Cessé Komé, une fortune pour ses hôtels
Affirmant vouloir sortir de l’informel, qui a fait sa richesse, le Malien installé en Côte d’Ivoire se développe dans l’hôtellerie avec des marques internationales.
Le cube est posé à quelques mètres de l’aéroport, imposant sa force géométrique à l’hôtel Onomo qui lui fait face. Les lignes extérieures sont épurées, résolument modernes, comme l’est le style intérieur du tout nouveau Radisson Blu d’Abidjan, qui a ouvert ses portes le 17 mars après une période de test et près de quatre ans après la pose de la première pierre. Dans ce projet, Cessé Komé, le propriétaire, a investi 55 milliards de F CFA (environ 84 millions d’euros), financés à moitié en fonds propres et pour le reste par de la dette apportée notamment par Afreximbank et BGFI Bank Côte d’Ivoire.
Une stratégie bien établie
Dans une ville où l’offre hôtelière s’envole après des années de sous-capacité, l’hôtel joue sa carte : celle de la sobriété et des standards internationaux, avec ses 261 chambres, plusieurs salles de réunion, un immense hall de conférences pouvant accueillir autour de 800 personnes, et sa piscine. Il faut compter entre 300 et 1 300 euros (pour la suite présidentielle) pour s’offrir un séjour dans cette structure qui vise avant tout la clientèle d’affaires.
À ceux que l’emplacement, dans une zone aéroportuaire encore vide, étonne, Cessé Komé assure ne pas avoir fait les choses au hasard : ce Malien implanté en Côte d’Ivoire depuis 1984 explique avoir travaillé avec le consultant Trevor Ward pour déterminer le meilleur lieu et le partenaire idéal (Carlson Rezidor). « L’équilibre d’Abidjan a basculé pendant la crise, du nord vers le sud de la lagune, explique-t-il. C’est à Marcory que le cœur économique de la ville bat. »
Depuis son bureau aménagé dans l’hôtel, face au hall aéroportuaire le plus dynamique de l’Afrique de l’Ouest francophone, les attentats du 20 novembre 2015 au Radisson Blu de Bamako, dont il est aussi propriétaire, paraissent loin. Dans la capitale malienne, où son hôtel est resté fermé pendant un mois, la fréquentation est repassée au-dessus des 50 %. À Abidjan, insiste-t-il, les attaques de Grand-Bassam, le 13 mars, n’ont pas empêché le Radisson de faire un très bon début.
Une ambition à toute épreuve
Parce qu’il a vécu plus de dix ans de crise identitaire en Côte d’Ivoire et la guerre au Mali, Cessé Komé a cet air inébranlable des gens qui reviennent de loin. Le risque terroriste, marqué à Abidjan par la présence permanente d’hommes en armes postés ici par l’État et d’une immense grille qui entoure l’espace hôtelier, ne l’empêche pas de continuer de chercher de nouveaux sites pour d’autres hôtels. À Bamako, la construction d’un Sheraton est en cours, pour une livraison en 2017, et Cessé Komé ne cache pas son intention d’ouvrir désormais un nouvel hôtel tous les deux ans.
« Lorsque je suis arrivé en Côte d’Ivoire, à 17-18 ans, j’ai été cireur de chaussures, puis j’ai fait librairie par terre [vendeur de livres] sur les trottoirs d’Abidjan et vendeur de parapluies », explique-t-il. Un Ivoirien qui le connaît depuis longtemps confirme et ajoute : « Il a commencé dans le grand informel, avec tout ce qui va avec, notamment la fraude. C’est de là qu’il tire sa fortune. »
À la fin des années 1990, il domine l’import de textiles chinois dans la sous-région, travaillant avec un fournisseur indien basé au Togo. « Celui-ci m’a aidé quand tout mon stock a brûlé au marché d’Adjamé, explique Cessé Komé. Puis j’ai pris sa suite dans toute la région lorsque sa famille a décidé de partir en Asie. »
De Résidence Komé au Radisson Blu
Le virage hôtelier de Komé prend forme en 2002, lorsque le président malien de l’époque, Alpha Oumar Konaré, se rend en Côte d’Ivoire pour convaincre la diaspora d’investir au pays dans la perspective de la Coupe d’Afrique des nations. Résidence Komé, un établissement de 50 chambres, voit le jour à Bamako dans la foulée. Gérée de manière informelle, endettée, la structure se retrouve en difficulté.
Des discussions auront lieu avec le groupe sud-africain Protea, puis avec l’américain Radisson. C’est ce dernier qui décrochera avec Cessé Komé un contrat d’assistance technique : après rénovation et agrandissement, et avec l’aide d’Afreximbank, un partenaire financier régulier de l’homme d’affaires malien, Résidence Komé deviendra Radisson Blu Bamako, doté désormais de 190 chambres.
Cessé Komé y emploie environ 250 personnes, qui s’ajoutent aux 200 employés du Radisson d’Abidjan et à la cinquantaine d’employés basés au port de Vridi, cœur historique du groupe de Komé. Citant une lointaine succession (il a moins de 50 ans) et ses fils qui étudient au Canada et au Royaume-Uni, ce dernier affirme vouloir sortir du négoce (et donc de l’informel) d’ici à deux ans.
Tellement habitué à l’argent liquide, Cessé Komé ne maîtrise pas encore les codes, ni n’a le style des grands patrons du secteur formel
Son avocat malien depuis plus d’une décennie, Mamadou Ismaïla Konaté, l’accompagne dans cette transformation. Il l’a notamment poussé à se lancer dans l’aventure de la troisième licence de télécoms au Mali, aventure qui s’est terminée par un divorce avec son partenaire, le Burkinabè Apollinaire Compaoré, et une procédure d’arbitrage international menée par Komé contre le Mali à Washington.
Pour le commerçant né à Koïra, un village sahélien à 250 km au nord de Bamako, la sortie totale du commerce n’est toutefois pas si simple. Tellement habitué à l’argent liquide, Cessé Komé ne maîtrise pas encore les codes, ni n’a le style des grands patrons du secteur formel. Même si, désormais, les financiers lui courent aussi après, il n’a rien à voir avec un Mossadeck Bally, autre Malien qui connaît le succès dans l’hôtellerie (avec les hôtels Azalaï) après avoir été diplômé de grandes écoles.
« Le trading est devenu trop compliqué, trop fatiguant. Mes clients dans la sous-région sont tous devenus importateurs, et mes fournisseurs chinois viennent désormais démarcher directement en Afrique, insiste-t-il. Je veux vraiment quitter cette activité. » Outre des hôtels sous marque internationale dans plusieurs pays, Komé travaille à la création d’une usine de batteries à Abidjan. Preuve selon lui qu’il veut vraiment passer du statut de grand commerçant de l’informel à celui de patron d’un groupe structuré. Ce groupe, il l’a appelé Koïra. À voir ses employés le tutoyer dans les couloirs du Radisson, on comprend que Cessé Komé n’est pas du genre à oublier d’où il vient.
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