OGM : au Burkina, les fausses promesses de Monsanto
La firme américaine voulait faire du pays son modèle africain. Mais les cotonniers ont déchanté et lui demandent désormais des comptes.
OGM : l’Afrique à tout prix
Poison à retardement ou solution miracle au défi alimentaire ? Peu à peu, le continent succombe aux promesses des organismes génétiquement modifiés. Le résultat d’une bataille silencieuse, menée lentement mais sûrement depuis bientôt vingt ans. Et ce malgré un échec retentissant au Burkina Faso.
Il paraît qu’à Crève Cœur, au siège de Monsanto, dans l’État du Missouri, une carte du monde est accrochée au mur, et que sur cette carte des drapeaux ont été plantés sur les pays conquis par la firme, comme on le faisait au temps de l’expansion coloniale à Paris, à Londres ou à Berlin.
Il paraît aussi, si l’on se fie à la même source, qui a pénétré dans l’antre des pesticides et des OGM il y a quelques années, qu’un petit drapeau a été planté sur le Burkina Faso ; qu’on y tient, chez le géant américain, à cette conquête ; et qu’on ne la laissera pas être emportée par l’harmattan qui s’est soudainement levé il y a un an à Ouagadougou sans résister.
Dans un an, plus aucun gramme de coton génétiquement modifié ne devrait être produit au Burkina Faso
C’était en mai 2015. Comme un pavé jeté dans la mare d’un pays que l’on a longtemps présenté comme la vitrine de Monsanto en Afrique, un document de 29 pages au titre long comme le bras (« Mémorandum sur la production et la commercialisation du coton génétiquement modifié au Burkina Faso »), pondu par celles-là même qui, des années durant, ont défendu les OGM : les trois sociétés cotonnières qui se partagent le marché national (la Sofitex, la Socoma et Faso Coton) ainsi que l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB).
On peut lire dans ce mémorandum ce que l’on disait à voix basse depuis quelques années dans le huis clos des réunions de l’interprofession : la qualité du coton Bt (résistant à certains insectes) n’est pas bonne. Il se vend moins bien et moins cher sur le marché international, et son rendement est décevant…
Depuis, Monsanto et l’interprofession négocient. Les sociétés cotonnières réclament un dédommagement pour les pertes financières qu’elles disent avoir subies ces cinq dernières années – le montant exigé s’élève à 48 milliards de F CFA (73 millions d’euros). Monsanto renâcle. Mais il y a plus grave pour la firme américaine : l’interprofession a décidé d’en finir avec ce coton-là.
En l’espace de trois ans, le taux de champs emblavés en coton Bt devrait passer de 73 % (lors de la campagne 2014-2015) à 0 (lors de la campagne 2016-2017 qui doit débuter dans les semaines à venir). Dans un an, plus aucun gramme de coton génétiquement modifié ne devrait être produit au Burkina Faso.
« Il n’y a plus rien à tirer de ce produit-là. Si on continue, on n’arrivera plus à vendre notre coton et la filière disparaîtra », explique le dirigeant d’une de ces sociétés qui, prétextant les négociations en cours, a requis l’anonymat. Ce bon connaisseur de la filière ne cache pas son amertume, tout autant désolé par l’attitude de Monsanto que par le constat de son propre échec : « Nous avons défendu bec et ongles les OGM, ici au Burkina, mais aussi partout dans le monde.
On nous a traités de « vendus » à Monsanto. Nous avons l’air de quoi maintenant ? » À l’autre bout du spectre, le généticien Jean-Didier De Zongo, une des figures du combat anti-OGM au Burkina, jubile : « Aujourd’hui, les gens m’appellent. « Tu avais raison », me disent-ils. Depuis le début, je répète que le travail a été bâclé et qu’on navigue à vue. »
Invasions de chenilles et chutes de production, retour sur l’histoire du coton burkinabè
Le revirement est spectaculaire. Car, durant des années, l’introduction du coton génétiquement modifié au Burkina a été présentée comme une success-story : les rendements étaient formidables, la production ne cessait d’augmenter… « L’objectif pour lequel nous avons introduit le Bt, qui était de contrôler les ravageurs, a été atteint », admet tout juste le directeur de la société cotonnière.
Il faut remonter le temps pour saisir les enjeux, revenir à ces années 1990 qui ont bien failli sonner le glas de l’or blanc. Le coton burkinabè, fruit de nombreuses recherches menées depuis cinquante ans, est alors l’un des plus réputés du monde. Près de 80 % de la production nationale se situe au-dessus des normes en matière de longueur de fibre – or sur le marché mondial, deux choses comptent : le grade (la couleur) et la longueur de la soie. Mais au début de cette décennie, les champs sont envahis de chenilles.
La production chute. Les paysans, endettés, abandonnent cette culture. En 1995, la Sofitex, société d’État qui possède alors le monopole, élabore un plan de relance : les impayés sont apurés, la filière réorganisée… L’année suivante, patatras : nouvelle invasion de chenilles.
Puis en 1998, ce sont les mouches blanches qui arrivent. Les paysans, dépassés, cherchent des pesticides de plus en plus forts. Ils aspergent leurs champs, encore et encore – parfois plus de dix fois en une seule campagne. Certains de ces produits sont extrêmement nocifs, d’autres carrément inefficaces.
Une mauvaise nouvelle pour Blaise Compaoré qui, à cette même époque, rêve que son pays soit le premier dans un domaine. Un de ses conseillers avait évoqué le coton. Le président avait dit banco. Objectif (qui ne sera jamais atteint) : produire 1 million de tonnes par an. Des dizaines d’ingénieurs ont été recrutés, les zones de production ont été élargies au sud et à l’est.
Monsanto, le sauveur
La production avait même fini par grimper avant cette série de calamités. C’est là qu’arrivent Monsanto et sa concurrente suisse Syngenta, qui proposent la « solution miracle ». Le gouvernement se laisse séduire. « Dans ce contexte, forcément, quand on nous a parlé du coton génétiquement modifié, on a tout de suite applaudi, et moi le premier. On n’avait rien à perdre », se souvient Georges Yaméogo, le secrétaire général de l’Association interprofessionnelle du coton au Burkina (AICB), qui dit « aimer les OGM ».
« À l’époque, le Faso était menacé de sanctions par l’ONU pour son rôle dans les trafics d’armes vers la Sierra Leone et le Liberia. Un deal a été passé avec Washington pour éviter ces sanctions », avance Ali Tapsoba
Des tests sont menés dès 2001 dans les champs de l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (Inera), d’abord dans le plus grand secret et en l’absence de toute législation en la matière – la loi sur la biosécurité sera adoptée en 2006 -, puis au grand jour une fois que la nouvelle a été ébruitée, à partir de 2003. C’est Salif Diallo, alors bras droit de Compaoré chargé de toutes les affaires sensibles, qui, en tant que ministre de l’Agriculture, a hérité du projet. Très vite, il se fait le chantre des OGM.
En 2006, lors d’une visite dans un champ de l’Inera, il vend du rêve aux paysans : avec le coton Bt, il promet un rendement de 4 à 5 tonnes par hectare, quand il est inférieur à une tonne avec le coton conventionnel. Y croit-il lui-même ? Ce ratio ne sera évidemment jamais atteint.
Le record en la matière, selon les données de l’AICB, date de l’année dernière : les producteurs ont obtenu en moyenne 1,1 tonne de coton Bt par hectare, à peine plus qu’avec le conventionnel… « On nous a trompés sur la marchandise », reconnaît un acteur de l’époque. Salif Diallo l’admet, mais il dit ne rien regretter.
S’agissait-il, pour le régime Compaoré, de séduire les États-Unis, voire de monnayer son retour en grâce sur le plan diplomatique ? C’est ce qu’assurent les anti-OGM. « À l’époque, le Faso était menacé de sanctions par l’ONU pour son rôle dans les trafics d’armes vers la Sierra Leone et le Liberia. Un deal a été passé avec Washington pour éviter ces sanctions », croit savoir Ali Tapsoba, une autre figure du combat contre Monsanto, qui préside l’association Terre à vie.
La thèse est fragile. Diallo la réfute. Mais il est vrai que la diplomatie américaine ne manque pas une occasion de promouvoir les OGM de par le monde. Un télégramme diplomatique révélé par WikiLeaks et datant du 3 juillet 2008 montre comment l’ambassadeur américain en poste à Ouagadougou, inquiet de voir les pourparlers se prolonger entre Monsanto et les autorités, a intercédé auprès du gouvernement de Tertius Zongo pour que la firme obtienne la licence d’importation, de production et de commercialisation du coton Bt. L’année suivante, le coton génétiquement modifié était dans les champs des paysans…
Nous sommes donc en 2009. Le coton transgénique est désormais produit et commercialisé. Une autorité de contrôle, l’Agence nationale de biosécurité (ANB), a été créée – une « coquille vide » selon les anti-OGM. Pour réduire la dépendance à Monsanto, les autorités ont exigé que la semence dite « Bollgard II », qui donne le coton Bt, soit une copropriété de Monsanto et de l’Inera.
Les royalties, fondées sur les gains obtenus, sont partagées : 60 % reviennent à l’Union des producteurs, 28 % à Monsanto et 12 % aux sociétés cotonnières et à l’Inera.
Pour Monsanto, le Burkina est le terrain de jeu idéal : l’organisation de la filière cotonnière est à ce point verticale qu’il suffit de convaincre une poignée d’hommes pour gagner l’ensemble du marché. À aucun moment dans cette histoire, les paysans n’ont eu leur mot à dire. Pas plus aujourd’hui, alors qu’il est question d’abandonner le Bt, qu’hier, lorsqu’il fut adopté.
Comme Diallo, ils ont été saoulés de promesses. « Quand on nous a parlé de nouvelles semences, nous ne savions rien des OGM, nous ne savions même pas ce que ça signifiait, se souvient Nahaoua Yipamou, un producteur du village de Konkolekan. Mais nous, quand on nous dit qu’on produira plus en travaillant moins… »
Le précédent indien
Personne à l’époque ne s’intéresse au cas de l’Inde, où Monsanto a commercialisé à partir de 2002 une autre génération de coton Bt (le Bollgard I), avant de reconnaître, huit ans plus tard, qu’elle n’était plus efficace contre les ravageurs. Entre-temps, des dizaines de paysans endettés s’étaient donné la mort… en ingurgitant des pesticides.
Comme en Inde, l’expérience est d’abord satisfaisante au Burkina. Mais très vite, les sociétés cotonnières déchantent. Avant l’introduction du transgénique, les soies longues représentaient 93 % de la production, et les soies courtes, 0,44 % – les longueurs intermédiaires représentant le reste. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée : les soies courtes représentent 56 % de la production, et les soies longues, 21 %.
Aujourd’hui, le Burkina vend son coton moins cher et se voit même infliger des pénalités, mais il a en plus du mal à l’écouler
Résultat : non seulement le Burkina vend son coton moins cher et se voit même infliger des pénalités, mais il a en plus du mal à l’écouler. « À quoi cela sert-il d’être le premier producteur de l’Afrique de l’Ouest si on ne peut pas vendre toute la production ? s’interroge le directeur de la société cotonnière cité plus haut. L’année dernière, le Mali a écoulé plus vite ses 500 000 tonnes que nous nos 722 000 tonnes. »
Cette mauvaise qualité s’explique par ce que le professeur De Zongo dénonce depuis des années : Monsanto et l’Inera sont allés trop vite lors des manipulations génétiques. « Normalement, il faut six à sept back-cross (action consistant à croiser un élément hybride avec un de ses parents afin d’obtenir un résultat génétique proche de ce dernier). Là, ils n’en ont fait que deux. »
Il semble ainsi que le gène introduit ait interféré sur les caractéristiques du coton burkinabè. Dans les laboratoires de l’Inera, on ne le nie pas : « Il y avait urgence, la filière perdait de l’argent, les gens voulaient une réponse tout de suite », explique un chercheur. Un spécialiste de la question qui suit de près ce dossier s’en désole : « Pour des raisons mercantiles, le travail n’a pas été fini. Résultat : personne ne s’y retrouve. »
Les résultats n’ont rien à voir avec la publicité qui avait été faite. Le rendement à l’hectare aurait dû progresser d’au moins 30 %. Mais selon les données de l’interprofession, la hausse se situe, entre 2009 et 2015, à 13 %.
Le désespoir des paysans burkinabès
En outre, de nouveaux parasites sont apparus, comme a pu le constater le directeur de la société cotonnière : « La nature a horreur du vide. Grâce au Bt, on arrive à contrôler certains ravageurs, mais d’autres, qui étaient inoffensifs avant, ont pris le dessus. Au lieu de faire deux pulvérisations de pesticides, les paysans en font trois désormais. »
Si ça continue, poursuit-il, on arrêtera le coton. Ça ne rapporte rien. Le coton Bt est moins lourd que le conventionnel, or c’est au poids que nous sommes payés…
C’était pourtant l’une des principales promesses du coton transgénique : avec lui, on passerait de six à deux pulvérisations par an. Pour les paysans, c’était un argument de poids : cela signifiait moins de travail, moins de dépenses et surtout, moins de problèmes de santé. Mais l’expérience ne semble pas résister à l’épreuve du temps. « Déjà, on est passé à trois pulvérisations, certains en font même quatre. Et demain ? » s’interroge Ousmane Bikienga, un jeune producteur de Koumbia, dans le Houndé, qui a pris la suite de son père dans les champs. « Si ça continue, poursuit-il, on arrêtera le coton. Ça ne rapporte rien. Le coton Bt est moins lourd que le conventionnel, or c’est au poids que nous sommes payés… Nous devons 200 000 F CFA à la Sofitex. Comment allons-nous faire ? »
À Konkolekan, situé à quelques kilomètres, au bord de la route nationale qui relie Ouagadougou à Bobo-Dioulasso, c’est le même désespoir qui s’exprime. Devant un tas de coton qui attend depuis des mois d’être ramassé par un des camions de la Sofitex, Yezoum Do se livre à des calculs à voix haute. Pour la semence, avant les OGM, il payait 1 600 F CFA par hectare. Aujourd’hui, c’est 27 000 F CFA.
Et même s’il a moins de dépenses en pesticides, il ne s’y retrouve pas : « Avant, pour 7 hectares, je devais dépenser 588 000 F CFA. Aujourd’hui, avec les OGM, j’en ai pour 718 000 F CFA. Si le rendement était beaucoup plus important, j’y trouverais mon compte. Mais ce n’est pas le cas. » Avec les hommes de son groupement, ils ont constaté que les sols s’appauvrissent et que les attaques de chenilles reprennent. Et puis, il y a une autre chose qui les chiffonne : le bétail. « Depuis qu’il y a les OGM, les bêtes sont malades », disent-ils.
C’est l’histoire d’un de leurs voisins, Emmanuel Tetebafo, qui leur a mis la puce à l’oreille : « Je suis éleveur depuis 1977, raconte ce quinquagénaire. En 2009, j’ai commencé à cultiver des OGM. J’avais 50 moutons et 50 chèvres. Au mois d’octobre, cinq mois après avoir planté les semences, ils sont presque tous tombés malades. J’ai perdu 37 chèvres et 24 moutons. J’ai eu 11 fausses couches aussi. J’ai appelé un vétérinaire et la gendarmerie. Quand ils sont venus, ils ont égorgé une chèvre : elle avait plein de chenilles dans le ventre. »
Pour lui, le lien avec les OGM est évident. Et il n’est pas le seul : il y a six ans, plusieurs éleveurs ont décidé d’emmener leurs bêtes loin d’ici, au Ghana et en Côte d’Ivoire, « là où il n’y a pas d’OGM », dit l’un d’eux, Abdoulaye Sidibé. « On a toujours vécu avec les cotonculteurs, et voilà qu’on doit se séparer aujourd’hui », regrette ce Peul qui n’ose même plus boire le lait de ses vaches, de peur d’être lui aussi empoisonné.
Du côté de l’Inera, on assure que rien ne permet d’établir le lien de cause à effet, que si des bêtes sont mortes, c’est certainement dû à une épidémie. Mais lorsqu’on demande si des enquêtes ont été menées pour en avoir le cœur net, la réponse est non.
Plusieurs études d’impact socio-économique et sanitaire ont bien été réalisées par l’institut de recherche burkinabè ces dernières années (voir ci-dessous). Elles dressent un bilan globalement positif : il y aurait ainsi plus de maladies chez les producteurs de coton conventionnel que chez ceux de Bt, et ces derniers gagneraient plus d’argent. Mais ces analyses sont marquées du sceau de la suspicion.
Pour pouvoir les transmettre aux journalistes, l’Inera doit obtenir l’aval… de Monsanto. Leurs auteurs sont des chercheurs de l’Inera, associés parfois à d’autres… de Monsanto. Un autre nom revient dans tous les rapports : il s’agit de Jeffrey Vitale, chercheur à l’université d’État de l’Oklahoma. Or ce dernier ne cache pas son inclination pour les OGM. Son objectif ? Il le définit lui-même dans une brochure que distribue la firme américaine : « Convaincre les Burkinabè de soutenir les OGM », et plus largement « tous les Africains » (voir ci-dessous)
Les liens incestueux entre l’Inera et Monsanto ne se cantonnent pas à ces rapports. Le directeur de l’institut, le docteur Hamidou Traoré (qui dit être favorable aux OGM), ne s’en cache pas : il n’est pas simple de financer une telle structure, qui compte 478 agents, dont 226 chercheurs. Ainsi, 80 % du budget est assuré par des sources extérieures.
« L’État paie les salaires et les factures d’eau et d’électricité. Mais pour financer la recherche, nous devons faire des appels à projets. » Des fondations y répondent, mais aussi l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), dont l’une des missions est de promouvoir les OGM, ou encore… Monsanto. En 2015, la firme a apporté à l’Inera 220 millions de F CFA (5 % de son budget) dans le cadre du financement de la recherche sur les OGM.
Il n’est pas rare, en outre, de voir des chercheurs de l’institut passer chez Monsanto. C’est le cas du représentant du groupe au Burkina : Doulaye Traoré dirigeait le département de la recherche cotonnière à l’Inera quand les OGM sont arrivés. Il a défendu le projet Bt avant de franchir le Rubicon : il rejoint Syngenta en 2004, puis Monsanto en 2009.
Dans la villa anonyme qui sert de siège à Monsanto, à Bobo-Dioulasso, Doulaye Traoré rejette toutes les accusations qui sont portées contre le coton Bt. Le rendement ? Il avance le chiffre de + 21 % par rapport au conventionnel et assure que les producteurs gagnent 28 000 F CFA en plus par hectare. Le bétail empoisonné ? « Une épidémie, certainement. »
Les pulvérisations ? « Deux suffisent. Ceux qui vous disent qu’ils en font quatre vous mentent. » Selon lui, ce sont « 16 millions de litres de pesticides qui ne sont plus déversés dans les champs » grâce au Bt, et « 30 000 cas d’empoisonnement en moins par an ».
Mais lorsqu’on lui demande si des études ont été menées sur les très nombreux Burkinabè qui consomment chaque jour l’huile issue des graines de coton, il fait mine de ne pas comprendre : « Pourquoi mener des études ? Aux États-Unis, on en mange depuis des années. Si un Américain a ne serait-ce qu’un mal de tête à cause des OGM, on arrête tout, là-bas ».
Face aux critiques, Monsanto renvoie aux publications évoquées plus haut, qui ne voient que des avantages au transgénique. L’une d’elles, publiée en 2010, soit un an seulement après l’introduction du Bt, parlait déjà d’un succès et d’une « introduction réussie des produits de la biotechnologie ». C’était avant que la communauté des scientifiques n’admette que Monsanto et l’Inera étaient allés trop vite en besogne.
La firme américaine peut aussi compter sur des défenseurs zélés du transgénique. Le plus connu d’entre eux au Burkina est François Traoré, l’un des fondateurs et ex-président de l’Union des producteurs, qui dit cultiver le coton depuis 1979 et qui a produit 60 tonnes l’année dernière.
Arrêter les OGM serait selon lui « une catastrophe ». « Le Bt a résolu tous nos problèmes, dit-il dès le début de notre entretien à Ouagadougou, dans son salon où sont accrochés les portraits de Thomas Sankara, du Mahatma Gandhi, de Barack Obama et de Jésus.
On pulvérise moins, on travaille moins. Le Bt, c’est comme un vaccin qu’on donne à un bébé. Il s’épanouit mieux. » Si le rendement est moins bon, c’est parce que les paysans ne font pas ce qu’il faut, assure-t-il. Et si la fibre est plus courte, c’est à cause des sociétés cotonnières qui ne financent pas assez la recherche. Il y a sept ans, François Traoré est allé en Inde, dans les zones cotonnières où des paysans trop endettés se sont suicidés.
Là-bas, il dit pourtant n’avoir rencontré que des producteurs heureux… Les anti-OGM l’accusent d’être un agent de Monsanto. Ils ne peuvent cependant nier qu’un certain nombre de producteurs pensent comme lui. Contrairement aux sociétés cotonnières, les paysans sont divisés sur l’emploi du Bt. Certains veulent continuer parce qu’ils gagnent un peu plus d’argent ; d’autres parce qu’ils manipulent moins de pesticides. Pour eux, les OGM sont (encore) une chance.
C’est ce que l’on peut entendre dans un documentaire diffusé par plusieurs chaînes de télévision en février et mars 2016, au plus fort des négociations entre les sociétés cotonnières et Monsanto. En fait de reportage auprès des producteurs, il s’agit d’un film de propagande, dans lequel se succèdent paroles de paysans tous favorables aux OGM (« Si on revient au conventionnel, j’abandonne le coton ») et voix off multipliant les slogans (« Avec le coton Bt, conditions de vie améliorées et bien-être social assuré »).
À chacune de ses diffusions, Doulaye Traoré, de Monsanto, inonde ses connaissances de SMS… « C’est un de nos partenaires qui a réalisé ce documentaire », admet-il.
À l’image de ce film, le lobbying des pro-OGM est intense au Burkina depuis quelques mois. C’est que, pour Monsanto, ce pays est bien plus qu’un simple marché : c’est une brèche dans la forteresse africaine qui restait jusqu’à il y a peu relativement imperméable aux sirènes de la biotechnologie. « Pour eux, l’expérience au Burkina est vitale s’ils veulent gagner le marché africain », explique un acteur de la filière. « Si c’est un succès, peut-on lire dans une étude publiée par l’Inera et Monsanto en 2011, il ouvrira la voie à l’introduction et au développement d’autres OGM en Afrique. »
Que diront Monsanto, la Sofitex et l’Inea si la vitrine burkinabè se brise ?
Ainsi, chaque année depuis l’introduction du Bt, des centaines de paysans des quatre coins du continent – du Togo, du Bénin, mais aussi du Tchad ou du Zimbabwe – sont invités au Burkina pour observer les « bienfaits » du transgénique. Ces visites sont organisées par Monsanto, en liaison avec l’Inera et la Sofitex, et sont parfois financées par des fondations œuvrant à la promotion des OGM en Afrique. Les paysans, qui ne voient qu’une face de la pièce, en reviennent la plupart du temps éblouis.
Mais que diront-ils si la vitrine burkinabè se brise ? Dans son mémorandum de mai 2015, l’interprofession le rappelle opportunément : « Le Burkina étant un modèle en Afrique dans le développement du coton génétiquement modifié promu par Monsanto […] il demeure impérieux qu’un accord […] soit trouvé. » Pour l’heure en effet, les sociétés cotonnières ne parlent pas d’abandonner définitivement les OGM. « On est toujours partants pour cette technologie, affirme le directeur d’une de ces sociétés. On demande juste à Monsanto qu’il nous propose un nouveau produit. »
Voilà qui ne va pas rassurer les anti-OGM. « La firme agit toujours de la même façon, constate l’un d’eux. On commence par un produit, le Bt, qui n’a a priori pas d’impact sur l’environnement ou sur la santé, puis on propose d’aller toujours plus loin au risque d’empoisonner tout le monde. » Tout semble en effet avoir été écrit à l’avance.
En 2011, on pouvait lire dans un rapport prémonitoire publié par Jeffrey Vitale et deux chercheurs de l’Inera que « d’autres cultures telles que le coton Bt Roundup Ready et le maïs Bt peuvent également être introduites ». Cinq ans plus tard, c’est en bonne voie pour le maïs, dont une version transgénique est en phase d’expérimentation dans les champs de l’Inera.
Quant au coton Roundup Ready Flex (RRF), c’est l’une des deux solutions proposées par Monsanto pour remédier aux faiblesses du Bt : la première consisterait à commercialiser une nouvelle variété de coton transgénique (mais cela ne se fera pas avant 2020) ; la seconde à améliorer la variété existante en y ajoutant un deuxième gène, résistant celui-ci au glyphosate (le fameux RRF).
Le glyphosate ? Il s’agit d’un « herbicide total » qui constitue le principal actif du Roundup, le célèbre désherbant commercialisé dans le monde entier par… Monsanto. Le deal proposé par la firme est le suivant : épandez le Roundup dans vos champs, il tuera tout sauf les OGM résistant au Roundup. « Nous sommes là au cœur de la stratégie de Monsanto, qui vend un poison et son antidote.
On marche sur la tête ! » souligne le spécialiste cité plus haut. Le glyphosate, dont l’utilisation pourrait être interdite en Europe, est rangé au rang de « cancérogène probable pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer. Mais pour le docteur Traoré, le directeur de l’Inera, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. « Rien ne prouve qu’il est toxique », glisse-t-il le plus sérieusement du monde.
Etude dirigée par Jeffrey Vitale favorable à l'expérience du coton BT au Burkina Faso
Brochure pro-OGM de Jeffrey Vitale
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