Mauritanie : Ahmedou Ould Wediaa, journaliste rebelle
Esclavage, scandales politico-financiers, trafic de drogue… L’animateur de l’émission Vissamim met un point d’honneur à aborder tous les sujets tabous. Portrait de l’une des bêtes noires du régime.
«Un simple citoyen qui ne supporte pas l’injustice. » C’est ainsi que lui-même se définit. « Un journaliste militant qui dérange le pouvoir », complète le patron d’un média indépendant. Derrière ses fines lunettes et sa bouille d’enfant sage, le journaliste Ahmedou Ould Wediaa, 40 ans, est devenu l’une des bêtes noires du régime. En février, la Haute Autorité de la presse et de l’audiovisuel (Hapa) suspendait pour un mois Vissamim (« en profondeur »), l’émission de débat qu’il anime chaque semaine sur la chaîne privée Mourabitoun TV. L’organe de régulation lui reprochait notamment de favoriser le « séparatisme » et d’avoir évoqué la persistance de l’esclavage en Mauritanie.
Des griefs à la suite desquels Ould Wediaa a aussitôt dénoncé « un véritable harcèlement dont l’objectif est de museler la presse et de réduire le maigre espace de liberté [qui reste] encore ». Depuis 2012, Vissamim a en effet abordé – en arabe ou en français – les principaux sujets tabous de la société mauritanienne : la répression contre les Négro-Mauritaniens au cours des années de braise (1986-1991) et l’ostracisme qui continue de les viser, l’esclavage, les scandales politico-financiers, le trafic de drogue… « Notre ambition était d’interroger sans complaisance l’ensemble des responsables politiques et des leaders d’opinion de la société civile », explique le journaliste. Une conception du pluralisme qui provoque régulièrement le courroux du pouvoir.
Une carrière de journaliste militant
Ould Wediaa n’en est pas à son coup d’essai. En 2000, à peine ses études de littérature arabe achevées, il lançait l’hebdomadaire Erraya. Trois ans plus tard, le président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya faisait fermer la publication pour « subversion et intolérance ». Recherché par la police, Ould Wediaa quittera le pays clandestinement avant d’obtenir l’asile politique en Belgique. Il ne retournera en Mauritanie qu’après la chute de Taya, en 2005.
La même année, il lance Essirage, un quotidien en arabe, en français et en pular. En marge de son activité de journaliste, il endosse le costume du militant. En 2009, il devient le porte-parole de Jamil Ould Mansour, candidat à la présidentielle du parti Tawassoul (islamistes modérés). Il s’investit parallèlement dans l’association SOS Esclaves, dont il est aujourd’hui le vice-président. Un double engagement qui lui est régulièrement reproché par ses détracteurs – d’autant que Tawassoul est devenu entre-temps le principal parti d’opposition. « En tant que journaliste, je laisse de côté ces affiliations, se défend l’intéressé. Lorsque j’ai reçu Jamil Ould Mansour, j’ai été plus dur avec lui qu’avec d’autres invités. »
Une intransigeance qui n’épargnera pas le chef de l’État. En mars 2015, pour sa première interview présidentielle, Ould Wediaa s’obstine à vouloir poser deux questions d’affilée à Mohamed Ould Abdelaziz. Celui-ci le rappelle à l’ordre, manifestement excédé, avant d’exiger l’interruption du direct. « La coupure a duré quelques minutes, pendant lesquelles il m’a intimé l’ordre de quitter le plateau », précise le journaliste. La tension finira par redescendre, et l’entretien présidentiel ira à son terme en présence d’Ould Wediaa.
On nous a clairement indiqué qu’en Mauritanie il y a des sujets à ne pas évoquer, raconte-t-il
Huit mois plus tard, le journaliste annonce sur sa page Facebook qu’il recevra dans Vissamim un témoin direct de l’exécution, en 1991, de vingt-huit officiers négro-mauritaniens. Son téléphone est pris d’assaut. « Les pressions se sont succédé pour nous dissuader, raconte-t-il. On nous a clairement indiqué qu’en Mauritanie il y a des sujets à ne pas évoquer. »
Officiellement, c’est donc pour avoir transgressé le double tabou de la question identitaire et de l’esclavage qu’Ahmedou Ould Wediaa a reçu un « avertissement » de la Hapa. Ce qui ne semble pas avoir refroidi sa détermination : « Il faudra bien que le régime admette que l’État mauritanien ne saurait demeurer au service d’une seule composante de la nation. »
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