Mohamed Amara, mathématiques fines

Ce brillant scientifique né en Algérie préside aujourd’hui l’université de Pau et des pays de l’Adour, dans le sud-ouest de la France.

« Il y a toujours des problèmes à résoudre… Sinon, on s’en crée ! » © LAURENT PASCAL pour J.A.

« Il y a toujours des problèmes à résoudre… Sinon, on s’en crée ! » © LAURENT PASCAL pour J.A.

Publié le 7 avril 2016 Lecture : 4 minutes.

Le curriculum vitae de Mohamed Amara est long comme la résolution d’une équation à 18 inconnues : deux fois docteur, professeur de mathématiques puis directeur de laboratoire à l’université, directeur d’études à la Société nationale de l’électricité et du gaz algérienne, directeur de projets à l’Agence nationale de la recherche française, cofondateur de l’École polytechnique de Tunisie et du Laboratoire euro-maghrébin de mathématiques et de leurs interactions… Une liste non exhaustive : depuis 2012, il est aussi président de l’université de Pau et des pays de l’Adour (Uppa).

« Les mathématiques sont un très beau jouet qui permet de ne jamais s’ennuyer. Certains passent des heures sur des joysticks ; moi, sur un problème de maths, affirme-t-il. Il y a toujours des problèmes à résoudre… Sinon, on s’en crée ! » Amara aborde toute situation en scientifique : « Son raisonnement, c’est que s’il y a une solution on la trouvera ; sinon, on laisse tomber », résume Abdelhafid Mokrane, directeur de laboratoire à l’École normale supérieure de Kouba (Alger), qui le côtoie depuis trente ans.

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Un homme énergique et stratégique

Mais Mohamed Amara s’autorise toujours une ellipse sur le processus de résolution : il vous donne directement les résultats, avec un air d’évidence propre aux gens doués en maths. L’enfance en Algérie dans les années 1950, à Mahouane, près de Sétif, puis à Alger ? « Je n’ai pas été traumatisé par quoi que ce soit. » L’élection à la présidence de l’Uppa ? « Un concours de circonstances. »

Admettons… Mais cette façon de dire évacue bien des heures de labeur. L’homme paraît affable, prudent et consensuel. Une simplicité d’apparence, pourtant, qui cache à la fois pudeur, énergie et stratégie. « Il est très fin scientifiquement, mais aussi dans les relations humaines, juge Hélène Barucq, directrice de recherche en informatique et automatique, qui travaille avec lui depuis 1996. Il a le goût des situations difficiles, des défis, et cela l’amuse. Parfois, il nous manipule aussi un peu ! »

Un chercheur peut être solitaire, pas un président d’université, juge Amara d’une voix égale

Pour contraindre l’Uppa à abandonner la tradition du recrutement d’enseignants locaux, il a ainsi dû faire passer la pilule au sérail béarnais. Tout comme il lui a fallu déployer des trésors de diplomatie pour tenter de monter un centre d’excellence en mathématiques en Algérie, s’appuyant sur des universités comme sur l’entreprise pétrolière nationale, malheureusement en vain.

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« Un chercheur peut être solitaire, pas un président d’université », juge Amara d’une voix égale. À son poste, ce sont les ressources humaines qu’il trouve le plus difficile à gérer. Pourtant, on le dit attentif et meneur. « Il aime diriger mais sait laisser de la liberté », commente Hélène Barucq. Hervé Thépault, élu représentant du syndicat CGT au conseil d’administration de l’Uppa, dit de lui : « C’est un homme correct, qui ne censure personne. Même si je ne suis pas d’accord avec tous ses choix, il est honnête, et nous avons un rapport de confiance. Il est droit, et adroit. »

En quatre ans, il se murmure qu’Amara a mis un coup de pied dans la ruche ronronnante de l’Uppa. Lui préfère présenter son bilan de manière factuelle, en mentionnant le développement des relations avec le Pays basque espagnol ou la bascule vers le numérique. Confronté à la réduction des financements de l’État, il a accepté le gel des embauches et multiplié les partenariats avec les industries privées.

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Un président dévoué

Lors de la remise d’un prix honoris causa au président de la Bolivie, Evo Morales, en novembre 2015, Mohamed Amara rappelait avec humour qu’il attendait de l’État français « les mêmes budgets que ceux alloués par l’État bolivien à ses universités ». « Aujourd’hui, il faut se battre pour son établissement, et Mohamed a clairement une vision stratégique », estime Éliane Sbrugnera, enseignante et vice-présidente déléguée de l’Uppa – pourtant inscrite sur une liste adverse en 2012.

S’il n’avait pas été réélu président, en mars, pour un second mandat, Amara aurait repris ses recherches consacrées aux équations des ondes et à leurs applications médicales et sismiques. Il tient à sa liberté et ne croit pas aux engagements politiques. Au début des années 1990, il a refusé de devenir secrétaire d’État pour la Recherche en Algérie, nous confie Abdelhafid Mokrane. « S’il pense ne pas pouvoir aboutir à quelque chose de scientifiquement ambitieux, il ne court jamais après un poste pour lui-même », dit-il.

Époux d’une économiste marocaine, père de deux garçons, le mathématicien se rend tous les deux mois en Algérie. Né en 1953 dans ce qui était alors un département français, il a « réintégré la nationalité française » en 2006 et affirme n’avoir « jamais perçu de différence » à cause de son origine au long de sa carrière. Il est aujourd’hui l’un des rares présidents binationaux d’une université française.

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