Nations-Unies : pour la succession de Ban Ki-moon, faites vos jeux !

Neuf personnalités postulent pour l’instant à la succession de Ban Ki-moon, le 1er janvier 2017. Mais il devrait y en avoir d’autres. Qui sera le futur secrétaire général ? Peut être une femme originaire d’Europe de l’Est.

Installation de l’artiste chinois Liu Bolin illustrant une campagne onusienne à Pékin, en août 2015. © jglobal goals / United Nations

Installation de l’artiste chinois Liu Bolin illustrant une campagne onusienne à Pékin, en août 2015. © jglobal goals / United Nations

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 11 mai 2016 Lecture : 6 minutes.

Il fallait beaucoup de courage – ou d’inconscience – aux neufs candidats qui, entre le 12 et le 14 avril, se sont prêtés à une longue audition devant les 193 membres de l’ONU en vue de succéder à Ban Ki-moon au secrétariat général de l’organisation le 1er janvier 2017.

Beaucoup de courage parce que les Nations unies semblent impuissantes face à une série de crises d’importance variable mais qui nuisent à sa crédibilité : viols commis par des Casques bleus en Afrique ; importation du choléra en Haïti ; vagues migratoires sans précédent ; conflits interminables en Syrie, en Libye, au Soudan du Sud, en Ukraine ou au Yémen ; réchauffement climatique, etc.

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Malgré l’ampleur de ces défis, ils ont fait acte de candidature, déposé un curriculum vitae et une profession de foi, puis se sont soumis à un grand oral consistant en dix minutes d’exposé sur leur programme suivi de deux heures de questions-réponses avec les représentants des États membres.

On l’imagine aisément : rien de bouleversant n’en est sorti. La nécessité de plaire au plus grand nombre les a incités à botter en touche quand on leur a demandé de parler de sujets sensibles, l’Ukraine ou la Palestine par exemple. Ils se sont bornés à des propos convenus et politiquement corrects sur la nécessité d’accorder plus de place aux femmes ou de faire en sorte qu’un secrétaire général adjoint s’installe à Nairobi pour être mieux à l’écoute de l’Afrique.

C’est la première fois que l’ONU ressemble vraiment à une maison de verre, dit Bertrand Badie

Reste qu’il n’est à ce jour jamais arrivé que l’attribution du poste le plus important de l’ONU s’ouvre dans une telle transparence. Depuis 1945, les huit secrétaires généraux ont tous été désignés au terme d’obscures tractations entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, le fameux P5 : Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie.

« C’est la première fois que l’ONU ressemble vraiment à une « maison de verre », commente Bertrand Badie, professeur à Sciences-Po Paris et auteur de Nous ne sommes plus seuls au monde (La Découverte, 2016). Elle se met au goût du jour, mais, au bout du compte, ce sera comme d’habitude le P5 qui tranchera. Et même le P2, c’est-à-dire les États-Unis et la Russie. »

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La suite du processus promet en effet d’être beaucoup moins transparente. Les neuf candidats déclarés peuvent être rejoints par d’autres jusqu’en juillet. Il est peu vraisemblable que des prétendantes de haut vol dont le nom avait circulé l’an dernier – l’Allemande Angela Merkel, la Chilienne Michelle Bachelet, la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf – soient du nombre : leur mandat à la tête de leurs États respectifs s’achève bien après la désignation du nouveau secrétaire général.

En juillet, les membres du Conseil de sécurité se mettront d’accord sur un seul nom, qu’ils soumettront à l’Assemblée générale. En septembre ou en octobre, celle-ci devra approuver ce choix à la majorité des deux tiers.

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La proposition de certaines ONG de donner à l’Assemblée générale le choix entre deux candidats a été remisée aux oubliettes. Celle de porter la durée du mandat du secrétaire général de cinq à sept ans (non renouvelables), aussi. Il s’agissait pourtant de donner à celui-ci plus d’indépendance par rapport au P5…

Un budget étriqué

Car telle est bien la grande question : « Va-t-on élire l’homme ou la femme destiné(e) à être le pivot de la diplomatie mondiale ou bien le responsable des laveurs de vitres de la « maison de verre » ? » ironise Bertrand Badie. Ban Ki-moon, le sortant, avait été élu sous la (forte) pression des États-Unis, très hostiles aux candidats proposant de remettre l’ONU au centre du processus de règlement des conflits.

Il est à craindre que les « grandes puissances », qui, avec leur droit de veto, disposent de l’arme absolue, persisteront dans cette voie inoffensive pour leurs intérêts mais calamiteuse pour la gouvernance mondiale. Un(e) secrétaire général(e) volontariste serait pourtant essentiel(le) pour coordonner la résolution des innombrables conflits qui martyrisent les populations et pour changer le logiciel diplomatique mondial. « Les conflits sont désormais des conflits de « pauvres ».

Pour que l’action de l’ONU puisse s’adapter à cette évolution, il faudrait réévaluer le budget étriqué – 7 milliards de dollars [6,2 milliards d’euros] par an – alloué aux opérations de maintien de la paix, estime encore l’universitaire. Impossible désormais de préserver la paix si on n’associe pas les acteurs sociaux à une recherche de solutions auxquelles ne pensent pas les États, accrochés à leur souveraineté. Il faut enfin en finir avec la méthode de l’exclusion, qui ne mène à rien, comme on l’a vu en Russie, en Syrie et ailleurs », suggère Badié.

Prédire le nom qui sortira du chapeau relève de l’art divinatoire. Il est probable qu’il aura pour caractéristique essentielle de présenter le plus petit dénominateur commun afin d’être acceptable par tous. Il peut donc constituer une surprise.

Irina Bokova et Helen Clark en bonne position

C’est dans l’air du temps : il y a de fortes chances pour qu’une femme soit désignée, même si une petite moitié des 193 États membres demeurent réticents. En théorie, le nouveau secrétaire général devrait être originaire d’Europe centrale ou orientale, seule partie du monde à n’avoir jamais eu cet honneur. Vladimir Poutine y tient beaucoup, et la Russie est redevenue incontournable. On comprend que, sur neuf candidats déclarés, quatre soient des femmes et sept des Européens de l’Est.

Actuelle directrice générale de l’Unesco, la Bulgare Irina Bokova paraît bien placée. Elle est issue de la nomenklatura communiste de son pays, mais a étudié aux États-Unis. Son principal handicap : les responsables américains lui reprochent d’avoir fait entrer les Palestiniens à l’Unesco.

Son principal challenger, Helen Clark, l’ancienne Première ministre néo-zélandaise, a contre elle de représenter une région dont ce n’est pas le tour de détenir le poste. Mais son expérience à la tête du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et sa forte personnalité plaident en sa faveur. Si un homme était retenu, ce pourrait être le Portugais António Guterres, ancien haut-commissaire pour les réfugiés, qui connaît sur le bout des doigts les phénomènes migratoires.

En cas d’impossibilité à s’accorder sur l’un des candidats déclarés, le Conseil de sécurité sera tenté de rechercher la perle rare au sein de l’appareil onusien. Les bookmakers semblent miser sur Susana Malcorra, l’actuelle ministre argentine des Affaires étrangères, qui, à l’époque où elle dirigeait le cabinet de Ban Ki-moon, pilota d’une main ferme le lourd navire onusien.

Et sur l’Italo-Suédois Steffan de Mistura : envoyé spécial du secrétaire général en Syrie, il a réussi l’exploit de séduire à la fois les Russes et les Américains par son sens diplomatique.

Mais le jeu demeure très ouvert. Et il n’est pas assuré que la logique triomphe à la fin !

NEUF CANDIDATS … POUR L’INSTANT

Sept des neuf candidats auditionnés entre le 12 et le 14 avril sont originaires d’Europe de l’Est, quatre sont des femmes et quatre ont une expérience de chef d’Etat ou de gouvernement. Il s’agit de:

IRINA BOKOVA : (Bulgarie), directrice de l’Unesco

VESNA PUSIC : ancienne ministre croate des Affaires Etrangères

SRGJAN KERIM : ancien ministre macédonien des Affaires étrangères

NATALIA GHERMAN : ancienne ministre moldave des Affaires étrangères

IGORLUKSIC : ancien Premier ministre monténégrin

HELEN CLARK : ancienne Première ministre de la Nouvelle Zélande et ancienne directrice du PNUD

ANTONIO GUTERRES : ancien Premier ministre portugais et ancien haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés

VUK JEMERIC : ancien ministre serbe des affaires étrangères

DANILO TURK : ancien président de la Slovénie

De nouveaux postulants peuvent faire acte de candidature jusqu’en juillet.

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