Imams maliens formés au Maroc : l’islam tolérant face au wahhabisme rigoriste

Plus d’une centaine d’imams ont déjà été formés au Maroc aux valeurs du « juste milieu ». À Bamako, on espère lutter ainsi contre la poussée du wahhabisme.

Prière du vendredi à la mosquée du quartier de N’Golonina, dans la capitale. © DAOU BAKARY EMMANUEL POUR J.A.

Prière du vendredi à la mosquée du quartier de N’Golonina, dans la capitale. © DAOU BAKARY EMMANUEL POUR J.A.

Publié le 21 avril 2016 Lecture : 5 minutes.

Arborant un gilet jaune assorti à la couleur de la barrière qu’il garde, un jeune homme régule la circulation, stoppant voitures et motos Jakarta, libérant le passage pour la foule qui se presse vers la mosquée en ce vendredi midi. La salle de prière est bondée, et les fidèles s’installent à l’extérieur du bâtiment, à même la terre ocre du sol. La mosquée du quartier populaire de N’Golonina est l’une des plus grandes de Bamako. Son succès,elle le doit à la popularité de Mohamed Haïdara.

Vêtu d’un grand bazin blanc, un tarbouche rouge vif vissé sur la tête, il prononce son prêche, en bambara et en arabe. Fils et petit-fils d’imam, il vient de passer deux années à Rabat, au sein de l’Institut Mohammed-VI de formation des imams prédicateurs et des prédicatrices. Inaugurée officiellement il y a tout juste un an, l’école dépend du gouvernement marocain, et le pays rejoint ainsi la liste des destinations où les religieux maliens vont traditionnellement se former, au même titre que la Tunisie, l’Égypte ou l’Arabie saoudite.

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Mettre fin à l’extrêmisme grâce à l’islam malékite

Mohamed Haïdara y a reçu, aux côtés d’une centaine de ses compatriotes, un enseignement fondé sur la doctrine ash’arite (voie théologique médiane qui allie usage de la raison et recours à la tradition), le rite malékite (l’une des quatre écoles traditionnelles de l’islam sunnite) et le soufisme – le tout aux frais du royaume chérifien, qui prend en charge le billet d’avion et l’hébergement des élèves, auxquels il fournit aussi un per diem de près de 200 euros par mois.

« Cela permet indirectement de lutter contre l’extrémisme, et ce simplement en expliquant les concepts de l’islam malékite », affirme Abdeslam Lazaar, directeur de l’institut. Au point, ajoute-t-il, que certains imams maliens salafistes se sont « convertis » au malékisme après être passés par le Maroc.

À Bamako, Cherif Ousmane Madani Haïdara, l’un des prêcheurs les plus populaires du Mali, veut croire que « les gens formés au Maroc ont reçu un enseignement qui va peut-être aider à sortir du terrorisme ». Un diplomate en poste dans la capitale malienne insiste, lui, sur la nécessité d’aider « l’islam traditionnel, en perte de vitesse face au wahhabisme rigoriste importé d’Arabie saoudite dans la seconde moitié du XXe siècle ».

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Encore faudrait-il que les prédicateurs formés au Maroc puissent trouver, à leur retour au Mali, une mosquée où officier. Or ce n’est pas le cas pour les deux tiers d’entre eux. Pourquoi ? Parce qu’il y a parmi eux des imams, certes, mais aussi des fils d’imams ou, plus généralement, des personnes qui ont l’habitude de seconder les imams, mais qui n’ont pas la charge régulière de la prière. Une fois rentrés, beaucoup n’ont donc pas l’occasion de diffuser cet islam modéré qu’ils ont étudié.

Koké Kallé est l’imam de la grande mosquée de Bamako. Il se dit « fier » d’avoir envoyé son frère et son fils au Maroc, mais s’inquiète pour le premier, qui est rentré il y a quelques mois et qui depuis « ne fait rien. » Mohamed Haïdara, l’imam de N’Golonina, est lui aussi préoccupé et explique avoir écrit « au ministre des Affaires religieuses et du Culte ainsi qu’au président du Parlement afin de prendre contact et de discuter du sort des imams formés au Maroc ».

Koké Kallé officie, lui, à la grande mosquée de Bamako : « Les Saoudiens voulaient que nous suivions le chemin du wahhabisme, mais nous avons dit non. » © DAOU BAKARY EMMANUEL POUR J.A.

Koké Kallé officie, lui, à la grande mosquée de Bamako : « Les Saoudiens voulaient que nous suivions le chemin du wahhabisme, mais nous avons dit non. » © DAOU BAKARY EMMANUEL POUR J.A.

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Le Conseil fédéral national des adeptes de la Tariqa Tijaniya (Confenat-Mali) a formellement demandé au gouvernement malien un terrain de deux hectares pour y construire un complexe universitaire où les imams subsahariens formés au Maroc pourraient faire vivre l’enseignement qu’ils ont reçu. L’idée est aussi de contrecarrer l’influence grandissante des établissements financés par les pays du Golfe.

« Si vous êtes salafiste, vous pouvez continuer vos études à Bamako dans des universités bien structurées, ou alors partir au Koweït, en Arabie saoudite ou au Qatar. C’est cet éventail de possibilités qui amène beaucoup d’élèves qui ne sont pas salafistes, mais qui souhaitent continuer leurs études, à le devenir », explique Mamadou Moussa Diallo, imam de la mosquée de Torokorobougou, une commune de Bamako.

Thierno Hady Oumar Thiam, le président du Confenat-Mali, s’inquiète aussi de ce que l’Arabie saoudite finance la construction de nombreux lieux de culte. « Traditionnellement, le Mali a toujours eu des mosquées construites par les communautés, et celles-ci pratiquaient un islam malékite ancestral, rappelle-t-il. Mais, à partir des années 1970, des opérateurs économiques maliens en contact avec les pays de la péninsule Arabique ou avec des bienfaiteurs de cette région ont commencé à construire leurs propres lieux de culte, et tous pratiquaient le wahhabisme. »

Plus d’État, oui, mais pas plus de politique

C’est pour cette raison que Mamadou Moussa Diallo souhaite que l’État malien encadre davantage le champ religieux : « C’est celui qui finance qui contrôle. Si vous ne gérez pas votre islam, il sera géré de l’extérieur. » Une exception tout de même : la grande mosquée de Bamako, rénovée grâce à une donation du roi Fayçal. « Les Saoudiens ont demandé que nous suivions le chemin du wahhabisme, mais nous avons dit non et la mosquée est restée malékite », assure Koké Kallé.

Conscient du problème et de la nécessité de lutter, très en amont, contre le risque de radicalisation et la menace jihadiste, l’État s’est doté, en 2012, d’un ministère des Affaires religieuses et du Culte, mais celui-ci est sans équipes ni moyens, de l’aveu même du titulaire du portefeuille, Thierno Hass Diallo. Son ministère, affirme-t-il, se résume pour l’instant aux seuls membres de son cabinet. « L’État ferme les yeux, soupire Thierno Hass Diallo. Mais être une république laïque, cela ne veut pas dire abandonner la chose religieuse !

Dans notre pays, le champ religieux est laissé à lui-même, et ce qui s’est passé dans le Nord en est la conséquence directe. » Lui aimerait avoir les moyens d’être présent sur tout le territoire. Il souhaiterait également que la formation et les prêches soient mieux encadrés, que les imams eux-mêmes soient en quelque sorte « certifiés » par le ministère.

Plus d’État, oui, mais pas plus de politique, met en garde Cherif Ousmane Madani Haïdara, qui est également le vice-président du Haut Conseil islamique du Mali. « Les politiciens de tous bords font appel aux leaders religieux et viennent chercher les imams à chaque élection, regrette-t-il. La politique est entrée à 100 % dans le champ religieux, il faut qu’elle en sorte. »

PAR-DELA LES FRONTIERES

C’est à la suite d’une conversation entre le roi du Maroc, Mohammed VI, et le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, à la résidence de l’ambassadeur du Maroc à Bamako, en septembre 2013, qu’a été décidée la formation de 500 imams maliens sur cinq ans – première et plus importante promotion d’imams étrangers passée par l’Institut Mohammed VI de formation des imams prédicateurs et des prédicatrices. « La tradition et la pratique de l’islam au Maroc et au Mali ne font qu’un. Elles se nourrissent des mêmes préceptes du « juste milieu ». Elles se réclament des mêmes valeurs de tolérance et d’ouverture à l’autre, et demeurent le fondement du tissu spirituel continu qui a lié nos deux pays », avait alors déclaré le souverain chérifien. Deux mois plus tard, un accord de coopération islamique était signé à Rabat, redonnant corps à une tradition historique d’échanges religieux entre les deux pays.

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