« Panama Papers » en Chine : princes rouges sur liste noire

Ébranlés par les révélations des Panama Papers, les dirigeants communistes, loin de faire le ménage dans leurs rangs, préfèrent accuser certaines « forces occidentales ». C’est assurément plus commode !

L’immeuble de Shanghai dans lequelle cabinet Mossack Fonseca a installé l’un de ses bureaux en Chine. © JOHANNES EISELE/AFP

L’immeuble de Shanghai dans lequelle cabinet Mossack Fonseca a installé l’un de ses bureaux en Chine. © JOHANNES EISELE/AFP

Publié le 21 avril 2016 Lecture : 6 minutes.

Petites lunettes et veste sombre, Zhang Xiaodong porte la panoplie du parfait avocat fiscaliste. Cet homme discret est le représentant en Chine de Mossack Fonseca, le désormais célèbre cabinet d’avocats panaméen à l’origine d’un récent scandale planétaire. Dans la +tragi-comédie des Panama Papers, ce pays joue un rôle de tout premier plan. Plus de 16 300 sociétés offshore ont en effet été enregistrées par le cabinet panaméen pour le compte des clients de ses huit bureaux installés en Chine continentale et à Hong Kong. Soit 29 % du total des sociétés qu’il a créées à travers le monde !

Mossack Fonseca est présent depuis 2000 en République populaire. Plusieurs documents rendus publics par le Consortium international des journalistes d’investigation (Icij), qui a déclenché toute l’affaire, montrent qu’il coopère à l’occasion avec le gouvernement et certaines banques d’État. Il dispose dans ce pays de davantage d’intermédiaires (avocats, banques, etc.) qu’au Royaume-Uni ou en Suisse.

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Hong Kong, plaque tournante de la fraude fiscale en Asie

La majeure partie d’entre eux transite par des sociétés-écrans domiciliées à Hong Kong, cette plaque tournante de la fraude fiscale en Asie. Depuis sa rétrocession par le Royaume-Uni, en 1997, cette région semi-autonome est la voie d’accès privilégiée à la Chine continentale. En sens inverse, elle joue un rôle primordial dans l’évasion des capitaux. En toute opacité, bien sûr.

Depuis vingt ans, Zhang Xiaodong, également connu sous le nom cantonais d’Austin Cheung, est le chef d’orchestre de cette évasion fiscale. C’est lui qui conseille les fraudeurs, organise leurs opérations et met en place une myriade de sociétés-écrans destinées à mettre à l’abri l’argent des milliardaires rouges et des grandes entreprises du pays.

Hong Kong n’est généralement pour les évadés fiscaux qu’une première étape

Dans une interview donnée en 2009 à un journal économique chinois, il justifiait l’usage des paradis fiscaux par la nécessité de « soustraire les entreprises chinoises à l’hostilité à laquelle elles sont souvent confrontées à l’étranger ». Il énumérait même les destinations favorites de ses clients : les îles Caïmans, les Bermudes, les Seychelles et Maurice.

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Hong Kong n’est généralement pour les évadés fiscaux qu’une première étape. Ils y bénéficient de libertés inconnues sur le continent, à commencer par un relatif secret bancaire et un très faible niveau de taxation des capitaux. Le droit y est encore – au moins pour l’instant – respecté et l’argent bien caché.

Une pratique qui fait légion chez les riches Chinois

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Beaucoup de riches Chinois sont en effet prêts à aller très loin pour sauvegarder leurs avoirs, en dépit des systèmes de contrôle mis en place par les autorités. Officiellement, les sorties de capitaux sont limitées à 50 000 dollars (environ 44 000 euros) par an et par personne. Mais, en Chine, il est toujours possible de s’arranger avec les règles. Surtout lorsque l’on est puissant et que l’on dispose d’accointances au sommet de l’État.

La falsification des factures – sous-évaluation des biens exportés, surévaluation des biens importés via Hong Kong – est l’un des plus sûrs moyens de faire sortir des capitaux du pays. Mais il y en a beaucoup d’autres, à commencer par ces « mules » qui traversent clandestinement la frontière avec des valises pleines de billets. On peut faire confiance aux grandes banques qui ont pignon sur rue à Hong Kong : lorsqu’il s’agit de choyer leurs riches clients chinois, leur imagination est sans limites ! Et « elles ne posent pas beaucoup de questions », nous confirme un consultant en placement de fortune.

Plus un gouvernement impose de restrictions aux mouvements de fonds, plus le secteur financier illégal sera important, assure David Webb, ancien banquier

L’usage de sociétés offshore n’étant pas illégal en Chine, la plupart des grandes entreprises y ont recours. « Les Chinois placent leur argent offshore car l’économie ralentit, explique Andrew Collier, analyste chez Orient Capital Research, à Hong Kong. Et puis la campagne anticorruption en cours et l’impact qu’elle pourrait avoir sur la sécurité des capitaux suscitent des inquiétudes. ».

« Plus un gouvernement impose de restrictions aux mouvements de fonds, plus le secteur financier illégal sera important », précise David Webb, un ancien banquier devenu militant de la transparence financière. Le problème est que les paradis fiscaux sont aussi un excellent moyen pour camoufler la provenance de gains illicites…

La classe politique chinoise épinglée

Les autorités ont déclenché depuis trois ans une vaste campagne anticorruption. Chez les cadres du Parti communiste chinois (PCC) et les chefs d’entreprise, plusieurs dizaines de milliers d’arrestations ont déjà eu lieu. Les riches sont donc bien conscients de la nécessité absolue de dissimuler leur fortune en des lieux plus cléments. Et, si possible, lointains.

Mais l’affaire est encore plus compliquée qu’il n’y paraît. À la lecture des Panama Papers, on découvre les noms et les activités pas très claires de certains hiérarques toujours en poste au sommet de l’État. Au moins huit membres, anciens ou actuels, du tout-puissant comité permanent du Bureau politique du PCC, l’organe qui dirige le pays, ont ainsi été mentionnés par l’Icij.

Beau-frère du président Xi Jinping, Deng Jiagui a par exemple dirigé deux firmes enregistrées aux îles Vierges britanniques pendant un an et demi. Ces entités ont été dissoutes avant l’accession de Xi à la tête du Parti et de l’État, en 2012. Également pointés du doigt le fils de Hu Yaobang, l’ex-secrétaire général du PCC écarté en 1987 et le mari de la fille adoptive de Zhang Gaoli, actuel membre du comité permanent du Bureau politique.

Le frère de l’ancien vice-président Zeng Qinghong a lui aussi dirigé en compagnie du fils de Tian Jiyun, un ex-vice-président et membre du Bureau politique, une société enregistrée successivement dans plusieurs territoires, dont les îles Samoa. Autres noms sur cette liste noire des princes rouges, ceux de la fille de Li Peng, l’ancien Premier ministre, et de la petite-fille de Jia Qinglin, un autre dirigeant de premier plan. Des proches de l’ancien Premier ministre Wen Jiabao sont également cités.

Pour Xi Jinping, qui se targue volontiers d’avoir entrepris un assainissement des rangs du PCC, l’affaire est embarrassante. Mais est-elle surprenante ? Car il est probable que le véritable objectif de la purge en cours soit moins moral que politique : il s’agirait d’éliminer en douceur un certain nombre de rivaux et d’adversaires du président. Car après tout, hommes politiques et fonctionnaires chinois ne sont toujours pas obligés de déclarer leurs actifs…

Une « attaque » contre les « élites politiques non occidentales », selon Global Times

Après avoir, dans un premier temps, censuré tous azimuts les réseaux sociaux et l’internet pour éviter la propagation de cette mauvaise publicité, la propagande du régime a allumé un contre-feu en accusant de « puissantes forces occidentales » d’être derrière ces révélations. Dans un de ces éditoriaux dont il a le secret, le très officiel Global Times a ainsi estimé que le scandale était partie intégrante d’une vaste campagne de « désinformation ». « Ces documents, écrit le journal proche du Quotidien du peuple, ont principalement des cibles politiques.».

Il s’agit d’une « nouvelle stratégie » consistant à « attaquer les élites politiques non occidentales ». Notre confrère croit même déceler derrière cette opération l’« influence particulière de Washington ». « La question est de savoir, écrit-il, si, parmi les journalistes enquêtant sur les Panama Papers, ne se sont pas glissés de faux reporters travaillant pour les services de renseignements des États-Unis. » Comme d’autres médias officiels, le Global Times évoque la mise en cause de dirigeants étrangers, comme le Russe Vladimir Poutine ou le Britannique David Cameron, mais ne dit mot des responsables chinois épinglés.

L’affaire en tout cas promet de bousculer les efforts de Pékin pour lutter contre la corruption. En 2011, un rapport de la Banque centrale chinoise avait estimé à plus de 120 milliards de dollars le montant des sommes placées à l’étranger par les responsables chinois corrompus. Une bonne partie de cet argent aurait donc transité par le Panama et par les bureaux de Zhang Xiaodong.

Depuis le déclenchement du scandale, ce dernier se fait beaucoup plus discret. Mais ce photographe amateur qui expose parfois en Chine devrait voir la valeur de ses clichés grimper en flèche. Sera-ce le cas d’une série au nom curieusement prémonitoire – « Paradis » – dont il est l’auteur ? On ignore s’il s’agit d’un paradis fiscal…

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