RDC : enquête sur le micmac à la Biac
En suspendant la ligne de refinancement dont bénéficiait cette banque, les autorités ont couru le risque de déstabiliser l’économie du pays. Qu’avaient-elles donc derrière la tête ?
En apparence, le calme est revenu à la Banque internationale pour l’Afrique au Congo (Biac) après la tempête qui l’a ébranlée entre fin mars et début avril. La ruée des clients sur leurs dépôts, lorsque les dirigeants de cet établissement ont reconnu être confrontés à des tensions de trésorerie – et alors même que des rumeurs insistantes faisaient état d’une faillite imminente -, a bien failli couler définitivement cette institution, qui figure parmi les quatre plus grandes banques de RD Congo, au risque de provoquer une crise systémique qui aurait déstabilisé l’économie du pays.
« Désormais, assure-t-on au sein de la Biac, cette crise est derrière nous. » Vraiment ? Les semaines écoulées soulèvent en tout cas de nombreuses interrogations.
Pourquoi les autorités ont-elles envoyé à une mort presque assurée un établissement comptant 150 agences dans seize villes (soit le maillage le plus dense du territoire) ? La décision, très surprenante, de la Banque centrale du Congo (BCC) et du gouvernement de suspendre, fin février, un refinancement de 40 milliards de francs congolais par mois (37,4 millions d’euros) est-elle la preuve de l’incompétence du gouverneur de la BCC ou avait-elle des motifs cachés, notamment politiques ?
Deogratias Mutombo a-t-il cédé à des pressions inavouables ? « La primature et la Banque centrale ne pouvaient ignorer que cette mesure signerait l’arrêt de mort de la Biac, affirme un banquier actif dans le pays. Or celle-ci est une banque systémique [qui garantit la stabilité financière du pays] à l’échelle de la RD Congo. »
Une reprise des financements de la Banque Centrale du Congo
Un autre élément intrigue. Pourquoi, d’après les informations recueillies par Jeune Afrique, la BCC a-t-elle finalement rouvert cette ligne de refinancement ? Ce retour au schéma initial a été décidé, selon nos sources, par le président Joseph Kabila lui-même, alors que c’est le Premier ministre, Augustin Matata Ponyo, qui semblait jusque-là à la manœuvre.
Pour quelles raisons ? « La Biac, c’est environ 340 000 déposants [particuliers et PME], dont dépendent facilement plus de 3 millions de Congolais, relève notre banquier. Une faillite de cet établissement, dans un pays où il n’existe pas de système d’assurance-dépôts, mettrait tout ce monde sur le carreau. En pleine année électorale, ce n’était bien évidemment pas admissible pour l’exécutif. »
Face à ce cinglant désaveu du président, les services de presse d’Augustin Matata Ponyo ont tenté de se justifier. Diffusé le 7 avril, un communiqué indiquait que la décision de suspendre les financements de la Biac n’était que le résultat de mesures prises par la BCC pour répondre à une précédente instruction du chef de l’État. Ce dernier, confronté depuis fin 2015 à la dépréciation du franc congolais et à ses corollaires, l’augmentation du coût de la vie et la baisse du pouvoir d’achat des ménages, avait en effet demandé au Premier ministre d’endiguer de toute urgence le phénomène pour éviter des tensions sociales.
D’après les chiffres fournis dans le communiqué de la primature, la monnaie locale a en effet essuyé une dépréciation de 2,4 % en trois mois, tombant à 955 francs congolais pour 1 dollar en février. Et « certains opérateurs économiques et spéculateurs projetaient déjà un taux de change de 1 500 francs congolais pour 1 dollar fin mars 2015 », lit-on encore dans ce document de six pages aux allures de politique monétaire.
De fait, le gouvernement et la banque centrale, qui assurent avoir injecté entre fin novembre 2015 et fin février 2016 près de 49,3 milliards de francs congolais dans l’économie du pays, ont décidé, pour redonner de la vigueur à la monnaie locale, de mettre un terme à leur politique monétaire expansionniste. Parmi les mesures restrictives mises en œuvre : cette fameuse suspension du refinancement accordé par la BCC aux banques commerciales. « Après recoupement des informations, ce refinancement était accordé à la Biac », soutiennent les services du Premier ministre, omettant cependant de rappeler que l’État devait de l’argent à la Biac.
D’après les données fournies par le groupe, les encours publics auprès de la banque avoisinent en effet les 85 milliards de francs congolais, soit 30 % de son portefeuille de crédits, contre une moyenne de 10 % pour le reste du secteur. Sur ce montant, près de 25 milliards de francs congolais ne sont pas recouvrables. « Ces dettes ont pour la plupart été contractées grâce à la garantie de l’État signée par Augustin Matata Ponyo lorsqu’il était ministre des Finances », rappelle un financier de la Place.
D’après un capital-investisseur qui affirme être à l’affût d’opportunités d’acquisition dans le pays, il est possible que le gouvernement et la BCC aient eu une idée derrière la tête : pousser Elwyn Blattner, le propriétaire de la Biac, à y injecter de l’argent frais. En effet, en 2013, lorsque la banque centrale avait encouragé la nomination de Michel Losembe à la tête de cette banque afin de la restructurer et de la rendre attractive pour d’éventuels acquéreurs, une feuille de route avait été établie.
Celle-ci prévoyait, d’après nos informations, des investissements de 40 millions à 45 millions de dollars (de 35 millions à 40 millions d’euros environ). Depuis, Elwyn Blattner, l’unique actionnaire du groupe, n’y aurait injecté que quelque 5 millions de dollars.
Une stabilité fragile
En jouant sur le contexte économique et politique très sensible qui prévaut en RD Congo en cette année d’élections, la famille Blattner a donc réussi à contraindre les autorités à revenir sur leur décision. Mais la stabilité retrouvée n’est que précaire. « Si la ruée sur les dépôts a nettement baissé, elle n’est pas complètement interrompue, explique notre banquier. La confiance est brisée, elle mettra du temps à se rétablir.
Cela passera notamment par l’arrivée d’un nouvel actionnaire, mais aussi par une réduction significative de la dette de l’État dans le portefeuille de la Biac. » Ce qui, dans la conjoncture actuelle marquée par le niveau bas du prix du cuivre (principale exportation de la RD Congo) et par la chute des recettes publiques (entre 30 % et 40 % en 2015), est loin d’être gagné.
Le jeu des quatre familles
La crise qui vient de secouer la Biac est symptomatique d’une singularité congolaise. Sur les 18 banques que compte le pays, quatre sont familiales. La Biac, donc, mais aussi la Banque commerciale du Congo, détenue par les Belges Forrest ; Rawbank, appartenant aux Rawji (également propriétaires du leader local de la grande distribution, Beltexco) ; et Trust Merchant Bank, contrôlé par les Levy. « Il y a cinq ans, ces familles détenaient 80 % des activités bancaires en RD Congo, nous explique un acteur du secteur. Avec l’arrivée de groupes comme Ecobank ou Bank of Africa, cette part est tombée à 50 %. Ce qui reste énorme et problématique car, pour recapitaliser ces banques, leurs propriétaires ont des moyens limités. »
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