Albert Toikeusse Mabri : « La Côte d’Ivoire n’a jamais perdu sa place de locomotive ouest-africaine »
Nommé en janvier ministre des Affaires étrangères, le président de l’UDPCI se fixe deux priorités : la coopération régionale en matière de sécurité et la diplomatie économique.
La nouvelle Côte d’Ivoire
Croissance, dynamisme, pacification… Le pays s’impose à nouveau comme le modèle à suivre en Afrique de l’Ouest. Six mois après sa réélection, Alassane Ouattara a cependant de nombreux défis à relever. Comme l’amélioration du quotidien des Ivoiriens, la future Constitution et la fusion du RDR et du PDCI.
Homme de dialogue et de réseaux, réputé « fonceur », Abdallah Albert Toikeusse Mabri préside depuis 2005 l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), le parti fondé par le général Robert Gueï, qui est l’une des composantes du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Après s’être présenté à la présidentielle de 2010, à laquelle il est arrivé quatrième, Albert Toikeusse Mabri a soutenu la candidature d’Alassane Dramane Ouattara en octobre 2015. À 53 ans, le chef de la diplomatie a déjà une longue carrière ministérielle derrière lui. Médecin de profession, il s’est spécialisé dans les domaines de la santé publique et de l’environnement. Il a dirigé le département de la prévention des catastrophes et des épidémies du Conseil national de sécurité (CNS) de 1997 à décembre 2000, date de son élection à l’Assemblée nationale, dont il a présidé la commission environnement jusqu’en mars 2003.
Depuis, quatre portefeuilles lui ont été confiés : la Santé (2003-2005), l’Intégration africaine et la Coopération (2005-2007) et les Transports (2007-2010), sous Laurent Gbagbo, puis le Plan et le Développement, qu’il a dirigé de décembre 2010 jusqu’à sa nomination à la tête des Affaires étrangères, le 12 janvier dernier.
Jeune Afrique : Depuis l’attentat du 13 mars à Grand-Bassam, comment avez-vous travaillé avec les autres pays de la région pour lutter contre le terrorisme ?
Abdallah Albert Toikeusse Mabri : Au lendemain de l’attaque, la plupart de mes homologues m’ont appelé. Une délégation du Burkina Faso est aussitôt arrivée à Abidjan, des responsables nigériens et maliens sont aussi venus… Cette solidarité nous a confortés dans l’idée que l’on devait renforcer notre coopération sur le plan du renseignement et mutualiser nos moyens militaires. La lutte contre le terrorisme est évidemment devenue une priorité dans notre diplomatie régionale. Et nous savons que c’est ensemble que nous gagnerons ce combat.
Depuis les attentats de Bamako [20 novembre 2015] et de Ouagadougou [15 janvier], nous nous étions déjà rapprochés, aussi bien au sein de l’UEMOA que de la Cedeao, dont le Tchad est observateur permanent depuis 2011. Nous sommes en train de mettre en place un système d’alertes précoces pour non seulement renforcer la sécurité contre le terrorisme, mais aussi prévoir les risques de conflits communautaires. Nous faisons d’ailleurs participer les différentes communautés à ces actions de prévention.
Nos territoires doivent également être sécurisés sur le plan maritime pour mieux lutter contre la piraterie, les détournements de navires et les trafics de stupéfiants. Ainsi, avec l’appui des États-Unis, le Maroc a instauré un système de sécurisation de nos côtes. Toutes ces actions vont contribuer à relever le niveau de sécurité dans la sous-région.
Nos relations avec le Burkina évoluent dans le bon sens !
Après la publication du décret accordant la nationalité ivoirienne à Blaise Compaoré (le 18 janvier) et l’affaire de l’écoute téléphonique entre son ex-chef de la diplomatie, Djibrill Bassolé, et le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro (contre qui la justice burkinabè a lancé un mandat d’arrêt international pour son implication supposée dans la tentative de putsch de septembre 2015), les relations avec le Burkina Faso étaient tendues en début d’année. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Depuis la rencontre entre les chefs d’État de nos deux pays à Addis-Abeba, le 29 janvier, en marge du sommet de l’Union africaine, nos relations évoluent dans le bon sens. Alpha Barry, mon homologue burkinabè, est venu à Abidjan. Nous avons aussi reçu les ministres de la Justice et de l’Intérieur du Burkina, ainsi qu’une importante délégation du ministère de la Coopération. Aujourd’hui, nos relations ont repris sous les meilleurs auspices.
Jusqu’à récemment, la situation était complexe au Burkina, où avait été désigné un gouvernement de transition. Depuis la nomination, le 6 janvier, de Paul Kaba Thiéba au poste de Premier ministre, des autorités légitimes sont en place.
Avec elles, nous allons étudier toutes ces questions. Et, avec elles, nous regardons déjà sereinement vers le futur. Les liens entre nos deux pays sont très forts. Nous avons tout intérêt à régler rapidement nos différends. Notre préoccupation est que les populations burkinabè et ivoirienne sortent gagnantes de cette nouvelle coopération.
Quelles sont vos priorités en matière de diplomatie économique ?
La Côte d’Ivoire a un énorme potentiel et affiche une croissance économique soutenue depuis 2012 [+ 8 ,9 % par an en moyenne]. Notre priorité est que tout le monde en bénéficie. Plus nous donnerons aux jeunes et aux femmes la chance de bien se former et de s’insérer dans le tissu économique, plus nous augmenterons le niveau de croissance par la consommation. Nous devons lutter contre la pauvreté, et nous voulons aussi favoriser le développement des richesses. Une nouvelle classe moyenne va émerger. L’ensemble de la population en profitera forcément.
Pour relever le défi, nous devons aider les entreprises privées, locales comme étrangères, à se développer, notamment dans le secteur de la transformation des matières premières.
Il n’y a que comme cela que nous créerons des emplois et que nous pourrons répondre aux attentes de la population et des milieux économiques. Et c’est pour cela que nous devons poursuivre cette « éco-diplomatie », en diversifiant nos partenariats. Nous allons renforcer ceux que nous avions et nous tourner vers d’autres régions.
Des projets le Nord de l’Afrique et le reste du monde
Que répondez-vous à ceux qui font remarquer que cette diplomatie économique se tourne surtout vers des pays musulmans, comme le Maroc ?
Je ne crois pas qu’on puisse parler d’une diplomatie musulmane. Que des pays musulmans s’intéressent à la Côte d’Ivoire est en phase avec notre volonté de diversifier nos partenaires. Avec le Maroc, en particulier, nous entretenons une relation étroite depuis des décennies.
Le roi Mohammed VI a décidé de donner une nouvelle impulsion à cette relation. Un schéma a été mis en place avec le président Ouattara, et, depuis trois ans, les investissements marocains sont en nette hausse. Fin février, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, est venu à Abidjan avec la même volonté. Avant les Turcs, il y a eu les Chinois ; les Coréens arrivent ; les Japonais veulent faire un retour en force… Et on regarde de plus en plus du côté de l’Amérique latine. Nous avons des projets avec le Brésil, et l’Argentine s’apprête à ouvrir une ambassade.
La Côte d’Ivoire est la première puissance de la zone francophone
La Côte d’Ivoire va-t-elle rapidement reprendre sa place de locomotive de l’économie ouest-africaine ?
Nous ne l’avons jamais perdue ! Nous sommes la première puissance dans la zone francophone, et, si l’on considère l’ensemble de la Cedeao, la deuxième après le Nigeria. La Côte d’Ivoire a une position stratégique qui profite à l’ensemble des pays de la sous-région, et nous ferons en sorte de la renforcer.
L’Afrique de l’Ouest aujourd’hui, c’est plus de 300 millions d’habitants. Et ce sont eux, avant tout, que représente la Cedeao. Nous créons des partenariats politiques, de paix et de sécurité. La part des échanges au sein de la sous-région s’est considérablement accrue ces dernières années. Nous allons faire en sorte que tout ce qui est produit en Côte d’Ivoire soit vendu, d’abord, dans cette zone.
Nous jetons les bases d’un espace dynamique, en veillant à ce qu’il ait les ressources humaines et structurelles nécessaires pour relever le défi. Il nous faut cependant harmoniser davantage nos politiques de sécurisation des investissements.
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