Néstor Nongo : du Kasaï-Oriental en RD Congo aux ministères espagnols
Depuis qu’il a quitté la RD Congo, en 1990, il a connu la galère avant de réussir de brillantes études, de devenir enseignant, puis haut fonctionnaire.
Bruxelles, Commission européenne : « Le représentant de l’Espagne va parler. » Néstor Nongo se lève, l’assistance esquisse un léger mouvement de surprise face à ce visage noir devant le drapeau rouge et jaune. D’origine congolaise, ce haut fonctionnaire – arrivé cinquième sur sept cents candidats au concours de l’administration publique espagnole, en 2008 -, est conseiller technique au ministère de l’Éducation, de la Culture et du Sport. Il se rend régulièrement en Belgique pour représenter son pays.
Dans son bureau, à deux pas de la grande place de Cibeles (Madrid), Néstor Nongo amorce la conversation en français, sa langue maternelle. S’il se sent aujourd’hui espagnol à part entière, il n’a obtenu la nationalité qu’en 2005, soit quinze ans après son arrivée sur la péninsule Ibérique. Son départ de RD Congo ne le prédestinait pas à une telle carrière, ni à une installation définitive en Europe.
Du séminaire à l’enseignement
Né en 1968 à Bayaya, dans la province du Kasaï-Oriental, le jeune garçon commence l’école grâce aux prêtres missionnaires de son village, puis passe par le petit et le grand séminaire, « la seule façon de suivre des études secondaires ». Néstor est séminariste pour le diocèse de Kolé, et son évêque lui obtient une bourse pour poursuivre ses études en Espagne. En 1990, il débarque à Pampelune, au pied des Pyrénées, pour apprendre l’espagnol, mais, peu convaincu, part quelques mois en France et en Belgique, où il « ne découvre rien de neuf » chez les anciens colonisateurs.
Finalement, Néstor, qui a réalisé entre-temps que le sacerdoce n’était pas sa voie, pose ses valises à Madrid un an plus tard, bien décidé à y rester et à s’ouvrir à de nouveaux horizons. « J’ai travaillé pendant tout l’été comme gardien d’immeuble pour pouvoir me payer les frais d’inscription à l’université Icade [tenue par des jésuites], raconte-t-il. Puis je suis arrivé à un accord avec le doyen de la faculté de théologie, José Joaquín Alemany. Il m’a fait travailler à la bibliothèque universitaire pour financer mes études, ainsi que ma chambre dans une résidence étudiante.
Il a été un vrai père pour moi. » En entamant sa troisième année, Néstor Nongo, qui n’arrive pas toujours à boucler ses fins de mois et connaît même la faim, enchaîne les petits boulots. Il est tour à tour sacristain dans une paroisse madrilène, serveur, travailleur saisonnier chez des moines cisterciens en Navarre… La foi semble avoir occupé une grande place dans sa vie, même s’il reste discret sur le sujet.
Diplômé, Néstor Nongo découvre sa deuxième vocation en 1999, lorsqu’il est engagé comme professeur de religion et de philosophie dans un lycée, à Madrid. Les débuts n’ont certes pas été faciles – les parents d’élèves venaient s’enquérir de sa capacité à enseigner -, mais il raconte, tout sourire, que les lycéens pleuraient à son départ. Il sort d’un tiroir une grosse enveloppe et en extirpe un paquet de lettres manuscrites.
J’ouvrais une nouvelle voie, et il fallait que je fasse mes preuves au nom de tous les Noirs
Les mots de ses anciens élèves sont chargés d’affection. « En tant qu’Africain, j’ai toujours dû prouver mes compétences plus que n’importe quel autre, s’exclame-t-il. Mais quand je suis devenu le premier Noir à accéder au poste de chef du département d’analyse d’information internationale de la présidence espagnole [2009-2013], j’ai trouvé cela normal. J’ouvrais une nouvelle voie, et il fallait que je fasse mes preuves au nom de tous les Noirs. » Après avoir obtenu la nationalité espagnole, Nongo sent qu’il doit se réorienter et opte pour l’administration publique.
Brillamment reçu au concours, il entre comme chef d’analyse d’information sur le Maghreb et le Moyen-Orient, avant de prendre la tête de tout le département. Chaque jour, il rédige des rapports pour le Premier ministre, prépare ses voyages, organise les visites de chefs d’État en Espagne, entretient un contact permanent avec les ambassades. Il a successivement travaillé aux côtés du socialiste José Luis Rodríguez Zapatero puis de Mariano Rajoy (droite), mais, s’il aurait de quoi alimenter des milliers d’anecdotes, il ne se permet d’en raconter aucune.
Marié à une Espagnole, père de deux enfants, Nongo a fondé en 2006 l’association Tracaf (Trabajando por el corazón de África, « travailler pour le cœur de l’Afrique »), qui a aujourd’hui une antenne à Kinshasa, où elle a ouvert une école et un centre de santé. « C’était au moment où les jeunes Africains commençaient à sauter les barrières à Melilla, explique celui qui fut aussi à l’origine de l’Association des étudiants africains en Espagne, en 1992. Notre but était d’aller leur expliquer la réalité de l’immigration, car ce que moi j’ai vécu en arrivant en Espagne, je ne le souhaite pas aux autres. ».
Lui qui n’est retourné en RD Congo pour la première fois qu’en 1995, puis dix ans plus tard à cause de la guerre, raconte combien cela lui a coûté de laisser sa famille. Il s’est depuis promis d’aider au développement. En mettant sur pied un Institut africain de leadership pour l’Afrique – dont la première antenne ouvrira cette année à Kinshasa -, il veut former les élites africaines. Très fier, il insiste sur ses deux facettes, celle du haut fonctionnaire qui termine sa thèse en sociologie et celle du militant associatif. Rien ne semble l’arrêter. Sa devise ? Ad augusta per angusta (« Vers les sommets par des chemins étroits »).
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