Afrique du Sud : quand Zuma rime avec Gupta
Le chef de l’État est soupçonné de copinage avec cette famille d’entrepreneurs indiens très (trop ?) influents. Scandale dans le pays, et malaise dans les rangs de l’ANC.
L’Afrique du Sud traverse ce qui est sans doute la crise économique la plus grave qu’elle ait connue depuis la fin de l’apartheid, mais ce sont actuellement deux simples noms qui focalisent la colère. Celui de Zuma, le président dont les sept années au pouvoir ont été marquées par de multiples accusations de corruption et de copinage. Et celui des Gupta, une famille avec laquelle le chef de l’État entretient des liens étroits et qui est à la tête d’un véritable empire économique. Deux noms aujourd’hui inextricablement liés.
Une famille proche du pouvoir
Leurs détracteurs affirment que, grâce à cette relation très particulière, les Gupta, qui sont originaires de l’Uttar Pradesh (Inde), ont pu influencer certaines décisions du gouvernement. En résumé, il y aurait aujourd’hui, en Afrique du Sud, des réseaux clientélistes très bien organisés qui permettraient à des industriels et à des hommes politiques de piller le pays. Les Gupta sont devenus pour beaucoup le symbole de tout ce qui ne va pas, et les accusations pleuvent : ils auraient fait pression sur des fonctionnaires, pesé pour obtenir des nominations, usé de leur influence pour décrocher des contrats gouvernementaux…
« Les affaires des Gupta sont assez opaques, résume Daniel Lewis, à la tête de l’ONG Corruption Watch. Leur seul avantage compétitif semble être leur proximité avec d’importants leaders politiques et notamment le président Zuma. » Réponse d’Ajay Gupta, l’aîné des trois frères, aujourd’hui à la tête de l’empire familial : « Cela n’est pas lié à sa position, [Jacob Zuma] est l’une des personnes les plus estimées de la famille. Nous sommes des hommes d’affaires et nous n’avons rien à voir avec la politique. » Selon lui, seul 1 % des revenus annuels de leurs entreprises provient de contrats publics.
Selon ses détracteurs, Zuma et ses alliés voulaient un pion plus docile que Nene
La famille Gupta a-t-elle pesé sur des nominations, y compris à la tête de ministères ? « Ce ne sont que des rumeurs », se défend le patron. Car depuis la décision du président, en décembre, de remplacer son ministre des Finances, Nhlanhla Nene, par un député peu connu, David Van Rooyen, les soupçons ne font que grandir. Selon ses détracteurs, Zuma et ses alliés voulaient un pion plus docile que Nene, qui se serait opposé à la volonté du chef de l’État de construire des centrales nucléaires et à celle de la compagnie South African Airways, déficitaire, de renégocier un accord avec Airbus.
Floyd Shivambu, député des Combattants pour la liberté économique (EFF, opposition), n’y va pas par quatre chemins. Selon lui, Nhlanhla Nene a été écarté « pour que le syndicat dirigé par les Gupta puisse piller les ressources de l’État ». De son côté, Zuma assure qu’il n’y a eu aucune influence extérieure sur sa décision, laquelle a été « mûrement réfléchie ». Ce qui ne l’a pas empêché de revenir sur son choix et, sous pression du Congrès national africain (ANC, au pouvoir), de nommer finalement Pravin Gordhan à la tête du ministère des Finances.
Quant à Ajay Gupta, il nie tout rôle dans la brève aventure gouvernementale – quatre jours – de Van Rooyen. « Peut-être que je l’ai vu à un ou deux endroits, mais je n’ai aucune relation avec lui », explique-t-il. La famille dément aussi les allégations du Financial Times selon lesquelles, plusieurs semaines avant la nomination de Van Rooyen, les frères Gupta auraient demandé à Mcebisi Jonas, vice-ministre des Finances, s’il était intéressé par le poste.
Les Gupta en Afrique du Sud depuis 1993
L’enracinement des Gupta en Afrique du Sud remonte à 1993, lorsque Atul, l’un des trois frères, vient visiter le pays. Il décide ensuite de revenir ouvrir une boutique de chaussures à Johannesburg. Ses frères, Rajesh et Ajay, le suivent et, en 1997, la famille fonde Sahara Computers. Elle a depuis étendu ses intérêts aux mines, à l’immobilier et aux médias, avec le lancement du journal progouvernemental New Age en 2010 et celui d’une chaîne de télévision d’information. Ses deux holdings, Sahara Holdings et Oakbay Investments, génèrent des revenus de près de 300 millions d’euros.
La famille a rencontré Jacob Zuma pour la première fois alors qu’il était invité à leur maison de Johannesburg, au début des années 2000. L’une de ses filles était directrice à Sahara Computers et l’une de ses femmes travaillait à JIC Mining Services, une autre société appartenant aux Gupta. Et aujourd’hui, Duduzane Zuma, le fils du chef de l’État, anciennement stagiaire à Sahara Computers, possède des parts dans plusieurs entités contrôlées par les Gupta, dont Tegeta Exploration & Resources, une compagnie minière. « C’est un jeune homme qui travaille bien. Donc nous avons dit « OK, serrons-nous les coudes » », explique Ajay Gupta. Le président sud-africain n’y voit aucun problème.
Tegeta Exploration & Resources est soupçonné d’avoir bénéficié d’un coup de pouce des autorités minières
« Qu’y a-t-il de mal à ce que mon fils rejoigne ou crée des entreprises avec d’autres personnes ? » feint-il de s’interroger. Le problème, pourtant, le voici : Tegeta Exploration & Resources est soupçonné d’avoir bénéficié d’un coup de pouce des autorités minières, lesquelles auraient poussé le suisse Glencore à lui vendre sa mine de charbon d’Optimum, déficitaire, en 2015 – ce que le département des Ressources minières et Oakbay démentent.
Les suspicions ne datent pas d’aujourd’hui. Ainsi, un ancien membre du gouvernement, désormais à la retraite, a confirmé qu’en 2011 les services secrets avaient approuvé l’ouverture d’une enquête sur la famille ; mais le ministère de la Sécurité avait piétiné l’idée dans les vingt-quatre heures, et les trois chefs des renseignements avaient par la suite démissionné. On ne s’attaque pas impunément à Ajay Gupta qui, dès 2002, a été nommé au conseil d’administration de Brand SA, l’agence de promotion internationale de l’Afrique du Sud – un poste qu’il a conservé depuis.
Troubles ai sein de l’ANC
En 2013, une affaire a révélé au grand public les privilèges dont bénéficient les trois frères : un avion de ligne transportant des invités venus d’Inde pour assister à un mariage de la famille Gupta s’est posé sur la base aérienne de Waterkloof, exclusivement réservée aux vols militaires et aux chefs d’État. L’enquête diligentée avait prouvé que le nom du président avait été mentionné pour obtenir l’autorisation de l’avion de se poser sur la base.
Sans nous en rendre compte, nous risquons de sombrer dans la culture de la corruption, a déclaré Kgalema Motlanthe
Tout cela sème le trouble au sein de l’ANC. En janvier, lors d’une réunion, des responsables du parti ont évoqué « la menace d’accaparement de l’État ». Zweli Mkhize, l’un des participants, a certes précisé que le message ne ciblait personne en particulier. Mais il n’a pu éviter de prononcer le nom auquel tout le monde pensait : « Je ne me focaliserai pas sur les Gupta, je dirais que c’est généralisé », a-t-il dit. De son côté, l’ancien vice-président Kgalema Motlanthe (2009-2014) a déclaré : « Si l’ANC lui-même est faible, alors il n’y a plus de garde-fou. Une chose en entraîne une autre et, sans nous en rendre compte, nous risquons de sombrer dans la culture de la corruption. »
De même, en février, le ministre des Finances a décidé de ne pas participer à un petit déjeuner avec des leaders économiques organisé par New Age – une décision interprétée comme un refus d’être associé aux intérêts de la famille. La rencontre a finalement eu lieu, mais sans l’implication du journal. Pravin Gordhan a prévenu : « Dans de nombreux domaines, des transactions entre des entrepreneurs et le gouvernement ont très mal tourné. Si nous n’y prenons garde, nous allons devenir une kleptocratie. » Les oreilles de Zuma ont-elles sifflé ?
« SOIS MINISTRE ET AIDE-MOI »
Depuis la mi-mars, les Gupta font la une de la presse sud-africaine. Le 14, une ancienne députée de l’ANC a affirmé s’être vu proposer le poste de ministre des Entreprises publiques à condition qu’elle « abandonne la liaison South African Airways vers l’Inde et qu'[elle] la leur donne ».
Deux jours plus tard, Mcebisi Jonas, vice-ministre des Finances, assurait que la famille Gupta lui avait proposé de remplacer Nhlanhla Nene, son ancien chef, limogé en décembre. Le 18 mars enfin, Zola Tsotsi, l’ex-président d’Eskom, confiait au Mail and Guardian que sa démission, un an plus tôt, avait elle aussi été orchestrée par les Gupta.
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