Cameroun : Paul Biya vu par ses ex-collaborateurs

Bourreau de travail, parfois coléreux, toujours insaisissable… Trois anciens collaborateurs, tous en disgrâce, dressent dans leurs livres respectifs le portrait d’un président qui les fascine et les révulse à la fois.

Le chef de l’État camerounais © François Mori /AP/SIPA

Le chef de l’État camerounais © François Mori /AP/SIPA

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Publié le 9 mai 2016 Lecture : 6 minutes.

Ils ont travaillé aux côtés du chef de l’État le plus secret du continent. Ils ont bénéficié de sa confiance et, croyaient-ils, de son estime, avant de tomber en disgrâce. Trois de ces « vice-dieux » ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour des crimes économiques qu’ils nient avoir commis. Arrêté en 2008, Jean-Marie Atangana Mebara, secrétaire général de la présidence entre 2002 et 2006, a écopé de vingt-cinq ans de prison, une peine équivalente à celle infligée à Marafa Hamidou Yaya, qui le précéda dans ces fonctions entre 1997 et 2002. Quant à Urbain Olanguena Awono, autrefois ministre de la Santé, il doit passer vingt ans derrière les barreaux.

Incarcérés mais libres de prendre la plume, ils ont tous trois choisi de raconter « leur » Paul Biya, ce personnage méconnu qui dirige le Cameroun depuis trente-trois ans. Mensonges d’État (d’Urbain Olanguena Awono, éd. du Schabel) a été publié en février, un mois après Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités (de Jean-Marie Atangana Mebara, éd. L’Harmattan). Quant au Choix de l’action (de Marafa Hamidou Yaya, éd. du Schabel), il était sorti, lui, en 2014. Extraits.

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Attentionné

Atangana Mebara : « Beaucoup de gens ont bénéficié de dons qu’il m’avait chargé de leur remettre, à l’occasion d’événements particuliers. Ses attentions n’ont pas seulement profité aux personnalités de son parti, de son clan ou de sa religion. À titre d’illustration, lorsque j’ai informé le président du décès de l’épouse de M. John Fru Ndi, son principal opposant, il m’a immédiatement instruit de lui transmettre ses condoléances sincères, et de l’assurer que l’État s’occuperait du rapatriement de la dépouille mortelle. »

Distant

Mebara : « Le Secrétaire général ne peut pas joindre directement le président au téléphone. […] Je crois pouvoir dire que [ce dernier] évite toute familiarité avec ses collaborateurs. […] Malheureusement, il faut bien dire que certains ministres ont quitté le gouvernement sans avoir jamais eu d’audience avec lui. Beaucoup en étaient déçus, voire frustrés ; ils venaient m’en parler, et je leur répondais souvent que le fait qu’il ne les recevait pas [ne signifiait pas] que le président se désintéressait d’eux. »

Marafa : « Avec ce personnage disjoint, insaisissable, dissimulant des gouffres intérieurs insondables, mes relations ne furent autres que professionnelles. »

Informé

Mebara : « Il sait s’organiser pour préserver son pouvoir. Il veille particulièrement à être toujours bien informé ; en cela, je crois qu’il applique bien cette leçon de Mazarin : « Tu dois avoir des informations sur tout le monde, ne confier tes propres secrets à personne, mais mettre toute ta persévérance à découvrir ceux des autres. Pour cela espionne tout le monde, et de toutes les manières possibles. » Je ne prétends pas qu’il « espionne » ses collaborateurs ; mais je peux vous assurer qu’il était au courant de beaucoup de choses de la vie [des principaux d’entre eux]. »

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Janus

Olanguena, à propos des arrestations délibérément humiliantes de hautes personnalités dans le cadre de l’opération anticorruption Épervier : « Quelle image voulons-nous donner de ceux qui nous dirigent ? L’image d’une bande de malfaiteurs, choisis tout de même par un chef ? Comment fait-il, donc, ce chef, pour les choisir ainsi ? Des bandits et tous pourris, sauf un ? Quelle hypocrisie ! »

Mebara : « Ma principale interrogation, aujourd’hui encore, est de savoir comment mon interpellation puis mon incarcération ont pu intervenir sans qu’à aucun moment je n’ai eu avec le président de la République la moindre explication sur ce qui m’était reproché, d’homme à homme, de presque père à presque fils. »

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Marafa, sur la réforme constitutionnelle de 2008 visant à faire sauter le verrou de la limitation du nombre de mandats : « Dans mon esprit, il était clair que le président ne se représenterait pas. Qu’il utilisait l’éventualité d’une nouvelle candidature comme un artifice visant à calmer les ardeurs des uns et des autres, comme une fiction pacificatrice, rien de plus. […] Le président ne m’avait jamais détrompé. […] La suite est connue de tous. »

Manipulé

Olanguena : « L’influence de ces clans, qui ont joué de leur proximité pour encercler le chef de l’État, est si forte que l’on a le sentiment que celui-ci, sous leur emprise, est plus « agi » qu’il n’agit. Ces mafias le manipulent insidieusement en travestissant la vérité sur tout […]. Le mal est en effet très profond et grave. Sa racine dans le système est ancrée dans les officines à l’œuvre autour et au service des proches du chef de l’État qui, encerclé et isolé des réalités, ne contrôle presque rien. »

Ombrageux

Marafa, lorsque celui-ci lui annonce, la veille des législatives de juin 2002, qu’une défaillance de l’administration va empêcher la tenue du scrutin : « C’est l’explosion. Il me demande qui je crois être pour lui dire que lui, président de la République, ne pourra déposer son bulletin dans l’urne. »

Olanguena : « Lorsqu’on commence à bien faire son travail, il faut assumer le risque de mal finir. […] Ici, les bras qui travaillent doivent être coupés. L’intelligence qui surpasse les autres doit être neutralisée. Beaucoup de ceux qui ont démontré de la compétence, du sérieux et de l’efficacité, de l’ambition pour le pays et produit des résultats mesurables en termes de réelles avancées des secteurs qui leur ont été confiés, ont été limogés. […] Il y a là comme une constance d’un régime cannibale qui dévore par divers biais les valeurs camerounaises et leur préfère des personnages sans envergure, sans compétence, sans capacité de leadership. »

Prudent

Marafa : « Il exècre l’imprévu, lui qui refuse de tenir des conférences de presse par crainte des questions non connues d’avance. »

Secret

Mebara, alors que Paul Biya l’informe de sa prochaine nomination au poste de secrétaire général de la présidence : « Vous n’en parlez à personne. Pas même à votre épouse. Vous m’avez bien compris ? Je bredouillais un « Oui, Monsieur le président » […] Le président ne se laisse pas connaître, malgré certaines apparences. Et il reste pour moi, aujourd’hui encore une vaste énigme. Je l’ai vu rire jusqu’à en pleurer, un rire vrai. Je dirais simplement que c’est quelqu’un qui a certainement beaucoup lu le Bréviaire du cardinal Mazarin. »

Travailleur

Mebara : « Cela m’amusait toujours d’entendre dire que le président était un homme paresseux, qui passait son temps à jouer au songo (jeu traditionnel chez certains groupes bantous). D’ailleurs, je le lui ai dit un jour. Il m’a alors révélé qu’il ne savait même pas [y] jouer. Des dizaines de parapheurs de dossiers lui étaient transmis chaque soir. Et, le lendemain, tous les parapheurs provenant du Secrétariat général revenaient, avec des instructions ou des annotations de sa main. […] J’étais surtout frappé par sa connaissance et sa mémoire des dossiers et des hommes. On ne s’attend pas toujours à voir un chef de l’État parler des dossiers sans document. »

« COMME DU DÉPIT AMOUREUX »…

Yves Ayong est un financier camerounais, mais surtout un bon connaisseur de la politique locale. Il s’amuse de l’admiration paradoxale qu’Atangana Mebara, Olanguena et Marafa vouent encore à Paul Biya. « J’ai trouvé dans leurs écrits un soupçon de narcissisme, mais aussi beaucoup de dépit amoureux, explique-t-il. Leur regard reste figé dans le rétroviseur, fascinés qu’ils sont par leur ancien maître.

Ils parlent beaucoup d’eux aussi, mais si peu de nous, en tant que nation… » Ce que l’on retient de ces trois contributions, ajoute-t-il, c’est que les collaborateurs du président « voient en lui l’instrument d’un pouvoir dans lequel ils souhaiteraient se vautrer ». « Le problème, conclut Ayong, c’est que le chef de l’État a fini par s’en rendre compte et s’est muré dans un dédain assumé. »

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