Mea culpa d’un président

Le fait est si rare que je ne me souviens pas de l’avoir rencontré en plusieurs décennies d’observation politique.

Le président américain Barack Obama, à l’Université de droit de Chicago en avril 2016. © Jacquelyn Martin/AP/SIPA

Le président américain Barack Obama, à l’Université de droit de Chicago en avril 2016. © Jacquelyn Martin/AP/SIPA

ProfilAuteur_BBY

Publié le 22 avril 2016 Lecture : 5 minutes.

Il est, de surcroît, positif ; je m’empresse donc de vous le soumettre et de vous proposer de nous en féliciter.

Un chef d’État en exercice, et pas n’importe lequel, a reconnu publiquement, le dimanche 10 avril, avoir commis une grave erreur dont les effets s’étalent aujourd’hui sous nos yeux.

la suite après cette publicité

Il l’analyse et s’en explique sans la justifier.

Ce chef d’État est le président des États-Unis, Barack Obama, dans les derniers mois de son exercice du pouvoir. Je pense que nous le regretterons, car il a fait preuve d’intégrité, nous a montré qu’il était à la fois un intellectuel qui réfléchit et un homme d’action qui ne recule pas devant la plus difficile des décisions.

Last but not least : il ne rechigne pas à reconnaître ses erreurs.

*

la suite après cette publicité

Aux États-Unis, Fox News est connue pour être une chaîne de télévision qui défend ouvertement les thèses de droite du Parti républicain ; depuis plus de sept ans qu’il est au pouvoir, elle critique constamment ce que fait ou dit Obama, qui, lui, est démocrate.

Elle a néanmoins proposé au président américain un long temps d’antenne dans son très écouté Fox News Sunday pour lui permettre de défendre sa politique. Contre l’avis de ses principaux collaborateurs, qui craignaient un piège, Obama a accepté.

la suite après cette publicité

À un moment de l’interview, les journalistes de Fox News ont posé à l’hôte de la Maison Blanche trois questions classiques :

1. En tant que président, de quelle réalisation êtes-vous le plus fier ?

2. Quel est le moment de votre présidence qui vous a apporté la plus grande satisfaction ?

3. Quelle a été votre plus grave erreur politique ?

*

Barack Obama s’est dit très fier d’avoir pu, dès la première année de sa présidence, sauver l’économie américaine, qu’il a trouvée dans un état de dépression comparable à celui qu’elle avait connu en 1929, avec des entreprises en faillite et un chômage très élevé.

Les mesures prises par son gouvernement ont restauré les équilibres, fait disparaître le chômage et ramené la croissance. Les États-Unis sont aujourd’hui le pays développé dont l’économie est la plus prospère.

Quant au plus beau jour de sa présidence, c’est celui où son plan de réforme de la santé publique a été accepté et voté, car il améliore le sort de millions d’Américains en leur garantissant un meilleur accès aux soins.

Lorsqu’il en est venu à la troisième question, il a répondu sans hésiter que la plus grande erreur politique de sa présidence a été la Libye.

« La décision d’intervenir était juste, voire nécessaire, pour empêcher un massacre imminent annoncé par Kadhafi lui-même et dont la victime aurait été la population de Benghazi, a précisé Obama. Mais notre carence, et celle des Européens, plus engagés encore que nous, a été la gestion de l’après-Kadhafi. »

*

Obama n’en a pas dit plus ce 10 avril, car l’interview ne le permettait pas. Mais l’on connaît le fond de sa pensée grâce aux confidences qu’il a faites à Jeffrey Goldberg dans le magazine The Atlantic. Il y dit : « Nous n’avons pas planifié l’après-Kadhafi. Le lendemain même de la chute du régime, nous ne nous sommes plus occupés de la Libye, l’avons laissée sombrer dans le chaos, glisser entre les mains d’extrémistes.

Le jour d’après était crucial et, ce jour-là, il n’y avait plus personne ! Beaucoup payent le prix de cette carence en ce moment même et l’on risque de le payer encore à l’avenir. »

En termes voilés, Barack Obama reproche à ses pairs, Nicolas Sarkozy et David Cameron, qui ont entraîné les États-Unis dans la coalition, de s’être lavé les mains de l’affaire dès la chute (et la mort) de Kadhafi : « Cameron a cessé de s’occuper de la Libye et s’est trouvé « distrait » de ce dossier par d’autres affaires. Quant à Sarkozy, il a perdu le pouvoir l’année suivante. »

*

Aujourd’hui encore, Barack Obama assure qu’« il fallait intervenir en Libye, c’était une obligation et l’ONU l’avait autorisé. Mais il aurait fallu que le Royaume-Uni et la France, premiers concernés, ainsi que les États-Unis, qui ont accepté de se joindre à eux, aient un plan d’action pour les mois et les années suivantes ».

« La planification militaire et son exécution ont été bonnes. Nous avons facilement obtenu le résultat recherché sans perdre d’hommes et sans que cela coûte plus de 1 milliard de dollars, montant raisonnable.

Mais le désastre et le chaos étaient à venir. Nous y sommes aujourd’hui parce que nous n’avons pas prévu la passivité de nos alliés européens et que nous avons sous-estimé la force du tribalisme libyen. »

*

Dans les mêmes confidences à Jeffrey Goldberg, le président américain révèle qu’en mars 2011, au moment où Kadhafi traitait les insurgés de « rats » et menaçait de les exterminer, les proches collaborateurs d’Obama étaient divisés. Fallait-il répondre aux appels urgents de Cameron et de Sarkozy et « y aller », ne fût-ce qu’en soutien ?

Lui-même était réticent ; son vice-président, Joe Biden, et son ministre de la Défense d’alors, Robert Gates, incitaient à la prudence. Mais les trois femmes associées à la décision, Hillary Clinton, Susan Rice, alors ambassadrice à l’ONU, et Samantha Power, conseillère à la sécurité, poussaient toutes trois à donner aux Britanniques et aux Français le soutien militaire, logistique et de renseignement qu’ils réclamaient à cor et à cri.

*

L’analyse que fait Barack Obama du « désastre libyen » ne fait certes que conforter dans leur sentiment ceux d’entre nous qui connaissent la Libye et suivent d’assez près son évolution des dernières années.

Pour tardives qu’elles soient, ces observations et cette autocritique ont le mérite d’exister.

Mais Nicolas Sarkozy ? Ne vient-il pas de publier un livre où il dresse la liste des erreurs qu’il a commises durant ses cinq années de présidence ? La Libye n’y figure pas, et il était encore au pouvoir, mais passif, plusieurs mois après la chute de Kadhafi, qu’il a voulue et organisée.

Et David Cameron ? Quelle excuse a-t-il d’avoir cessé de se préoccuper de la Libye le jour même où il a arrêté de la bombarder ?

L’un et l’autre sont allés à Tripoli le 15 septembre 2011 pour se glorifier d’avoir abattu Kadhafi et son régime et susciter les éphémères applaudissements de ses successeurs immédiats.

Sans se préoccuper un seul instant des lendemains d’un pays qu’ils venaient de « libérer » de la dictature en le précipitant dans le néant.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image