Burkina – Affaire Zida : les bons comptes ne font pas forcément les bons amis
Cela n’a rien de personnel, assure la présidence. Peut-être, mais l’ex-Premier ministre Isaac Zida est l’une des premières victimes de l’opération « main propres » voulue par le chef de l’État.
Il se voyait déjà ambassadeur à Washington. Pour une agréable et prestigieuse reconversion, mais aussi pour être plus proche de son épouse et de ses enfants, installés depuis plusieurs mois à Ottawa, au Canada. Le 22 décembre 2015, le tout dernier Conseil des ministres de la transition avait adopté un décret faisant de lui le représentant du Burkina aux États-Unis. Sa demande d’agrément avait été acceptée par l’administration américaine, il ne lui restait plus qu’à obtenir le feu vert du nouveau président, Roch Marc Christian Kaboré… Mais, pour Yacouba Isaac Zida, rien ne s’est passé comme prévu.
Mi-mars, le décret de nomination de l’ancien Premier ministre paraît au journal officiel. Mais sans doute est-ce une erreur puisque, le 16 mars, Roch Marc Christian Kaboré adopte un deuxième décret abrogeant le premier. Le message est clair : il ne veut pas de Zida comme ambassadeur à Washington. « Il n’en a jamais voulu », affirme même un diplomate à Ouagadougou. Selon plusieurs de ses proches, le pensionnaire de Kosyam n’aurait « pas de problème personnel » avec l’ancien Premier ministre, mais ne souhaitait pas promouvoir « quelqu’un qui traîne beaucoup de casseroles » à un tel poste, l’un des plus importants pour la diplomatie burkinabè, avec Paris, New York pour les Nations unies, et Bruxelles.
Des soupçons de corruption
Depuis la passation de pouvoirs, fin décembre, entre les présidents Kafando et Kaboré, plusieurs responsables de la transition, au premier rang desquels Isaac Zida, sont en effet suspectés de corruption lorsqu’ils étaient aux commandes du pays. Anomalies budgétaires dans les ministères, primes de départ pour les ministres, acquisition de terrains de choix à prix cassés… Différentes affaires relayées par les médias locaux soulèvent aujourd’hui des interrogations sur la gestion du régime qui a succédé à Blaise Compaoré en novembre 2014.
Les nouvelles autorités ont rapidement décidé de faire la lumière sur ces zones d’ombre. En quelques semaines, elles ont entrepris une vaste opération « mains propres » sur les activités de leurs prédécesseurs. D’abord en demandant un audit détaillé du régime de transition à l’Autorité supérieure de contrôle d’État et de lutte contre la corruption (ASCE/LC). Ensuite en mettant sur pied un comité interministériel chargé d’examiner les conditions d’attribution, en octobre et en décembre 2015, de 18 marchés pour un montant total de 111 millions d’euros. Et enfin en ouvrant des procédures judiciaires sur des soupçons de blanchiment d’argent portant sur 131 millions d’euros. « Nous vérifions si l’argent octroyé aux différents ministères a bien été utilisé de manière réglementaire, nous épluchons les dépenses, nous contrôlons les dotations en carburant… C’est un long travail », explique Luc Marius Ibriga, contrôleur général de l’ASCE/LC, dont le rapport de synthèse devrait être publié début avril.
Zida pourrait aussi voir ressurgir quelques affaires liées à son passé d’officier
Zida est, à titre personnel, pointé du doigt pour avoir obtenu une parcelle à prix bradé dans le quartier huppé de Ouaga 2000, dans le sud de la capitale. Ce terrain, dont le prix – élevé – avait été initialement fixé à 313 920 000 F CFA (478 600 euros), lui a été cédé pour 62 784 000 F CFA (95 700 euros) par la Société nationale d’aménagement des terrains urbains (Sonatur). Celle-ci explique que l’endroit était destiné à la construction d’un « centre de formation professionnelle » et que ce genre de projet « communautaire » pouvait donc faire l’objet d’une réduction tarifaire. « Il n’a aucune raison d’être inquiet, car il a acheté cette parcelle de façon totalement légale. Je ne vois pas où est le problème », renchérit l’un des collaborateurs de l’ex-Premier ministre. Zida, dont l’important patrimoine financier et foncier avait été publié lors de sa prise de fonctions, pourrait aussi voir ressurgir quelques affaires liées à son passé d’officier traitant de la rébellion ivoirienne dans les années 2000.
Pour l’instant, il ne s’agit que de soupçons sur lesquels des vérifications sont en train d’être menées. Quant aux « casseroles » attribuées à Zida, plusieurs de ses soutiens ou de membres de son ancien gouvernement y voient le début d’un règlement de comptes politique dont il serait la cible principale. « Si la seule chose qu’on lui reproche est l’achat d’une parcelle à prix réduit, c’est un peu dérisoire ! » clame l’un de ses ex-ministres.
Un avenir incertain pour Zida
De fait, personne à Ouagadougou n’ignore les ambitions de l’ancien lieutenant-colonel bombardé général quatre étoiles. Son début de carrière civile était d’ailleurs tout tracé avant que Kaboré s’oppose à son parachutage outre-Atlantique : s’exiler quelques années à Washington, puis revenir au Burkina pour se lancer en politique en vue de la présidentielle de 2020. Il avait pour cela créé une fondation qui porte son nom, tissé des liens étroits avec certaines organisations de la société civile – dont plusieurs auraient été largement financées par le régime de transition – et réfléchirait au lancement d’un parti avec Chérif Sy, l’ancien président du Conseil national de transition (CNT).
Kaboré a-t-il préféré prendre les devants en ne faisant aucune fleur à un futur rival ? Possible. Il n’a pas non plus fait de cadeau à Auguste Denise Barry, bras droit de Zida et ex-ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité, qui s’était positionné pour prendre la tête de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Malgré des compétences reconnues dans ce domaine, le président lui a préféré le colonel François Ouédraogo, l’un de ses hommes de confiance qui fut son aide de camp lorsqu’il présidait l’Assemblée nationale.
Pour Isaac Zida, qui est toujours à Ottawa auprès des siens, l’avenir est désormais incertain. L’un de ses proches affirme qu’il s’est entretenu par téléphone avec le président Kaboré après l’annulation de sa nomination à Washington. Selon son entourage, l’ancien homme fort de la transition, qui demeure officiellement général de l’armée burkinabè, entend « bientôt » rentrer à Ouagadougou pour endosser les fonctions que lui confieront les autorités. « Avec tout ce qui pèse au-dessus de sa tête, il est obligé de rester à l’étranger. Il n’est pas fou », rétorque un ancien cadre de la transition. Sans oublier que toute une partie de la hiérarchie militaire n’a toujours pas digéré qu’un jeune lieutenant-colonel encore inconnu il y a un an et demi devienne subitement l’un des plus hauts gradés de l’armée.
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