« Panama Papers » : ils ne l’emporteront pas au paradis

Le scandale est planétaire. Des dizaines de dirigeants politiques, d’industriels et de vedettes du sport, dont de nombreux Africains, dissimulaient leur argent dans les 214 000 sociétés offshore créées, à leur demande, par le cabinet d’avocats Mossack Fonseca. Voyage en eaux troubles…

Douze chefs d’État et de gouvernement figurent sur les Panama Papers © Adria Fruitos/J.A.

Douze chefs d’État et de gouvernement figurent sur les Panama Papers © Adria Fruitos/J.A.

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 11 avril 2016 Lecture : 5 minutes.

C’est un sacré coup de pied dans la fourmilière des riches et des puissants ! Depuis le 4 avril, la presse mondiale s’en donne à cœur joie. Pendant un an, et dans le plus grand secret, 107 médias ont mobilisé 378 journalistes, dans 77 pays, pour analyser une montagne de documents électroniques (11,5 millions), dérobés à Mossack Fonseca, un cabinet d’avocats panaméen. Le « job » de ce dernier ? Offrir un anonymat aux particuliers ou aux entreprises désireux de dissimuler leurs biens et leur argent pour des raisons pas toujours avouables.

Qui est sur les listes des Panama Papers ?

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Selon ces investigations, désormais connues sous le nom de Panama Papers, 12 chefs d’État et de gouvernement – dont six en fonction -, 128 responsables politiques et hauts fonctionnaires, des industriels et des vedettes du sport côtoient des trafiquants d’armes ou de drogue et des truands sur une liste que l’on peut qualifier de « grise », tous ceux qui y figurent n’étant pas forcément malhonnêtes.

Parmi les propriétaires de l’une des 214 000 sociétés offshore créées par le cabinet Mossack Fonseca entre 1977 et 2015, on trouve des proches des présidents Vladimir Poutine et Bachar al-Assad. Et, aussi, des collaborateurs de Mohammed VI et d’Abdelaziz Bouteflika, les fils de Hosni Moubarak, de Kofi Annan ou de Denis Sassou Nguesso, le père de David Cameron, le neveu de Jacob Zuma et Sigmundur David Gunnlaugson, le Premier ministre islandais, qui a dû démissionner, le 5 avril, sous la pression de ses compatriotes.

Les sociétés et les personnes citées dans ces Panama Papers jurent en chœur qu’elles ont agi en toute légalité. Il n’empêche : ces révélations éclaboussent tous les pays du monde. Elles montrent que les places financières sont loin, très loin, d’avoir atteint la transparence qu’on est en droit d’attendre d’elles. Pis, un anonymat propice à tous les trafics y règne en maître.

L’ONG CCFD-Terre solidaire a calculé que, si tous les pays y parvenaient, 29 161 accords de coopération fiscale seraient en vigueur. À ce jour, il y en aurait à peine 700

Certes, l’OCDE, à laquelle le G20 a confié la mission de nettoyer ces eaux troubles, se dit satisfaite de voir des administrations nationales échanger de plus en plus volontiers des informations sur l’identité et la fortune des détenteurs étrangers de sociétés offshore. « Les progrès sont réels, explique Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE. Depuis 2009, toutes les places financières se sont engagées dans cette voie, ce qui a permis de collecter plus de 50 milliards de dollars sur des avoirs offshore désormais déclarés. » « Reste à s’assurer que les pays en développement, notamment africains, en bénéficient, poursuit-il. Ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, à l’instar du Tchad, devenu son 135e État membre. »

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Encore faut-il que les États signent entre eux des accords pour développer ces échanges d’informations. L’ONG CCFD-Terre solidaire a calculé que, si tous les pays y parvenaient, 29 161 accords de coopération fiscale seraient en vigueur. À ce jour, il y en aurait à peine 700…

Encore faut-il aussi que les promesses soient tenues. Le Panama, d’où est parti le scandale, venait d’être rayé de la liste des paradis fiscaux, alors même que ce pays rechignait toujours à accéder aux demandes d’informations que lui adressaient de nombreuses administrations fiscales.

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« Allô, ici John Doe »

Fin 2014-début 2015, deux journalistes du Süddeutsche Zeitung, un quotidien munichois, reçoivent un coup de fil d’un mystérieux correspondant. « Allô, ici John Doe [pseudonyme souvent utilisé par les « lanceurs d’alerte »]. Êtes-vous intéressés par des données confidentielles ? »

Devant leur réponse enthousiaste, « John » pose ses conditions : « Ma vie est en danger. Nous communiquerons de manière codée, sans jamais nous rencontrer. »

Les deux journalistes, Bastian Obermayer et Frederik Obermaier, certifient aujourd’hui que leur interlocuteur ne leur a pas demandé d’argent et qu’il voulait seulement que ces agissements délictueux soient rendus publics.

« John » tient parole : 2 600 gigaoctets (mails, textes PDF, photos, données privées) parviennent au Süddeutsche Zeitung. Submergé, le quotidien allemand contacte en avril 2015 le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), à Washington. Mais très vite, ses responsables s’aperçoivent que leur réservoir de journalistes disséminés dans 65 pays (190 professionnels, dont 23 sur le continent africain – Nigeria, Ouganda, Kenya, Zimbabwe, Mozambique, Namibie, Afrique du Sud et Égypte) ne suffira pas. Ils se tournent vers d’autres confrères. Certains seront inquiétés durant leur travail d’enquête, notamment en Afrique. La répartition des tâches et les recoupements d’informations se feront pendant un an dans le plus grand secret.

Qui avait intérêt à faire éclater cette bombe ?

Le mystérieux lanceur d’alerte souhaite garder l’anonymat ? Rien de plus naturel, quand on sait que ses célèbres prédécesseurs, comme le cybermilitant australien Julian Assange, se sont attirés de graves ennuis judiciaires.

Difficile de croire, cependant, à l’acte isolé d’un chevalier blanc. La valeur de ce butin informatique est telle qu’il paraîtrait logique qu’une organisation importante ait pris la décision de le livrer à la presse. Les uns y voient la main des gendarmes financiers de Washington. D’autres notent que ces révélations surviennent au moment où l’OCDE ferraillait contre Panama pour tenter de faire plier ce champion de la dissimulation…

Y a-t-il des « paradis interdits » en Afrique ?

L’Afrique n’est pas une terre propice aux paradis fiscaux. Certes, créer une société offshore n’est pas onéreux. Domicilier une société écran dans les îles Vierges ne coûte que 650 dollars (570 euros), auxquels s’ajoutent 1 000 dollars de frais annuels et, éventuellement, 500 à 800 dollars pour le recrutement de faux actionnaires. Mais les sociétés comme les particuliers désireux de cacher leurs avoirs cherchent une place sûre, à l’abri des remous politiques, dotée d’un système bancaire performant et d’un système juridique fiable, et où opèrent des professionnels de haut vol. L’Afrique ne dispose pas de ces atouts.

De plus, Maurice et les Seychelles, qui hébergent des sociétés offshore, ont accepté d’échanger automatiquement l’identité de leurs propriétaires avec les fiscs étrangers. Selon les analystes du Forum mondial sur la transparence, ces deux pays ont encore des progrès à accomplir pour mettre fin au contournement des conventions fiscales en matière de retenues à la source.

Toujours selon ces experts, c’est moins la transparence qui pose problème sur l’ensemble du continent que l’efficacité des services fiscaux. Dans un premier rapport, en 2016, ils soulignaient que la Mauritanie ne disposait pas jusqu’à récemment d’un service capable de répondre aux demandes d’informations formulées par des pays tiers. Un second rapport montre que la Tunisie est handicapée dans ce domaine, ses services fiscaux s’y connaissant fort peu en matière d’avoirs étrangers. Il y a donc peu de chances que l’Afrique soit éclaboussée par des révélations de type Panama. Mais de riches Africains ne sont, eux, pas à l’abri.

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