Congo-Brazzaville : Sassou et les quarante voleurs

Une image vaut mille mots.

Denis Sassou Nguesso, le président congolais, lors de sa prestation de serment, au Palais du peuple, à Brazzaville, le 16 avril. © Wang-Bo/Xinhua-Rea

Denis Sassou Nguesso, le président congolais, lors de sa prestation de serment, au Palais du peuple, à Brazzaville, le 16 avril. © Wang-Bo/Xinhua-Rea

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 5 mai 2016 Lecture : 6 minutes.

Assis aux premiers rangs, grande salle du Palais du peuple à Brazzaville, samedi 16 avril, sept chefs d’État (1), une demi-douzaine de Premiers ministres et de ministres africains, deux présidents d’Assemblée, une brochette de délégués d’organisations internationales et d’invités personnels de l’investi du jour, parmi lesquels on distinguait Jean-Louis Borloo, Cécilia Attias et Yamina Benguigui.

Aucun représentant des gouvernements européens ou américain n’a fait le déplacement, laissant aux ambassadeurs accrédités au Congo le soin d’assurer le service minimum, et aux ministres russe et chinois dépêchés pour l’occasion le bénéfice de récolter, à l’applaudimètre, un joli succès d’estime.

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À l’évidence, si la réélection le 20 mars de Denis Sassou Nguesso a divisé la communauté internationale, ce dernier a pris soin de démontrer, par cette scénographie très nouvel ordre mondial, qu’il n’était pas aussi isolé qu’on veut le dire. En attendant que Paris, Bruxelles et Washington retrouvent le sens de leurs intérêts bien compris, explique-t-on dans son entourage, Pékin, Moscou et Ankara (le président Erdogan avait délégué un émissaire personnel pour l’occasion) font figure d’amis présentables et sûrs.

Il s’attendait à ce que l’exercice soit malaisé

Sans doute est-ce là la première leçon que Denis Sassou Nguesso a retirée des six mois compliqués qu’il vient de vivre, depuis le référendum constitutionnel d’octobre 2015 jusqu’à la présidentielle tendue de mars. S’il s’attendait à ce que l’exercice soit malaisé, il n’avait pas prévu que son opposition soit aussi pugnace, que son propre camp soit aussi divisé – et, par instants, aussi peu fiable – quant à la stratégie à suivre, ni à ce que les partenaires occidentaux du Congo se montrent aussi réservés, voire, dans le cas des États-Unis, du Canada ou de la Commission de l’Union européenne, aussi intrusifs.

Il ne s’attendait pas non plus à perdre aussi facilement la bataille de la communication extérieure, terrain très largement préempté par ses opposants, lesquels sont parvenus à vendre auprès de médias étrangers l’image anxiogène d’une capitale en état de siège où les chars sont présents à tous les carrefours et d’une région rebelle – le Pool – en proie à une amorce (imaginaire) de génocide.

Enfin, et sans doute n’est-ce pas là le moins important, ce chef habitué à des scores soviétiques (78 % en 2009) a dû, si l’on s’en tient aux résultats officiels contestés par ses adversaires, reconnaître que 40 % des électeurs ne voulaient plus de lui et que ses concurrents l’avaient emporté dans plusieurs départements et villes du Sud, dont Dolisie et Pointe-Noire, la capitale économique.

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L’extrême personnalisation du scrutin du 20 mars – pour ou contre Sassou – et le fait que ses quatre principaux adversaires (Parfait Kolélas, Jean-Marie Michel Mokoko, Pascal Tsaty Mabiala, Claudine Munari) soient tous d’anciens caciques ayant exercé des responsabilités à un haut niveau de l’État, donc peu susceptibles d’incarner une alternance autre que pelliculaire, cachent en réalité l’essentiel.

Il existe un noyau dur commun entre ceux qui ont voté contre le président sortant et ceux qui ont voté pour lui : un profond désir de changement dans la gouvernance du pays telle qu’elle s’exerce depuis l’indépendance, et le souhait d’un État modeste, transparent, social, proche des citoyens et de leurs préoccupations. Le gâchis du Pool est, à cet égard, significatif de pratiques que l’on espère révolues.

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Cible principale des forces de l’ordre qui ratissaient la région après l’incursion violente des miliciens Nsiloulous dans les quartiers sud de Brazzaville le 4 avril, Frédéric Bintsamou, alias Pasteur Ntumi, est dans une assez large mesure la créature d’un pouvoir qui a longtemps fermé les yeux sur ses agissements et ses trafics – allant jusqu’à lui octroyer des camions de transport, la jouissance de check-points et un titre rémunéré de « délégué général chargé de la promotion des valeurs de paix » (sic) – afin de mieux contrer l’influence du parti de Bernard Kolélas, omniprésent dans le Pool, et d’obtenir le désarmement de ses hommes.

La capacité de nuisance potentielle de ce chef de secte entouré de partisans passablement hallucinés, habile à faire vibrer la corde du mysticisme messianique, a également servi de prétexte à une poignée d’intermédiaires pour réclamer des fonds auprès de l’État et s’enrichir au passage.

Depuis un peu plus d’un an, frustré de promesses (notamment financières) non tenues à ses yeux, le gourou de Soumouna s’était éloigné de son protecteur avant de rompre avec lui et d’offrir les services de ses supplétifs aux chefs de file de l’opposition. L’attaque du 4 avril et la chasse à l’homme qui a suivi ont littéralement traumatisé les populations laries des quartiers sud de Brazzaville, puis de la partie septentrionale du département, prises en tenailles entre les forces de l’ordre, dont elles se méfient, et les coupeurs de routes en dreadlocks d’un pasteur autoproclamé en qui elles ne se sont jamais reconnues.

Même si aucun bilan fiable des opérations de ratissage en cours n’était encore disponible à la mi-avril, les souvenirs très présents des années de braise 1997-2000 ont joué à plein dans le réflexe de fuite qui a saisi plusieurs centaines de civils, lesquels ont trouvé refuge au sein des quartiers nord de la capitale ou dans les forêts du Pool profond.

Gestion opaque, coups de billard politique à trois bandes, petits complots aux grandes conséquences, zones de non-droit : de tout cela, les Congolais ne veulent plus. À cet égard, le discours d’investiture de Denis Sassou Nguesso, le 16 avril, fournit un élément de réponse encourageant. Une allocution consensuelle, sans triomphalisme, articulée autour du thème de la « rupture » avec les antivaleurs d’hier : corruption, clanisme, concussion, népotisme, ethnicisme.

Le chef de la « nouvelle République » se veut intègre et inspiré, social et redistributeur, porteur d’un dessein global pour le quinquennat qui s’ouvre et résolument tourné vers la jeunesse. Le problème, bien sûr, est qu’il ne s’agit là pour l’instant que d’un discours. Sceptiques de nature, mais aussi échaudés par des engagements qui n’ont pas toujours été suivis d’effets et d’autant plus exigeants sur le partage des fruits de la croissance que cette dernière est ralentie par la chute des cours du pétrole, les Congolais attendent de voir quel contenu concret le président va donner au mot « rupture ».

Ali, c’est Sassou, et les voleurs, ce sont les politiciens, en tout cas beaucoup d’entre eux, qu’ils appartiennent au pouvoir ou à l’opposition

En d’autres termes : ceux qui ont voté pour lui ne lui ont pas signé un chèque en blanc, et l’intéressé, qui ne doit sa réélection qu’à lui-même, a en théorie les mains libres pour l’honorer. « Pour beaucoup de Congolais, c’est un peu l’histoire d’Ali Baba et des quarante voleurs, explique un fin connaisseur du paysage local.

Ali, c’est Sassou, et les voleurs, ce sont les politiciens, en tout cas beaucoup d’entre eux, qu’ils appartiennent au pouvoir ou à l’opposition. » Dans le conte des Mille et Une Nuits, Ali se débarrasse des voleurs et tout finit bien. Dans la réalité congolaise de 2016, c’est sans eux que DSN se doit d’écrire les chapitres de son nouveau mandat s’il veut continuer sa route sans encombre : rompre, c’est aussi avoir le courage de s’amputer…

Au-delà, rien ne sera possible si les changements aux postes de responsabilité que réclame l’opinion ne s’accompagnent pas d’une mise à jour et d’un nettoyage en profondeur du logiciel mental qui, peu ou prou, détermine le comportement de tous les Congolais, de la base au sommet, du Nord comme du Sud, du pouvoir comme de l’opposition, de la société civile comme d’une jeunesse qui piaffe d’impatience aux portes de l’écurie, face aux notions clés de civisme, de patriotisme, de sens de l’État, de respect de la chose publique et du bien collectif.

En définitive, c’est à une alternance avec lui-même qu’est convié le président. En aura-t-il la force et la volonté ?

(1) Ceux du Sénégal, du Niger, de Guinée, du Gabon, de l’Angola, de Namibie et de São Tomé-et-Príncipe, auxquels se joindra, le lendemain, celui du Togo.

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