Mort tragique devant l’hôpital Laquintinie de Douala : « Je ne me serais jamais pardonné de n’avoir rien essayé »

Mi-mars, devant le grand hôpital de Douala, Rose Tacke a tenté une césarienne sur une de ses proches pour sauver les jumeaux qu’elle portait. Son geste, désespéré, a fait la une des médias. Jeune Afrique a recueilli son témoignage en exclusivité.

Les atermoiements des infirmiers n’ont, selon elle, laissé aucune chance aux nouveau-nés. © VICTOR ZEBAZE POUR J.A.

Les atermoiements des infirmiers n’ont, selon elle, laissé aucune chance aux nouveau-nés. © VICTOR ZEBAZE POUR J.A.

Clarisse

Publié le 11 avril 2016 Lecture : 6 minutes.

Elle n’a qu’une hâte : en finir avec « cette histoire ». Optimisme démesuré ? Peut-être, mais aussi désir irrépressible de reprendre pied dans le quotidien, deux semaines tout juste après le sordide fait divers qui l’a révélée au monde. Le 12 mars, Rose Tacke, 36 ans, a tenté une césarienne sur sa tante, enceinte, devant la maternité de l’hôpital Laquintinie, à Douala. Elle jure avoir voulu sauver les jumeaux que celle-ci portait, mais pourrait être poursuivie pour profanation de cadavre (sa tante venait de décéder lorsque Rose est passée à l’acte), un délit passible de deux années de prison.

Désormais recluse chez elle, dans le quartier populaire d’Akwa, le visage dissimulé derrière un voile pour tenter de préserver ce qui lui reste d’anonymat (son nom a été très vite révélé), elle dit avoir hésité à se confier, redoutant de voir ses propos déformés. Et on comprend pourquoi dès ses premières phrases. Ce n’est pas une femme ébranlée qu’on découvre, mais une personne combative, déterminée à faire entendre sa vérité. D’une voix monocorde, elle déroule son récit avec force détails, le ponctuant parfois de longs soupirs résignés.

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Les allers-retours entre la maternité et la morgue

Tout a commencé par une alerte lancée dans ce quartier où les habitants vivent quasiment tous en famille. Monique Koumatékel, 31 ans, est sur le point d’accoucher, et les choses se présentent mal. Elle doit être conduite à l’hôpital Laquintinie. Plusieurs membres de la famille l’y accompagnent, et Rose les rejoint à moto-taxi. Commence alors une véritable partie de ping-pong entre les différents services hospitaliers. Première étape, les urgences. Logique : allongée sur la banquette arrière du taxi, Monique Koumatékel semble inconsciente. Mais elle est enceinte, alors c’est du ressort de la maternité. Elle y est envoyée. Rose raconte la rocambolesque méprise qui les conduit plutôt à la morgue, puis leur arrivée à la maternité et l’accueil glacial du personnel médical, qui, sans avoir examiné la malade, conclut à sa mort et les renvoie à la morgue.

En l’absence de certificat de décès, la morgue ne peut les accueillir. D’ailleurs, l’employé s’étonne qu’on veuille y installer une femme enceinte dont le fœtus donne visiblement des signes de vie. Sa place est à la maternité. La famille y retourne. Nouvelles suppliques adressées au personnel, nouveau refus au motif cette fois que l’unique bloc opératoire du service est déjà occupé. Rose Tacke ne peut contenir sa colère à l’évocation de cette infirmière insinuant qu’elle tente peut-être de maquiller un crime et lui intimant l’ordre de quitter les lieux « avec ses bêtises ».

Rose a choisi de pratiquer son opération devant les portes closes de la maternité, « au cas où les nouveau-nés auraient eu besoin d’oxygène »

Elle se revoit agrippant le pantalon d’un de ses collègues, qui consent à examiner Monique et croit lui aussi déceler des signes de vie dans le ventre de la mère. Il veut se saisir d’un appareil plus sophistiqué pour en avoir confirmation et est stoppé net dans son élan par les propos d’une infirmière, cyniques et cinglants : « Ce n’est pas la première fois qu’une femme meurt avec des fœtus dans le ventre. » Rose entend encore les portes de la maternité se refermer au nez de sa famille.

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« Nous nous sommes retrouvés face à nous-mêmes, désemparés, désespérés. » Et contraints de retourner à la morgue. L’idée d’« opérer » Monique, ce n’est pas elle qui l’a eue, mais elle y a adhéré pleinement. L’usage d’un simple couteau a même été envisagé. Il a aussi été question de mettre à contribution l’employé de la morgue, qui s’est déclaré incompétent, mais a suggéré l’utilisation d’un bistouri, immédiatement acheté à la pharmacie de l’hôpital pour la modique somme de 200 F CFA (0,30 euro), en même temps qu’une paire de gants. Rose a choisi de pratiquer son opération devant les portes closes de la maternité, « au cas où les nouveau-nés auraient eu besoin d’oxygène ».

Un geste de désespoir

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Cette mère d’un jeune albinos de 10 ans, dont elle dit prendre le plus grand soin, ne se souvient pas d’avoir tremblé ou hésité. Même pas quand « des infirmiers, hilares, ont sorti leur portable pour [la] photographier ». Fervente chrétienne, elle dit avoir prié et « demandé au Seigneur d’endurcir [son] cœur ». Ce qu’elle a éprouvé une fois que tout a été terminé ? Une profonde tristesse et un grand regret, celui de n’avoir pas agi plus tôt. Elle en est persuadée : ses atermoiements, comme ceux du personnel hospitalier, ont condamné les enfants : « J’ignore si le serment d’Hippocrate a le moindre sens chez nous. Nous n’avons eu droit qu’au mépris, à l’arrogance et à la condescendance du personnel soignant. J’étais en taxi. Les choses auraient peut-être été différentes si nous étions arrivés en 4×4 Prado. »

À ceux qui jugent son geste indécent – elle sait qu’ils sont nombreux -, elle répond avoir agi parce qu’elle est « humaine, altruiste et mère », mais en aucun cas pour des raisons traditionnelles, comme cela a parfois été dit. Rose ajoute qu’elle ne se serait jamais pardonné de n’avoir rien tenté.

Elle se félicite d’avoir contribué à mettre à nu les failles du système sanitaire au Cameroun

Depuis, la famille fait bloc autour d’elle. Un collectif d’avocats sous la houlette de Me Dominique Fousse s’est aussi constitué pour la défendre gratuitement. « Un soutien inestimable », remercie la petite commerçante qui n’a jamais terminé le lycée. Mais ce qui l’a le plus surprise, c’est la mobilisation de la population : près de 500 personnes sont descendues dans les rues de Douala, le 13 mars. « Au Cameroun, il y a une forte conscience de l’existence des classes sociales. Il y a aussi l’idée que chacun doit rester dans la sienne. Mais cette mobilisation a montré que ces différentes classes pouvaient se rejoindre sur bien des points. » La jeune femme sait aussi qu’elle n’est pas à l’abri de tentatives de récupération politiciennes. À l’instar peut-être de celle de John Fru Ndi, le président du Social Democratic Front (SDF, opposition), qui a offert à sa famille la somme de 150 000 F CFA et d’autres présents en nature.

Et si c’était à recommencer ? La jeune femme, qui n’est suivie par aucun psychologue, jure qu’elle aiderait avec la même détermination, mais en forçant simplement le corps médical à prendre ses responsabilités, grâce à l’intervention de la police. Elle se félicite d’avoir contribué à mettre à nu les failles du système sanitaire au Cameroun, persuadée qu’il y aura bien un après-12 mars. « Les gens jaseront, mais mon geste est une leçon pour les médecins, pour la société, pour chaque humain, pour que cesse l’indifférence envers son prochain. »

LA MATERNITÉ ÉTAIT NEUVE

Laquitinie est le deuxième plus grand hôpital du Cameroun, après l’hôpital central de Yaoundé. Ironie du calendrier, le drame s’est joué moins d’un mois après l’inauguration, le 22 février, de la maternité Ashanti-Diamant, entièrement rénovée. Présentée par le ministre de la Santé comme une unité de pointe destinée à faciliter la prise en charge des femmes enceintes et des nouveau-nés, elle devait permettre de réduire les mortalités infantile et maternelle, qui restent très élevées au Cameroun (en moyenne 700 femmes sur 100 000 meurent en couches, et 100 bébés sur 1 000 décèdent à la naissance). Le ministre vantait alors la modernité du service de néonatalogie, proposant 65 lits, 30 berceaux, deux salles pour accueillir les prématurés et cinq couveuses.

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