Tunisie : portrait de Baccar Gherib, un doyen engagé

À la tête de la faculté des sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba, en Tunisie, l’ancien syndicaliste défend, face aux grévistes, le droit des étudiants à passer leurs examens.

Baccar Gherib est doyen de la faculté des sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba, en Tunisie. © Nicolas Fauque

Baccar Gherib est doyen de la faculté des sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba, en Tunisie. © Nicolas Fauque

Publié le 17 mai 2016 Lecture : 3 minutes.

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Depuis novembre, une surenchère de revendications estudiantines trouble la faculté des sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba, dans le nord-ouest de la Tunisie. Son doyen, Baccar Gherib, 48 ans, tient bon la barre. Des crises, cet historien de la pensée économique et politique, passé par la lutte syndicale, en a vu d’autres.

À son palmarès, après son adhésion au Syndicat général de l’enseignement supérieur et de la réforme scientifique, une participation soutenue à la grève administrative de 2005.

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En 2013, son parcours d’anti-apparatchik de l’ancien régime fait de lui l’homme idoine pour prendre les commandes d’une faculté déjà en ébullition. Il quitte alors ses fonctions de secrétaire général du syndicat de base de la faculté ainsi que le bureau politique du parti de gauche Ettajdid. « Être doyen, ça prend du temps, et il faut éviter le mélange des genres », explique ce Tunisois qui a fait toute sa carrière à Jendouba.

Un regard lucide sur la vague de contestation des étudiants

Un recul qui lui permet de poser un diagnostic lucide sur la situation de son université. Baccar Gherib regrette un important turnover parmi les maîtres de conférences et les professeurs, attirés par des régions plus agréables.

Il constate surtout que, depuis la révolution, les différents ministres de l’Enseignement supérieur n’ont plus assumé leur rôle de tutelle, laissant s’installer une contestation permanente dans les universités. Pourtant, une bonne gouvernance semblait possible après qu’Ahmed Brahim, ministre de l’Enseignement supérieur en 2011, avait écarté la police politique des campus et généralisé les élections de doyens.

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C’était compter sans l’Union générale des étudiants de Tunisie. Le syndicat étudiant a tenté d’imposer par la force des revendications (portant essentiellement sur le contenu des examens et leurs modalités) contraires aux décisions du conseil scientifique prises en présence des représentants des étudiants. « « Dégage ! » était devenu un mot d’ordre », raconte celui qui a consacré sa thèse à Adam Smith et à David Hume, pères du libéralisme économique.

Baccar Gherib et ses collègues refusent la logique du chantage et usent de mesures disciplinaires contre la fraude aux examens. « En défendant le droit des étudiants à passer leurs examens, en vous interposant entre eux et ceux qui les attaquaient, en vous exposant à la violence et en courant tous les risques, vous avez été formidables », lance le doyen aux professeurs mobilisés contre le blocage de la faculté.

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Un rôle de locomotive

Il en va de la crédibilité des diplômes, même s’il précise qu’avec un baccalauréat au rabais les étudiants formatés par leur parcours du secondaire sont de moins en moins motivés… Remobiliser cette nouvelle génération relève du défi, d’autant que la faculté dispose de peu de moyens humains : en trois ans, le nombre de maîtres de conférences et de professeurs est passé de seize à six.

Néanmoins, l’auteur de l’essai Pour une refondation de la gauche tunisienne considère qu’une université de l’intérieur peut avoir un rôle de locomotive. « Dans une petite ville, la faculté véhicule des valeurs, mais pour rayonner il faudrait qu’elle soit aussi source de production de savoir dans la région et son environnement immédiat.

Un beau challenge, si on nous laisse faire », explique Baccar Gherib. Le doyen, qui gère actuellement 4 000 étudiants, s’en remet à une alliance avec la société civile pour juguler les inégalités territoriales.

S’il souligne que l’idéologie religieuse n’a pas d’impact sur sa faculté, il reconnaît que les autorités régionales ont parfois plus de pouvoir qu’un ministre et a appris que, « face à une société à fleur de peau, chaque décision pédagogique, administrative ou disciplinaire doit être négociée ». Pour le moment, l’ancien syndicaliste a les coudées franches et obtient des résultats. L’accès de ses étudiants à l’emploi s’améliore grâce à un bon suivi de la part des coordonnateurs de masters. Celui qui n’avait pas prévu d’être doyen est aujourd’hui « fier de l’être à la faculté de Jendouba ».

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