Une maladie africaine

Nous avons cru que la majorité des pays africains étaient en route pour la démocratie et que, dans cette voie, ils cheminaient d’un bon pas et enregistraient des progrès réels. Il nous faut déchanter.

Kigali, le 18 décembre 2015, devant un bureau de vote. Ce jour-là, 98,4 % des électeurs se sont prononcés en faveur d’une réforme de la Constitution permettant au président de se représenter en 2017. © JESKO JOHANNSEN/DPA/AFP

Kigali, le 18 décembre 2015, devant un bureau de vote. Ce jour-là, 98,4 % des électeurs se sont prononcés en faveur d’une réforme de la Constitution permettant au président de se représenter en 2017. © JESKO JOHANNSEN/DPA/AFP

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Publié le 7 avril 2016 Lecture : 5 minutes.

Dans la plupart des pays de l’Union africaine (UA) – ils sont plus de cinquante ! -, on a renoncé au coup d’État pour accéder au pouvoir.

Et l’on a opté pour les urnes.

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Il ne se passe pas de mois sans qu’un pays ou l’autre organise chez lui des élections législatives ou présidentielle.

Il arrive même, comme en ce mois de mars, qu’il y ait simultanément plusieurs scrutins. Tout se passe comme si l’Afrique tout entière avait adhéré à cette formule magique : le pouvoir par les urnes.

Mais les élections africaines sont-elles transparentes et pluralistes ? Sont-elles propres et honnêtes ? Leurs résultats désignent-ils ceux que les électeurs ont voulus et rejettent-ils ceux qu’ils ont écartés ?

De moins en moins, parce que dans la majorité des pays, ces élections sont marquées par des irrégularités, et qu’au lieu de s’atténuer au fil des années le phénomène s’aggrave, tend à devenir la règle.

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On s’adonne à la triche et au truquage à tous les stades : lors de l’établissement des listes, au moment du vote, et après, lors du dépouillement : l’emporte celui qui triche mieux que son ou ses concurrents.

S’il n’est pas porté remède à cette dégradation, l’Afrique et les Africains seront la risée du monde, et l’on en viendra à parler « d’élections à l’africaine ».

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Des élections honnêtes et régulières ne suffisent pas à garantir qu’un régime soit démocratique. Mais elles sont le fondement de la démocratie et si ce fondement n’est pas là, s’il n’est pas solide, aucune construction démocratique n’est possible.

*

Deux catégories de politiciens sont responsables de cette maladie africaine :

1) Tout d’abord, et principalement, ceux qui sont déjà au pouvoir et s’y accrochent. Ils y tiennent plus qu’à la prunelle de leurs yeux et ne se voient pas sans ce pouvoir devenu pour eux une seconde nature.

Leurs proches et leurs entourages leur ont fait croire que, sans eux, le pays sombrerait dans le chaos.

Une éventuelle alternance est leur hantise : il convient donc de la conjurer, coûte que coûte.

2) Viennent ensuite ceux qui aspirent à les remplacer et s’en croient capables. Pour avoir une chance d’y parvenir, ils s’adonnent, eux aussi et tout autant, aux délices et au poison du truquage des élections.

Ils se font ainsi les complices de ceux à qui l’exercice du pouvoir donne infiniment plus de moyens dont ils usent et abusent.

Les uns et les autres ne pourraient pas continuer à polluer la politique de cette manière si l’opinion africaine tolérait moins de tels agissements ou, mieux, les rejetait et disqualifiait leurs auteurs.

Cette mansuétude à l’endroit des tricheurs les encourage à persévérer.

*

Fort heureusement pour la réputation de notre continent et pour l’avenir à long terme de la démocratie en Afrique, quelques pays, trop rares à mon goût, ont des dirigeants politiques qui respectent la Constitution, remettent leur mandat en jeu sans craindre l’alternance.

On reconnaît ces pays d’exception à des critères simples : les élections s’y tiennent à la date prévue, le gagnant n’abuse pas de sa victoire, le perdant admet sa défaite et les observateurs, nationaux ou étrangers, valident le scrutin.

Si l’on met de côté le Maroc, qui est une monarchie et, malheureusement, ne fait pas partie de l’UA*, on trouve dans ce palmarès les pays suivants : Afrique du Sud, Bénin, Botswana, Burkina Faso (depuis 2015), Cap-Vert, Centrafrique (depuis 2016), Côte d’Ivoire (depuis octobre 2015), Ghana, Guinée-Bissau, Mali, Maurice, Namibie, Nigeria, São Tomé, Sénégal, Tunisie, Zambie.

Une quinzaine de pays, grands, moyens ou petits et qui rassemblent moins de la moitié de la population du continent.

* Le Maroc a quitté l’OUA de l’époque, en novembre 1984, il y a trente et un ans !

GEORGES W. BUSH ET L’ISLAM

Né en Afghanistan, Zalmay Khalilzad a fait des études à l’université américaine de Beyrouth, puis aux États-Unis, à l’université de Chicago.

Naturalisé américain, il entre en politique et se fait une place parmi les néoconservateurs Dick Cheney, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz.

Lorsque George W. Bush accède à la magistrature suprême et entre, en janvier 2000, à la Maison Blanche, Zal, comme ses amis l’appelaient, est promu conseiller politique de la présidence.

Il y milite pour l’occupation de son pays natal, puis pour l’invasion de l’Irak.

L’armée américaine entre dans Bagdad en avril 2003, renverse Saddam Hussein et instaure en Irak une politique si stupide et inadaptée qu’elle a conduit au chaos actuel et à la création de Daesh par les sunnites irakiens, « enfants de Saddam ».

Seul musulman de l’administration de George W. Bush, il fut choisi pour être ambassadeur des États-Unis, d’abord dans son pays natal, l’Afghanistan, de 2003 à 2005, puis en Irak de 2005 à 2007.

Cet homme de 65 ans vient de publier ses Mémoires sous le titre de The Envoy : from Kabul to the White House.

Dans ce livre, Khalilzad relate une scène significative de l’ignorance crasse de Bush et de ses collaborateurs.

Autour du président George W. Bush à la Maison Blanche, quelques-uns de ses plus proches collaborateurs. L’attentat du 11 septembre 2001 vient de secouer les États-Unis et, dans cette réunion restreinte, on parle de l’islam et des musulmans.

Khalilzad dit que les musulmans sont mal dans leur peau parce qu’ils pensent à leur déclin, qui se poursuit depuis plusieurs siècles, et à l’ère où ils étaient à la pointe de la civilisation, de la science et de l’éducation.

Bush lui cloue le bec en disant de façon péremptoire :

– « Je vous en prie, Zal, ne nous racontez pas d’histoires. Ce que vous évoquez n’a jamais existé. Il n’y a jamais eu de civilisation arabe ou musulmane. »

Khalilzad n’ose pas répondre. Mais il est secouru par le numéro deux de la Maison Blanche de l’époque, Andrew Card : « Monsieur le président, Zal se référait sans doute à l’empire ottoman. »

Et Khalilzad de conclure : « Je n’ai pas osé dire que le summum de la civilisation avait été atteint par les musulmans au XIe siècle, bien avant l’empire ottoman. Les Abbassides – des Arabes – régnaient alors depuis Bagdad sur l’empire arabo-musulman qui était à l’époque la communauté la plus avancée du monde. »

Dans le New York Times de ce 17 mars 2016, George W. Bush aurait pu lire ce texte qui l’aurait éclairé sur un sujet dont il a parlé sans connaissance de cause :

« Il y a mille ans, les sociétés musulmanes étaient ouvertes et curieuses, alors que l’Europe chrétienne était renfermée sur elle-même et craignait le « blasphème ». Les livres d’Aristote étaient lus et traduits à Bagdad et à Cordoue, mais interdits à Paris et à Rome. Alors, c’était dans le monde musulman que se produisaient des innovations en science, en médecine et en mathématiques. En théologie aussi, grâce à l’intérêt des musulmans pour la philosophie grecque. Des penseurs comme Ibn Ruchd, mieux connu sous le nom d’Averroès, développaient ainsi des arguments sophistiqués qui allaient inspirer des penseurs chrétiens comme saint Thomas d’Aquin. »

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