Cuba : fin de règne pour les Castro à La Havane

De plus en plus coupé du monde, Fidel Castro n’a pas rencontré Barack Obama lors de sa récente visite. Et Raúl, son frère, qui souffre d’un cancer de la prostate, a annoncé qu’il se retirerait en 2018.

Dans la région de Holguín, « berceau des leaders historiques », en septembre 2015. © SVEN CREUTZMANN/MAMBO PHOTO/GETTY IMAGES

Dans la région de Holguín, « berceau des leaders historiques », en septembre 2015. © SVEN CREUTZMANN/MAMBO PHOTO/GETTY IMAGES

Publié le 29 mars 2016 Lecture : 7 minutes.

Il est celui qui a tenu tête aux États-Unis et gouverné Cuba d’une main de fer pendant plus de cinquante ans. Lors de sa récente (21-22 mars) visite dans l’île caraïbe dans le cadre du rapprochement entre les deux pays, Barack Obama a pourtant choisi de ne pas le rencontrer, ce qui peut sembler curieux : depuis qu’il a quitté le pouvoir en 2008, Fidel Castro a maintes fois été sollicité par les grands de ce monde, de la Brésilienne Dilma Rousseff au Russe Vladimir Poutine en passant par le pape Benoît XVI.

L’absence de Fidel

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En mai 2015, François Hollande a quant à lui été le premier dirigeant occidental à se rendre à La Havane et à s’entretenir avec le Comandante, qui lui a, comme l’a raconté par la suite le président français, fait part de ses problèmes articulaires au genou et à l’épaule. Son état de santé l’empêche-t-il désormais de recevoir d’illustres visiteurs et d’être photographié ?

Seule certitude, les apparitions publiques de Fidel se raréfient depuis quelque temps. Il n’en a fait qu’une ou deux à la télévision cubaine en 2015, et aucune depuis le début de cette année. Il y a un an, de nouvelles rumeurs sur sa mort ont couru. De quoi souffre-t-il ? Des séquelles d’un cancer du côlon, mais pas seulement. Castro aurait également eu un accident vasculaire cérébral et peinerait désormais à soutenir une conversation.

Fidel a une autorité d’aîné, et il semble difficile que Raúl se soit libéré de cette tutelle », commente Alejandro González Raga

« Sa santé est un secret d’État, déplore l’avocat Raúl Luis Risco Pérez, directeur de l’Institut cubain pour la liberté d’expression et de la presse (Iclep). Nous ne connaîtrons sans doute jamais la vérité. Le scénario est toujours le même : lors de la visite d’un chef d’État, quelques images sont publiées, et puis le visiteur déclare à la presse que son hôte, en dépit de son âge [89 ans], se porte comme un charme. »

Il semble pourtant bien que Fidel Castro ait perdu l’essentiel de son influence au sein du régime depuis qu’il a passé la main à Raúl, son frère, il y a huit ans. Pour un homme qui a si longtemps monopolisé tous les pouvoirs, c’est cruel, sans doute, mais c’est la vie. Jusqu’en 2012, il écrivait des éditoriaux dans la presse officielle sous le titre Réflexions du compagnon Fidel. Et le président avait lui-même reconnu publiquement qu’il consultait régulièrement son frère.

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« Comment imaginer que la relation entre les deux frères puisse avoir changé du tout au tout ? Fidel a une autorité d’aîné, et il semble difficile que Raúl se soit libéré de cette tutelle », commente Alejandro González Raga, porte-parole de l’Observatoire cubain des droits humains, à Madrid. Depuis 1959, l’histoire de l’île se résume à une histoire de famille. Si tout le monde s’accorde à dire que Raúl n’a ni le charisme ni l’éloquence de Fidel, il a, dans un premier temps, joué avec succès la continuité.

La politique d’ouverture de Raul

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Mais le temps a fait son œuvre. Autrefois réputé plus dur et intransigeant que son frère, Raúl se montre aujourd’hui plus réaliste. C’est lui qui a amorcé l’ouverture économique de Cuba et son rapprochement avec les États-Unis. Il faut dire qu’il n’avait plus guère le choix, ses traditionnels sponsors vénézuéliens, aux prises avec une crise économique gravissime, ayant interrompu leurs livraisons de pétrole à prix d’ami.

Les investissements étrangers sont désormais les bienvenus à Cuba. L’État a mis fin à son monopole sur le commerce et les services, et facilité l’accès à la propriété. Lors de sa visite en France en février 2016, Raúl a obtenu des créanciers du Club de Paris l’annulation de 8,5 milliards de dollars (environ 7,6 milliards d’euros) d’intérêts de remboursement de la dette.

Raul gouverne de façon plus collégiale, traite ses collaborateurs en égaux et n’hésite pas à solliciter leurs conseils

Contrairement à son frère, cet autocrate autocentré, il gouverne de façon plus collégiale, traite ses collaborateurs en égaux et n’hésite pas à solliciter leurs conseils. Il pousse sur le devant de la scène certains membres de son entourage et donne une importance accrue aux civils, au détriment de la vieille garde militaire. Esteban Lazo, qui était à l’époque vice-président du Conseil d’État et préside aujourd’hui l’Assemblée nationale cubaine, avait ainsi pris en 2006 la parole à la tribune des Nations unies. Le but de l’opération était évidemment de présenter de la révolution cubaine un visage plus avenant.

« Quand Fidel était encore au pouvoir, il décidait de tout, absolument tout : des pâturages pour les vaches au nombre de soldats à envoyer en Angola. Je pense que si Raúl le consulte encore, ce n’est qu’une simple formalité, pour le tenir informé », explique un journaliste cubain qui souhaite conserver l’anonymat.

Le congrès du Parti communiste cubain (PCC) pourrait mettre en place une nouvelle loi électorale destinée à préparer la succession et à séparer parti et gouvernement

Raúl, qui souffre d’un cancer de la prostate, a annoncé qu’il se retirerait en 2018 et a pressenti Miguel Díaz-Canel, son vice-président, pour lui succéder. En avril, à La Havane, le congrès du Parti communiste cubain (PCC) pourrait mettre en place une nouvelle loi électorale destinée à préparer la succession et à séparer parti et gouvernement. Mais Raúl quittera-t-il vraiment la scène ? « Il restera probablement premier secrétaire du PCC. Et le futur président, quel qu’il soit, ne pourra rien décider contre sa volonté, estime Risco Pérez. Ce qui signifie que les Castro continueront de tirer les ficelles en coulisse. »

Les héritiers

Qui succédera à Raúl Castro à la présidence, dans deux ans ? Presque à coup sûr l’un de ces hommes-là.

Alejandro Castro Espín, le dauphin de l’ombre

Unique héritier mâle de Raúl, ce colonel de l’armée semble être le seul membre de la famille en mesure de reprendre le flambeau. Il manque certes de charisme, mais depuis qu’il est directeur du service du renseignement du ministère de l’Intérieur – le cœur du pouvoir -, beaucoup sont convaincus que son père le prépare à lui succéder. Diplômé en relations internationales, il est apparu sur le devant de la scène en 2009, lors d’une visite de son père en Algérie. Depuis 2014, il joue un rôle essentiel dans les négociations avec les États-Unis.

Miguel Díaz-Canel, le successeur désigné

Vice-président et numéro deux du gouvernement depuis 2013, il est le plus souvent cité pour succéder à Raúl – il serait le premier chef de l’État cubain à ne pas avoir participé à la révolution. Mais sa longue – trente ans – expérience de militant castriste, ses passages au ministère de l’Enseignement supérieur et au Conseil d’État (où il est chargé des questions d’éducation), ainsi que sa visibilité sur la scène internationale font de lui l’homme a priori le mieux préparé à assumer la responsabilité du pouvoir. Partisan de la libéralisation économique voulue par Raúl, il est plutôt populaire. Qui pourrait freiner son ascension ? Peut-être certains vétérans de l’armée dont l’ouverture d’esprit n’est pas la caractéristique principale.

Luis Alberto Rodríguez López-Callejas, le gendre businessman

Divorcé de Deborah Castro Espín, la fille aînée de Raúl, avec qui il a eu deux enfants, cet homme d’affaires est l’un des piliers du régime. À la tête du Groupe d’administration des entreprises (Gaesa) des Forces armées révolutionnaires, il contrôle l’essentiel de l’activité économique (restaurants, hôtels, supermarchés, location de voitures, etc.), à en croire l’agence américaine Bloomberg. Soit entre 50 % et 80 % du chiffre d’affaires des entreprises à Cuba. Il supervise aussi l’agrandissement et la modernisation du port de Mariel, à 45 km de La Havane, qui jouera un rôle stratégique après la levée de l’embargo.

Marino Murillo Jorge, le « tsar » des réformes

Cet ancien militaire a été choisi par Raúl pour piloter les réformes. Ministre de l’Économie depuis 2014 – poste qu’il avait déjà occupé de 2009 à 2011 -, il a commencé sa carrière ministérielle en 2006 au Commerce intérieur. En mars 2011, il a été nommé à la présidence de la Commission permanente pour la mise en œuvre et le développement des directives du 6e congrès du PCC, avant d’être rappelé à l’Économie. S’il incarne le changement, il manque singulièrement de charisme. Et la fuite de sa fille aux États-Unis, en 2012, ne joue pas en sa faveur.

Fidel Angel Castro Díaz-Balart, le fils physicien

Fruit d’un premier mariage, il est le seul fils de Fidel à avoir été montré aux médias dès son plus jeune âge. Le seul aussi à avoir manifesté quelque intérêt pour la politique. Surnommé Fidelito (« petit Fidel »), ce physicien nucléaire a dirigé la Commission cubaine de l’énergie atomique, mais a fini par être limogé en raison de sa gestion approximative et de son « incompréhensible soif de pouvoir ». Depuis 2000, il rentre peu à peu en grâce, mais n’a pas encore réintégré le premier cercle dirigeant. Il a récemment fait l’éloge des réformes de son oncle.

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