fur et à mesure que sa popularité s’accroîtra
Netflix semble conscient de son point faible, concédant que son service offre un contenu africain « limité » dans certains pays. Le géant américain annonce vouloir proposer davantage de contenu local au fur et à mesure que sa popularité s’accroîtra et qu’il aura une meilleure compréhension des marchés régionaux. Netflix aurait déjà mandaté des acheteurs pour approcher les producteurs africains.
D’après Anesu Charamba, responsable des technologies de l’information et de la communication (TIC) au centre de recherche Frost & Sullivan, au Cap (Afrique du Sud), la bataille entre Netflix et les fournisseurs locaux va apporter un nouveau souffle à la VOD africaine. « Son arrivée va bouleverser l’écosystème des médias numériques. Et en fin de compte, c’est le consommateur qui sera le principal bénéficiaire de ce développement résultant d’une concurrence accrue », analyse-t-il. À vous de faire votre choix !
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles