Exposition : le Camerounais Lamyne M. habille les reines de la basilique de Saint-Denis

Avec ses robes de 3 mètres de hauteur, le Camerounais Lamyne M. habille des reines qui reposent à la basilique de Saint-Denis, nécropole des rois de France. Des créations qui tissent un monde pluriel et célèbrent les rencontres.

Les grandes robes royales, une exposition du styliste et artiste Lamyne M.  (au centre )Basilique Saint-Denis. © CAMILLE MILLERAND POUR J.A.

Les grandes robes royales, une exposition du styliste et artiste Lamyne M. (au centre )Basilique Saint-Denis. © CAMILLE MILLERAND POUR J.A.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 4 avril 2016 Lecture : 6 minutes.

Saint-Denis : des terroristes se font exploser aux abords du Stade de France. Saint-Denis : assaut des forces de l’ordre visant une planque d’extrémistes responsables des attentats du 13 novembre 2015. Saint-Denis : un projet meurtrier déjoué par les services de renseignements… La litanie morbide ferait presque oublier que cette ville de la proche banlieue parisienne occupe une place particulière dans l’histoire de France : sa basilique abrite en effet la nécropole des rois de France. Dagobert Ier (602-639) fut le premier à s’y faire inhumer… Près de quatorze siècles plus tard, c’est dans la belle lumière bleu, jaune et rouge de ses superbes vitraux que le Camerounais Lamyne M. expose ses « grandes robes royales », véritables femmes debout au milieu des gisants de marbre.

De taille, le défi n’était pas gagné d’avance : si quelques événements extérieurs à la pratique religieuse ont pu y avoir lieu par le passé, ce n’est pas a priori un lieu adapté pour une exposition. Ce d’autant qu’il cristallise des enjeux historiques forts et sensibles. « Il faut venir ici le 21 janvier, le jour de la mort de Louis XVI, pour s’en rendre compte », explique l’artiste en riant, casquette vissée sur les oreilles. S’il a néanmoins pu convaincre l’administration – propriété de l’État, la basilique est gérée par le Centre des monuments nationaux (CMN) – et, surtout, les autorités religieuses, c’est parce que son projet est riche de sens, porteur d’un message de tolérance et d’échange.

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« Il y a eu quelques incompréhensions au début, explique Serge Santos, l’administrateur de la basilique. Ce monument est complexe, il y a des gens qui veillent jalousement sur son image et certains ont cru qu’on allait habiller les gisants avec des boubous… Mais le président du CMN, Philippe Bélaval, s’est montré tout de suite enthousiaste et a immédiatement soutenu la démarche. »

Je me suis inspiré de gisants que j’ai choisis pour les personnes qu’ils représentaient et pour la coupe de leurs vêtements

L’idée, née il y a plus de quatre ans, a mis « deux ans, six mois et vingt-sept jours » à prendre forme. Le résultat, ce sont treize robes de 3 mètres de hauteur, dont huit installées dans le chevet et la crypte de la basilique. Huit robes conçues par l’artiste avec les élèves du lycée des métiers des arts du spectacle et de la création textile La Source (Nogent-sur-Marne) et des femmes de la maison de quartier Floréal, de Saint-Denis, en partenariat avec l’association Franciade. Huit robes conçues pour habiller des femmes qui reposent en ce même lieu : Frédégonde (545-597), Constance de Castille (1136-1160), Isabelle d’Aragon (1247-1271), Jeanne II de Navarre (1311-1349), Jeanne de France (1351-1371), Marguerite de Flandre (1309-1382), Blanche de France (1328-1393) et Jeanne de Bourbon (1338-1377).

« Je me suis inspiré de gisants que j’ai choisis pour les personnes qu’ils représentaient et pour la coupe de leurs vêtements, explique l’artiste qui dit avoir travaillé avec des archéologues, des chercheurs et des spécialistes du tissu. Mise à part Frédégonde, les femmes qui sont ici ont toutes vécu dans l’ombre d’un père, d’un mari, d’un frère… » Une petite piqûre de féminisme qui est aussi l’occasion de rappeler que le sacre des reines avait lieu ici, celui des rois se déroulant traditionnellement à Reims.

Par la magie de la création, Lamyne M. a redressé et ressuscité huit figures de femmes dont les noms, aujourd’hui, sont oubliés du plus grand nombre. Mais il ne s’est pas contenté de leur rendre la vie : il en fait des combattantes, amazones porteuses de vigoureux messages politiques. Richesse du métissage, impératif de l’écologie, critique des collusions politico-financières, il suffit de bien regarder pour saisir la portée polysémique de ces robes élancées surgies dans le calme du sanctuaire, fantomatiques et pourtant somptueuses apparitions.

On sait par exemple que le wax, très utilisé sur le continent, s’inspire des batiks javanais et est essentiellement fabriqué en Hollande

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Constance de Castille, l’épouse de Louis VII le Jeune, porte ainsi un surcot de basin rouge brillant relevé sur une robe en wax. Le rouge renvoie à la mort en couches, à 24 ans, de la reine. « Je ne voulais pas insister sur le côté morbide, alors j’ai ajouté un tissu utilisé au Togo à l’occasion des naissances, des mariages ou pour fêter la saison des pluies », commente Lamyne M. qui insiste comme d’autres avant lui – on pense bien sûr à l’artiste nigérian Yinka Shonibare MBE – sur les (mé)tissages variés ayant présidé à la création des différentes étoffes. On sait par exemple que le wax, très utilisé sur le continent, s’inspire des batiks javanais et est essentiellement fabriqué en Hollande. Le basin, originellement produit en Europe, est ici « damassé », c’est-à-dire fabriqué à la mode de Damas (Syrie)…

Parfois, le féminisme délicat de Lamyne M. se teinte d’écologie. Blanche de France, par exemple, porte une capuche et un surcot en jean orné d’un motif décoratif de feuilles de laurier surmonté d’une couronne et du chiffre 93 200 déstructuré, correspondant au code postal de Saint-Denis. Mais surtout, les deux toiles de jean utilisées ne sont pas uniquement composées de coton : la première contient 40 % d’orties quand la seconde contient 40 % de fibres de cactus. Explications de l’artiste : « Pour faire un jean en pur coton, il faut 7 à 8 pieds de coton, et un pied consomme à lui seul 855 litres d’eau potable. Il faut sensibiliser les gens au coût environnemental que cela représente. »

Les grandes robes royales, une exposition du styliste et artiste Lamyne M. Basilique Saint-Denis. © Camille Millerand pour J.A.

Les grandes robes royales, une exposition du styliste et artiste Lamyne M. Basilique Saint-Denis. © Camille Millerand pour J.A.

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Des robes qui racontent des histoires

Il serait possible de multiplier les exemples à l’infini tant les robes du Camerounais racontent d’histoires. La plus politique est celle d’Isabelle d’Aragon, épouse de Philippe III le Hardi. Sa robe est un plastron court cousu de cols de chemise, la cotte a été réalisée avec le tissu gris utilisé pour les costumes d’homme et la ceinture est composée de cravates. « Isabelle d’Aragon était très proche des pauvres, explique Lamyne M. Avec sa robe, j’évoque ces cols blancs qui viennent travailler à Plaine Commune, un centre d’affaires où les cadres disposent de leurs salles de sport et de relaxation, cette ville dans la ville qui ne partage rien avec le quotidien des Dionysiens. Le tissu est celui des costards portés aujourd’hui par Obama, Hollande et Poutine. C’est ma façon de dénoncer la connivence entre politiques et banquiers pour gérer le monde… »

La formulation est radicale, l’expression artistique est plus douce, exprimée avec discrétion dans les motifs, le drapé, les plis, l’origine des tissus. La mousseline portée par Jeanne II de France vient de Mossoul et rappelle qu’il y a depuis peu une communauté irakienne à Saint-Denis. La cotte orange de Frédégonde est « en jersey de coton pour sweat-shirt », évoquant la mode du sportswear dans cette banlieue française où l’on porte la capuche, le hijab et le béret…

Je souhaitais jouer avec le tissu social qui vit autour de la basilique mais n’y entre pas sous prétexte qu’il s’agit d’une autre culture, d’une autre religion, affirme Lamyne M.

On l’aura compris, Lamyne M. a fait entrer dans la basilique de Saint-Denis le monde pluriel qui, d’habitude, se contente d’en arpenter les abords. « Je souhaitais jouer avec le tissu social qui vit autour de la basilique mais n’y entre pas sous prétexte qu’il s’agit d’une autre culture, d’une autre religion. Il faut briser la glace, susciter la curiosité, permettre aux gens de s’approprier le monument, et donc l’histoire de France. Quand on décide de s’installer dans un pays, peut-être faut-il en épouser la culture, ou au moins la comprendre. On a trop souvent tendance à s’autoexclure. »

Lui-même le souligne avec force : de tradition musulmane, il a pu faire accepter son projet dans un lieu sacré du catholicisme, lié de surcroît à cette monarchie française dont le peuple trancha vigoureusement la tête… « Le socle du projet, c’est le vivre-ensemble, insiste-t-il. Même si Saint-Denis peut paraître mixte à l’œil nu, ce n’est pas une réalité. Les Camerounais restent avec les Camerounais, les Sénégalais avec les Sénégalais, il demeure de nombreuses frontières invisibles. » Entrer dans la basilique, pour cette fois au moins, c’est contribuer à les abattre.

>> « Les Grandes Robes royales », de Lamyne M., à la basilique de Saint-Denis. Prolongée jusqu’au 10 juin, l’exposition migrera à Châteaudun du 17 juin au 15 octobre puis à la forteresse de Chinon du 15 octobre au 10 décembre.

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