Sur le terrain, les entreprises attendent toujours la manne du Fonds vert pour le climat
L’Afrique attend beaucoup de cette institution lancée par l’ONU pour faire face aux changements climatiques. Hélas, au-delà des promesses mirobolantes, la machine met du temps à démarrer.
Le pactole s’élève actuellement à quelque 5 milliards de dollars (environ 4,4 milliards d’euros), une somme qui pourrait bien monter dans les années à venir. Le Fonds vert pour le climat s’est en effet engagé à réserver la moitié de sa dotation (10 milliards de dollars aujourd’hui, bien plus à l’horizon 2020, selon les promesses des donateurs) aux États insulaires et aux pays les moins avancés, majoritairement situés en Afrique.
À l’heure où le continent doit investir massivement dans ses infrastructures (énergie, transports…), ces fonds, destinés à réduire les émissions de gaz à effet de serre ou à faire face aux conséquences des aléas du climat (raréfaction de l’eau, bouleversement des saisons des pluies…), sont attendus avec impatience. Les financements de l’institution, proposés en fonds propres, en prêts et en garanties, pourraient par exemple servir à construire des centrales solaires (plutôt que des centrales à charbon) ou à alléger la facture d’une ligne de tramway pour les pouvoirs publics.
Hélas, pour l’instant, cette manne financière reste bien hypothétique. Certes, à la veille de la Conférence des Nations unies sur le climat (COP 21), à Paris, fin 2015, huit premiers investissements avaient été annoncés. Mais l’aide totale se limitait à 168 millions d’euros et seules trois enveloppes concernaient l’Afrique (salinisation des sols au Sénégal, prévision météorologique au Malawi et énergie solaire en Afrique de l’Est). Les porteurs de projet s’impatientent de voir ces investissements prendre de l’ampleur, une attente d’autant plus frustrante que leurs relations avec l’institution sont parfois inexistantes.
« Ce Fonds vert, c’est un peu le monstre du Loch Ness : tout le monde en parle mais personne ne le voit jamais », raille un homme d’affaires ouest-africain actif dans les énergies renouvelables. Il assure avoir arpenté les allées de la COP 21 et multiplié les tentatives pour entrer en contact avec ces « mystérieux hommes verts ». Sans succès. « On peut jouer au chat et à la souris longtemps, ajoute-t-il, exaspéré. S’ils ne viennent pas chercher les projets sur le terrain, ils ne les trouveront pas. »
Chronophage
Défaillance ? Pas vraiment. Le Fonds vert a adopté une structure inédite, plus proche d’un « fonds de fonds » que d’une institution de développement classique : elle ne cherche pas les projets elle-même, ni ne les instruit, mais sous-traite cette activité chronophage à des partenaires qu’elle accrédite (son conseil d’administration se contente de les valider). Un système ambitieux, qui vise à démultiplier son action en profitant de leur expertise et de leurs ressources, mais qui nuit grandement à sa visibilité – laquelle n’est pas facilitée par l’installation de son siège en Corée du Sud.
Le Fonds vert a validé 33 partenaires dans le monde.
S’il est trop tôt pour juger de son efficacité, cette organisation fait face à plusieurs écueils. Tout d’abord, le processus d’accréditation est long et, dans certains pays, trouver des entités compétentes est fastidieux. Le Fonds vert a validé 33 partenaires dans le monde, parmi lesquels les grandes institutions de développement et des banques commerciales. Seuls huit pays africains comptent actuellement un point d’entrée au niveau national pour les porteurs de projet : le Sénégal, la Namibie, le Rwanda, le Maroc, l’Éthiopie, le Kenya, l’Afrique du Sud et le Nigeria.
Autre écueil : le Fonds vert pourrait être confronté aux priorités internes de ses propres partenaires. Ainsi, la Banque africaine de développement (BAD), l’Agence française de développement (AFD) ou la Société financière internationale (IFC, filiale de la Banque mondiale dévolue au secteur privé), contraintes par des objectifs croissants en matière d’investissements verts et qui peinent parfois à trouver des projets, l’inviteront-elles systématiquement à leur tour de table ? « Je travaille avec l’AFD en permanence et je n’ai jamais vu un prospectus ni entendu un mot chez eux à ce sujet », déplore un entrepreneur français actif en Afrique.
Mastodonte
Enfin, un dernier défi trouve sa source dans la nature même de ce mastodonte, qui fait face à la fois aux contraintes d’efficacité d’un fonds d’investissement et aux lourdeurs d’un organisme onusien. Ainsi, chaque décision est prise par consensus, au sein d’un conseil d’administration aux intérêts pour le moins divergents : la moitié de ses 24 membres représentent les pays développés (donateurs) et l’autre moitié les pays en développement (bénéficiaires). De quoi donner lieu à des tergiversations, voire à des conflits.
« Le ton de la discussion devrait être de plus en plus pragmatique et constructif », répond avec diplomatie Hela Cheikhrouhou, directrice générale du Fonds vert, rappelant que c’est précisément de cet ADN onusien que l’institution tire toute sa « crédibilité ». C’est aussi ce qui suscite de si grandes attentes. Si Hela Cheikhrouhou, qui quittera ses fonctions en septembre prochain, estime sa mission « largement remplie » dans cette phase de lancement, la tâche du nouveau directeur ne sera pas aisée.
Diriger le Fonds vert, c’est comme conduire une voiture de course tout en continuant d’assembler le moteur », illustre Hela Cheikhrouhou
« Diriger le Fonds vert, c’est comme conduire une voiture de course tout en continuant d’assembler le moteur », illustre la Tunisienne. Son successeur devra accroître significativement les financements. De 168 millions de dollars en 2015, l’objectif est de passer à 2,5 milliards approuvés cette année. Or la vingtaine de projets actuellement à l’étude ne représente qu’environ 1,5 milliard de dollars.
Le nouveau directeur général sera-t-il lui aussi originaire du continent ? Rien n’est moins sûr. Mais l’Afrique aura tout autant besoin qu’il tienne ses promesses.
Mauvaise ambiance
Selon plusieurs sources interrogées par Jeune Afrique, des difficultés relationnelles au sein du Fonds vert pourraient expliquer le départ de Hela Cheikhrouhou, dont le bilan est salué. « Elle méritait un appui qu’elle n’a pas reçu, explique l’une d’entre elles. Certains membres du conseil d’administration ont mis énormément de pression sur elle. On peut même parler d’hostilité de la part d’un membre sud-africain, très négatif et bureaucratique. »
Autre indice de cette ambiance délétère : l’organisme a récemment essuyé la démission de l’économiste bissau-guinéen Paulo Gomes. Contacté par Jeune Afrique, ce dernier, qui a par ailleurs été appelé par la présidence de Guinée-Conakry comme conseiller pour les grands travaux, dit être un « éternel ami du Fonds vert ». Tout en confirmant que sa décision découlait en partie de certaines « déceptions ».
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