Chine : la nouvelle conquête de l’Ouest

De Wanda à Anbang en passant par Fosun et Sinochem, les chevaliers rouges de l’industrie rachètent tout ce qui passe à leur portée en Occident. Avec le soutien sans faille du Parti communiste.

Wang Jianlin (2e à dr.) le 21 mars, à Pékin, lors de l’annonce de la conclusion d’un partenariat stratégique entre le groupe Wanda et la Fifa. © DAMIR SAGOLJ/REUTERS

Wang Jianlin (2e à dr.) le 21 mars, à Pékin, lors de l’annonce de la conclusion d’un partenariat stratégique entre le groupe Wanda et la Fifa. © DAMIR SAGOLJ/REUTERS

Publié le 9 avril 2016 Lecture : 6 minutes.

Acheter ! Ils n’ont plus que ce mot à la bouche. Les grands patrons chinois semblent pris d’une sorte de frénésie : investir à l’étranger. Il fut un temps pas si lointain où ils n’avaient d’yeux que pour l’énergie et les matières premières. Aux quatre coins du monde, ils traquaient tout ce qui était susceptible de permettre à l’économie chinoise de tourner toujours plus vite. Aujourd’hui, ils s’intéressent bien davantage aux pépites de l’économie réelle : hôtels, cinémas, compagnies d’assurance, industrie de pointe…

Au cours des trois premiers mois de cette année, la valeur de leurs acquisitions à l’étranger équivaut déjà à l’ensemble de celles de 2015 – qui était déjà une année record ! Rien qu’aux États-Unis, une quarantaine d’accords ont été signés ces dernières semaines pour un montant deux fois supérieur aux investissements de 2015. Il y a dix ans, le Congrès américain pouvait bloquer le rachat des compagnies pétrolières d’Unocal par son concurrent chinois Sinopec. Mais les choses changent. Très vite.

la suite après cette publicité

La fièvre acheteuse

Pourquoi cette fièvre acheteuse ? « Pour deux raisons, explique l’économiste Huang Ping. D’abord, ces entreprises ont beaucoup d’argent en caisse. Elles doivent absolument investir pour diversifier leur portefeuille et échapper au marché chinois, dont l’activité a tendance à ralentir. Ensuite parce que le gouvernement souhaite faire briller l’image du pays à l’étranger. »

Ce capitalisme patriotique, Wang Jianlin en est l’une des figures de proue. En surfant sur la passion de ses compatriotes pour l’immobilier et les centres commerciaux, l’homme le plus riche de Chine a édifié en quelques années un colossal empire « pesant » plus de 100 milliards de dollars (près de 89,5 milliards d’euros). Son nom ? Wanda. Les édifices ornés du célèbre « W », emblème du groupe, se multiplient à travers le pays. Naturellement, il n’a nulle intention de s’arrêter en si bon chemin. Il veut à présent bâtir un géant mondial à la hauteur des ambitions économiques et politiques de son pays.

Le 18 mars, on a appris que Wanda allait devenir l’un des principaux sponsors de la Fifa

Le sport est l’un de ses chevaux de bataille. Le 18 mars, on a appris que Wanda allait devenir l’un des principaux sponsors de la Fifa, la fédération internationale de foot, dont le siège est à Zurich. « Beaucoup de gens s’intéressent à ce sport, c’est donc un gros coup en matière de communication, estime Deng Haozhi, analyste chez Fineland, un promoteur immobilier. Cela répond également à un impératif politique. » Chine nouvelle, l’agence de presse officielle, est pour sa part convaincue que cet investissement permettra à la République populaire d’organiser et de gagner la Coupe du monde de football d’ici à 2030. L’organiser, c’est fort possible. La gagner, ça risque d’être un peu plus compliqué, mais on verra bien.

la suite après cette publicité

À l’heure où la croissance chinoise ralentit et où le marché de l’immobilier stagne, les observateurs et le gouvernement saluent en chœur le flair de Wang Jianlin, artisan d’une réorientation internationale vers les secteurs les plus porteurs. Mais les appels des autorités à investir à l’étranger et à y faire rayonner la culture nationale ont évidemment joué leur rôle. Lui-même grand fan de foot, le président Xi Jinping n’imagine même pas que son pays puisse continuer de stagner à une indigne 96e place au classement mondial de la Fifa, entre le Guatemala et le sultanat d’Oman !

Miser sur le divertissement

la suite après cette publicité

Autre axe de développement de Wanda : l’industrie du divertissement. Le mois dernier, le groupe a racheté Carmike, le quatrième réseau américain de salles de cinéma, et se retrouve du même coup au premier rang mondial du secteur. En janvier, il avait déjà dépensé 3,5 milliards de dollars pour prendre le contrôle de Legendary Entertainment, le studio américain qui a produit Jurassic World. Et l’an dernier, en Suisse, 1 milliard de FS (environ 916 millions d’euros) pour la reprise d’Infront Sports.

Réputé proche de Xi Jinping, Wang emploie 130 000 salariés et s’est mondialisé en un temps record. Son groupe va également investir dans le projet du Grand Paris en construisant un ensemble de centres commerciaux, d’hôtels, de parcs à thème et, bien sûr, de cinémas à la périphérie de la ville. Coût estimé de l’opération : 3 milliards d’euros. De quoi séduire les touristes chinois, toujours plus nombreux à visiter la France. Cent vingt millions d’entre eux ont voyagé à l’étranger en 2015, quatre fois plus que l’année précédente.

Il y a une véritable course aux investissements entre entreprises chinoises, explique Nicholas Lardy

La folie des grandeurs qui a saisi Wanda plaît, on l’a vu, au gouvernement. Mais beaucoup moins aux agences de notation. En janvier dernier, Standard & Poor’s et Fitch ont abaissé de concert sa note. La dette du groupe n’est pas encore considérée comme « pourrie », mais on n’en est plus très loin. « Il y a une véritable course aux investissements entre entreprises chinoises, explique Nicholas Lardy, du Peterson Institute for International Economics. Ce qui est surprenant, c’est qu’elles présentent souvent des bilans financiers assez fragiles, avec des dettes importantes, et ne sont pas très connues à l’étranger. Quand j’entends parler d’un nouvel investissement, la première chose que je regarde, c’est le financement du projet. »

Assurés du soutien sans faille de l’État et d’appuis au plus haut niveau du gouvernement, les groupes concernés ne se montrent pas inquiets outre mesure. D’autant moins que les perspectives de croissance aux États-Unis sont bonnes et les valorisations boursières intéressantes. Davantage en tout cas que sur les marchés émergents, où la baisse des cours des matières premières fragilise des pays comme le Venezuela ou le Nigeria.

Un groupe géant nommé Anbang

Autre mastodonte chinois à défrayer la chronique : Anbang. Fondé en 2004, le groupe d’assurance automobile a racheté au mois de mars à Blackstone ses Strategic Hotels & Resorts, soit seize établissements de luxe en Amérique du Nord. Le 14 mars, il a réussi à contrer l’offre de Marriott pour le rachat de Starwood, navire amiral de l’hôtellerie du Nouveau Monde (Sheraton, Westin, St. Regis, The Ritz-Carlton, etc.), avant de s’offrir, deux jours plus tard, pour 1,6 milliard de dollars, les assurances Fidelity & Garanty Life et U.S. Annuities.

À la tête de ce groupe géant, un quasi-inconnu du grand public : Wu Xiaohui. Très proche de l’État et du Parti communiste, il est tout à fait représentatif du capitalisme chinois d’aujourd’hui. Époux d’une petite-fille de Deng Xiaoping, il a aussi des liens familiaux avec Chen Yi, le cofondateur de l’Armée populaire de libération (APL), et avec Zhu Rongji, l’ancien Premier ministre. Ce « chevalier rouge » combat sur le front des affaires avec un indéniable patriotisme. Il n’est pas le seul. Des groupes comme Fosun ou Sinochem sont dans le même cas. Le second vient de reprendre le Suisse Syngenta (chimie, agroalimentaire) pour le montant record de 43 milliards de dollars !

Des marques comme Haier, Huawei ou Lenovo sont également en embuscade

Pour la Chine, ces opérations très médiatisées sont d’abord l’occasion de placer son gigantesque portefeuille de devises étrangères tout en constituant un maillage serré d’entreprises capables de soutenir la croissance et de faire briller l’étoile de la deuxième économie mondiale. Des marques comme Haier, Huawei ou Lenovo sont également en embuscade. Leurs noms ne sont pas encore très connus du grand public, mais elles figurent déjà dans leurs domaines respectifs dans le top 5 des meilleures ventes de produits électroniques, informatiques ou électroménagers. Toutes sont à l’affût de nouveaux investissements et de rachats à l’étranger.

Patron d’Alibaba et fondateur du numéro un de l’e-commerce chinois, le charismatique Jack Ma est sans doute l’acheteur le plus compulsif du moment, capable de s’offrir dans la foulée le South China Morning Post, le plus vieux quotidien de Hongkong, et une série de domaines viticoles dans le Bordelais. Plus rien n’arrête désormais ces capitalistes (très) rouges venus de Pékin.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image