BD : l’indépendance algérienne au bout des crampons

En pleine guerre d’Algérie, le FLN constitue une équipe de foot pour populariser sa cause avec des joueurs évoluant dans les grands clubs français… à quelques semaines de la Coupe du monde.

Couverture de la BD. © Dupuis

Couverture de la BD. © Dupuis

Publié le 5 avril 2016 Lecture : 5 minutes.

Mardi 15 avril 1958. Consternation dans le monde du ballon rond : « Neuf footballeurs algériens disparaissent », titre le journal L’Équipe. Parmi eux : Rachid Mekhloufi. Originaire de Sétif, cet attaquant talentueux de l’équipe de France a quitté clandestinement son club de Saint-Étienne. À quelques semaines de la Coupe du monde, il franchit la frontière suisse dans le plus grand secret, avec d’autres joueurs. On est bien loin du voyage d’agrément : en pleine guerre pour l’indépendance, ces footballeurs ont été contactés par le FLN pour fonder la première équipe algérienne afin de populariser leur cause aux yeux du monde entier.

« À l’époque, je ne pensais pas à la politique, j’étais un jeune foufou qui ne rêvait que de foot », confie Rachid Mekhloufi à Jeune Afrique. Un « jeune foufou » qui, avec la fougue de ses 22 printemps, va rapidement passer aux choses sérieuses. Durant quatre ans, les joueurs de « l’équipe du FLN » vont mener un périple sportif et politique, en Europe, en Asie et en Afrique. Une histoire singulière que retrace la bande dessinée Un maillot pour l’Algérie, réalisée par le dessinateur Javi Rey et les scénaristes Bertrand Galic et Kris.

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Ce dernier rêvait depuis longtemps d’écrire un récit qui mêle sport et politique. C’est en faisant des recherches documentaires qu’il a découvert cette histoire, peu connue dans l’Hexagone. « Ce n’était pas normal qu’on n’en ait jamais entendu parler », déplore cet historien, amateur invétéré de foot. Après avoir rencontré Rachid Mekhloufi, les bédéistes ont décidé de raconter cette épopée avec une grande liberté : « Quand on écrit un scénario, il faut des ressorts dramaturgiques et pouvoir s’affranchir de l’exactitude historique. Cela ne dérangeait pas Rachid Mekhloufi : pour lui, l’important, c’était de transmettre cette histoire aux jeunes. Il n’est pas du tout le gardien du temple ! » explique Kris.

En 1958, la guerre s’enlise : après la bataille d’Alger, la torture s’intensifie, les attentats se multiplient. Le FLN installe son quartier général dans la capitale de la toute nouvelle République tunisienne. C’est là que débarquent les footballeurs professionnels de cette « équipe du FLN ». Rachid Mekhloufi en garde une grande fierté : « On avait une équipe de haut niveau. Les joueurs venaient de clubs prestigieux : Lyon, Monaco, Saint-Étienne, Toulouse. C’était le top ! La crème de la crème ! »

Aux commandes de cette équipe toute neuve : Mohamed Boumezrag, l’un des responsables de la fédération de France du FLN. Le 9 mai, c’est le premier match officiel sous le drapeau de l’Algérie. Les joueurs du FLN battent le Maroc, puis la Tunisie deux jours plus tard. Furieuses, les autorités françaises obtiennent rapidement l’interdiction de cette équipe par la Fifa. Malgré cette condamnation, « la glorieuse équipe du FLN », comme on l’appelle alors, signe une tournée mondiale d’environ 80 rencontres à travers l’Europe, mais aussi en Afrique et en Asie.

On avait une équipe de haut niveau.(…) C’était le top ! La crème de la crème !

Un maillot pour l’Algérie narre avec humour et émotion ce périple un brin rocambolesque : l’accueil glacial en Pologne, la neige en Irak, la liesse en Chine. « Ce fut pour nous un réveil extraordinaire », explique Rachid Mekhloufi. Des péripéties qui ont enthousiasmé les auteurs de l’album. « C’était un appel vers l’aventure, mais aussi un gouffre potentiel. Mais ces jeunes hommes ont relevé le défi. C’est ce que nous avons souhaité mettre en avant », explique Kris.

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La première année est particulièrement difficile. « Au début, c’était véritablement une équipe de va-nu-pieds ! », reconnaît Kris. L’album revient notamment sur un épisode de l’expédition où les joueurs doivent voyager à tour de rôle sur le -marchepied d’un minibus prévu pour onze places, alors qu’ils sont douze avec leur entraîneur. Rachid Mekhloufi sourit à l’évocation de ces souvenirs : « Ce qui était vraiment dur, c’était de ne pas savoir quand tout cela allait se terminer. Nous, la seule chose que nous savions faire, c’était jouer au foot. Après les tournées, le plus pénible, c’était d’attendre les autres matchs. »

Loin de chez lui, Rachid Mekhloufi apprend la mort de sa mère en 1959, sans pouvoir assister à ses funérailles à Sétif. « J’étais devenu un clandestin », soupire-til. Le récit détaille également les victoires remportées en Russie et surtout en Yougoslavie en 1961. Rachid Mekhloufi en garde un souvenir ému : « J’étais jeune. Les autres, comme Zitouni, étaient plus âgés que moi. J’ai profité au mieux de leur expérience. »

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Les accords d’Évian signés le 18 mars 1962 ne mettent pas fin à la violence. L’OAS multiplie les attentats. L’équipe de football du FLN est dissoute dès la proclamation de l’indépendance, pour laisser place à celle d’Algérie. Malgré la tension politique, Rachid Mekhloufi décide de retourner en France. « Je ne voulais pas rester en Algérie, précise-til. J’avais la possibilité de faire encore des choses, j’avais acquis une technique de pointe. J’ai fait un passage par la Suisse, avant de revenir à Saint-Étienne. L’équipe était alors en deuxième division et le capitaine comptait sur moi pour passer en première division. » Un retour qui s’est fait non sans mal. Les dirigeants du club font l’objet de menaces. Le climat est tendu quand l’attaquant foule la pelouse lors d’un match contre Cannes le 2 décembre 1962. Ce jour-là, les gradins sont pleins. Le silence glace les tribunes. « Ce fameux match a été très important. J’avais la pression ! se souvient parfaitement l’ancien international. Mais les gens ont vu que j’étais un technicien et un tacticien. En fait, ils attendaient le footballeur, pas le fellagha ! »

À 80 ans, Rachid Mekhloufi partage aujourd’hui sa vie entre la Tunisie, la France et l’Algérie, où il a été sélectionneur de l’équipe nationale dans les années 1970. Mais l’histoire épique de ces joueurs est curieusement peu honorée en Algérie. « Lors des célébrations pour le cinquantième anniversaire de l’indépendance, nous n’avons même pas été invités », regrette Rachid Mekhloufi, pourtant l’un des seuls survivants de cette équipe hors du commun. Son fils Mohamed Selim est plus amer : « Ces footballeurs ont tout sacrifié en s’engageant pour la liberté de leur pays, qui a très peu fait pour eux. Aujourd’hui, ils sont presque tous morts. Cette histoire est passée sous silence. Pourtant, ces joueurs ont été des symboles : des porte-drapeaux… mais des porte-drapeaux sans armes ! »

Couverture de la BD. © Dupuis

Couverture de la BD. © Dupuis

Un maillot pour l’Algérie, de Javi Rey, Bertrand galic, Kris, éd. Dupuis, 136 pages, 24 euros.

COMBATTANTS DU STADE

Rachid Mekhloufi a raconté son histoire dans Les Rebelles du foot, un documentaire de Gilles Rof et Gilles Perez, diffusé sur Arte puis Canal+ en 2015 et disponible actuellement en DVD. À travers son témoignage, mais également celui du Brésilien Sócrates ou de l’Ivoirien Didier Drogba, le film raconte comment certains footballeurs sont devenus des figures de résistance politique. Pourtant, analyse Gilles Rof, nombre de ces joueurs souffrent aujourd’hui « d’un déficit de notoriété visà-vis de l’engagement qu’ils ont mené ».

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